Gilbert Molinier

Professeur de philosophie

à Madame Noelle Schulmann

Professeur de physique

 

Très chère Madame Noelle Schulmann,

 

 

Je ne vous connais pas et pourtant je vous connais depuis longtemps déjà. Nous faisons le même métier, métier difficile, surtout lorsqu’on le fait, comme vous, avec « la passion de la tête ». C’est pourquoi vous avez eu des ennuis avec les autorités. Cette fois, les chiens de garde de l’Ordre s’en sont mêlés. Je sais, pour l’avoir souvent vécu, qu’il n’est pas facile de se retrouver seul contre tous, surtout lorsque ce que l’on fait mériterait d’être encouragé. Pour ma part, je considère que vous faites partie de ceux qui sauvent l’honneur de l’enseignement. Que vous dire d’autre sinon que j’aurais voulu rencontrer encore plus d’enseignants comme vous au cours de ma scolarité.

 

Pardonnez-moi de vous rappeler cela que vous savez déjà. Dans un de ses romans peu connus, Z. Marcas, Balzac écrivait: « Entre les faits de la vie et le nom des hommes, il est de secrètes et d’inexplicables concordances (...) qui surprennent; souvent des corrélations lointaines, mais efficaces, s’y sont révélées. Notre globe est plein, tout s’y tient. » En allemand, votre nom signifie « l’homme de l’école » soit, sauf erreur, le rabbin en yddisch...

 

Tout ce que vous avez dû subir comme mépris, humiliation n’est pas seulement injuste, et cela suffirait à frapper vos juges d’indignité, mais cela indique surtout l’état de délabrement et de pourrissement de la société française.

 

Ce qui vous est arrivé oblige à penser. Malheureusement, lorsque j’essaie de penser, c’est toujours trop lentement, c’est pourquoi vous recevez cette lettre avec tant de retard, ce dont je vous prie de bien vouloir m’excuser. Si vous la lisez, vous aurez l’occasion de voir que vous n’êtes pas seule et qu’il vaut mieux être du côté de Spinoza, de Brecht... que du côté de ceux que Pablo Neruda appelait ces « fils de putes ».

 

 

 

Bien à vous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’école laïque face au journalisme et à la dérive politique

 

LETTRE OUVERTE D’UN ENSEIGNANT FRANÇAIS ASPECTS DE LA CONJONCTURE IDEOLOGIQUE EN FRANCE[1]

Article paru dans Raison présente n° 123 (3ème trimestre 1997)

 

 

 

« Le fascisme traite la pensée comme un comportement. Ce qui (innovation!) fait d'elle un acte au sens juridique, le cas échéant criminel, et passible des sanctions appropriées » (Bertolt Brecht, Ecrits sur la politique et la société, L'Arche Editeur, Paris, 1971, p. 130).

 

 

            Berlin vu de Paris. Voilà plus de quinze ans que je passe mes vacances d’enseignant à Berlin. Je sais, c’est une drôle d’idée, mais c’est ainsi. Je n’aime ni la mer ni la montagne ni la campagne, je préfère les grandes villes. Depuis 1989, la ville a bien changé. Par certains aspects, elle est redevenue ce qu’elle était, pour le meilleur et pour le pire. Il en va ainsi de toutes les retrouvailles après une longue séparation. Parmi toutes ces choses qui ne laissent pas d’inquiéter, j’ai vu revenir au galop le racisme « ordinaire », l’antisémitisme, la xénophobie et même, trop souvent, des actes criminels commis par des néo-nazis.

 

            En France, on a trop tendance à faire accroire que ce sont là des actes isolés; je sais que c’est faux; pour que des groupes puissent commettre de telles horreurs, il faut qu’ils y soient encouragés, ne serait-ce que par un consentement silencieux. En France, on a trop, beaucoup trop tendance à faire accroire que ce genre d’actes reste le triste privilège d’un héritage de l’histoire allemande. Je sais que c’est faux, c’est une façon de se dédouaner à bon compte. De ce point de vue, il se passe en France d’étranges choses.

 

            Paris vu de Paris. En France, la vie politique est de plus en plus empoisonnée par ce qu’on appelle pudiquement les « affaires ». L’atmosphère idéologique devient de plus en plus irrespirable à tel point que l’on trouve même parmi ceux qui jouent avec le feu quelques-uns qui en viennent à s’émouvoir. Ainsi, dans un récent éditorial consacré aux affaires liées au négationnisme, Jean-François Kahn écrivait dans L'Evénement du jeudi [2]: « Il ne s'agit plus aujourd'hui de faire barrage au Front national, mais de tarir l'eau dans laquelle nage et s'ébat l'affreux poisson ». Le contenu de ce texte sonne comme un cri d'alarme, il est plein de vérité.

 

            Des fascistes, la France en a, en puissance, plein ses tiroirs. Non pas de ces fascistes patentés, caricaturaux, ceux-là constituent, pour l'instant, une toute petite minorité. L’arsenal juridique est, en France, suffisamment puissant pour les empêcher de nuire. Mais s’ils peuvent agir, c’est tout simplement parce qu’ils y sont implicitement encouragés par une masse grandissante, dangereusement grandissante de bien-pensants, dévots, bigots, tartuffes qui empoisonnent la vie intellectuelle et la vie tout simplement. Comme moi, chacun peut en rencontrer sur son lieu de travail, dans son quartier; sans chercher, il en trouvera bien plus que de doigts dans une main; parfois justement là où il s’y attendait le moins. Sans en avoir l'air, ils pataugent déjà dans un terrain boueux.

 

 

            I. A PROPOS D'UNE CAMPAGNE DE PRESSE

 

            Ecoutez plutôt l'histoire suivante, hautement significative de ce qui est en train de se passer en France. Chaque détail de cette histoire a son importance. Cela a commencé dans un collège situé à Maurepas, une petite ville de la banlieue parisienne. En février dernier, un professeur de physique d'une classe de troisième de collège donne un exercice de physique à ses élèves dont voici l’énoncé tel que, volontairement tronqué, il a paru dans la presse:

 

            « Hitler faisait mourir les juifs en les enfermant dans des cars dont le tuyau d’échappement était branché vers l’intérieur. Sachant que le volume d’un car est de 50 m3, quel volume de monoxyde de carbone doit se dégager pour atteindre la proportion mortelle de 5‰? Sachant que les personnes mettaient en moyenne 20 minutes à mourir, quel volume de monoxyde de carbone le moteur produisait-il à l’heure ? »

 

            Cet exercice a été donné en classe par le même professeur en 1995 au moment de la commémoration du cinquantenaire de la fin de la deuxième guerre mondiale. Il tourne autour d’une question que le professeur a objectivée en classe à ses élèves: « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Cet exercice montre avec quelle froideur mathématique des savants peuvent participer, sans protester, aux pires entreprises d'extermination. En clair, on y rappelle comment des scientifiques ont participé à l'extermination des juifs pendant la période du nazisme. On pourra bien sûr s’offenser du caractère brutal de l’énoncé de l’exercice ainsi donné, il l’est, en effet. Mais il ne faut point oublier que la réalité le fut et l’est bien davantage encore. Lorsqu’on l’isole de son contexte d’exercice donné en classe, il peut apparaître comme choquant, mais il ne faut pas oublier que cet exercice n’est pas, en tant qu’exercice scolaire, un élément isolé d’un cours, ou d’un programme annuel, il est un élément d’un ensemble qu’on nomme progression pédagogique. En outre, ironie de l’histoire, ce professeur se nomme madame Schulmann, soit -l’homme de l’école- en allemand, soit -le rabbin- en yddisch.

 

            Quelques mois plus tard, dans une conjoncture politique complètement empoisonnée, d’après la presse, des parents d'élèves de ce collège s'avisent de considérer que cet exercice ne peut être que le fait d'un négationniste et s'en émeuvent auprès d'une radio, Radio Shalom, qui, probablement sans avoir procédé à la moindre vérification[3] des informations, répercute « l'information » sur ses antennes. Le lendemain, toute la presse, télévisions, radios, journaux, de France-soir à L’Humanité, s'empare de ce qui devient alors l'événement du jour pour dénoncer le caractère négationniste de l'exercice. On se rue sur le professeur, en criant haro, un quotidien, France-Soir, publie sa photo en première page, et va même jusqu’à falsifier le témoignage d’élèves. Ce n’est pas sans dégoût que l’on peut relire cette « rhétorique journalistique, de la vertu débitée au kilo, de la philistânerie édifiante distribuée en tranches épaisses »[4]. Les « usines du journalisme » ont, de conserve, répandu « leur couche de colle visqueuse »[5]; l’alchimie consensuelle fonctionne à merveille: c’est une horreur! Lorsqu’elle n’existe pas, on la fabrique. Cette espèce d’unanimisme est le plus sûr indice de l’émergence de la « démocrassie ». « Aujourd’hui, la démocratie du consensus tend d’une manière croissante à produire le rassemblement par l’agglutinement (...) Elle met en œuvre des stratégies d’évitement, de neutralisation ou d’anesthésie du conflit qui font appel aux sensations et évidences d’un pseudo-sens commun (...). Le rassemblement, formé par agrégation fusionnelle autour d’un spectacle, d’un temps fort - supplice ou cérémonie monumentale - est cet élément qu’ont en commun les régimes non démocratiques et qui tend à s’infiltrer de plus en plus massivement dans les démocraties exténuées ou contrefaites d’aujourd’hui »[6]. Nous sommes devant un « fait » qui est un produit de fabrication, fabrication médiatico-politique qui semble d’autant plus s’imposer comme vrai qu’il fait l’objet d’un consensus « politique » unanime. Coïncidence supplémentaire, la même semaine, le Grand Rabbin doit venir à Maurepas inaugurer la nouvelle synagogue.

 

            Le lendemain, les autorités administratives, en réalité alertées par un principal de collège « émotif », suspendent le professeur. C’est le ministre en personne, pressé par la LICRA, drapé de sa vertu très catholique et grand imitateur du grand Inquisiteur, qui préside aux cérémonies de lynchage. Madame Schulmann n'a donc, provisoirement, plus le droit d'enseigner. Elle est ensuite menacée d'être déplacée d'office. Voilà comment, aujourd’hui, on fabrique des « monstres ». La lecture des pénétrantes analyses d’Alain Brossat est du plus haut intérêt: « Comme le bouc émissaire, en effet, le monstre se définit en premier lieu comme un rôle, une fonction - ‘une place à prendre’ et non une nature ou une essence. On ne naît pas monstre, comme on ne naît pas bouc émissaire, on le devient ou on ne le devient pas - selon les caractéristiques d’une configuration politique, les besoins d’une crise, les particularités d’une transe collective. L’élection du monstre (comme celle du bouc émissaire) présente un caractère fondamentalement conventionnel, ce qui ne signifie pas, loin de là, qu’elle s’effectue au hasard (...). Il faut au monstre des ‘qualités’ spécifiques; il le faut seul, excentré, visible. »[7]

 

            Personne, en cette affaire ne s'est avisé de vérifier les faits. Comme le dit Alfredo Bauer: « Les journalistes sont complètement indépendants, complètement indépendants de la vérité »[8]. Personne ne dira que plus de deux cents élèves du collège ont fait grève et manifesté dans la cour de l'école aux cris de « Schulmann! Schulmann! », témoignage courageux de leur soutien à leur professeur (et pourtant, on imagine sans peine quelles sortes de pressions ils ont dû subir). On se demande encore si un journaliste a eu la curiosité professionnelle de lire, sinon de faire l'exercice.

 

            Je ne discuterai pas ici de la pertinence pédagogique de l’exercice puisqu’aussi bien ce n’est plus la question et ce ne l’a jamais été. Tout ce que je peux constater, c’est que les conditions pour qu’une telle discussion ait lieu, soit entre enseignants soit entre enseignants et parents d’élèves soit une vraie discussion publique, ont été de fait, complètement déplacées et interdites. Je ne peux que constater qu’une affaire a été montée de toute pièces, sans aucun égard pour la vérité, sans aucun respect pour une personne, sans aucun respect pour le public qui lit la presse ou les auditeurs et les téléspectateurs, sous la forme d’un procès bâclé et truqué volontairement dont il ne reste que le terme, une condamnation sans appel placée au service d’une cause plus que douteuse.

 

            Ainsi, nous pouvons remarquer qu'on accuse de négationnisme quelqu'un qui affirme l'existence de l'holocauste, ce qui, en matière d'honnêteté intellectuelle, constitue déjà une sorte d'exploit à l'envers. D’un point de vue phénoménologique, le plus extraordinaire en cette affaire consiste en la série de déplacements-renversements qui s’y opère; en effet, chacun des protagonistes devient le contraire de ce qu’il est: le professeur qui dénonce le nazisme, fait son métier de femme et de citoyenne, devient le ‘monstre’ négationniste; les journalistes, les tartuffes, aidant à l’accouchement du monstre (le fascisme), se posent en garant de la morale, le ministre de l’Education nationale, chargé de la promotion des savoirs, en garant de l’Ordre et les négationnistes, les vrais, reçoivent la publicité qu’ils espèrent, on est contraint de se placer sur leur terrain.

 

            Voilà les acteurs du drame d'aujourd'hui qui risque de devenir la tragédie de demain si nous laissons faire. D'un côté, on trouve les autorités politiques, administratives et les médias et on transforme de fait les parents en soutien de ceux-ci; d'un autre côté, on trouve les professeurs et leurs élèves. Entre les deux, la vérité et la mémoire en question, entre les deux le présent et l’avenir martyrisés. Dans cette affaire, chacun a agi selon sa pente.

 

            Comment peut-on analyser ces faits? Comment peut-on expliquer que le thème majeur et fédérateur de toutes les tendances politiques et idéologiques actuelles, la référence à l’Holocauste, soit si sévèrement sanctionné? A mon sens, et c’est ce que je tâcherai de démontrer, cette affaire a une valeur exemplaire. Certes, un nouveau pas a été franchi en direction de l'horreur, un nouveau pas a été franchi en direction de la barbarie. Mais, une analyse s’impose, et elle peut être conduite à différents niveaux. Trois aspects essentiels seront abordés ici. L’un concerne la fonction des médias dans la société française en tant qu’équivalent « moderne » de l’Inquisition et qu’instance normalisante et moralisante; un autre concerne la nouvelle place assignée par l’Etat à l’école en tant que dispensatrice de savoirs et de connaissances; il apparaît clairement qu’on veut mettre les enseignants au pas en s’adjoignant les parents d’élèves comme force de légitimation de l’ordre moral; enfin un autre aspect concerne la valeur très particulière que joue l’Holocauste dans la constitution de la démocratie consensuelle. Et, comme chacun le sait, lorsque l'on commence à comprendre quelque chose, pour ce qui concerne les phénomènes sociaux ou historiques se produisant à un moment donné, il est déjà peut-être presque trop tard.

 

 

            II. NEUTRALITE ET OBJECTIVITE

 

            Ayant déjà discuté de cet exercice avec de nombreuses personnes, j'ai pu constater à quel point son contenu met mal à l'aise même celles qui sont les mieux disposées. C'est donc d'abord ce malaise qu'il s'agit d'expliquer. A mon sens, ce malaise part d'un double malentendu sur ce qu'est l'enseignement et surtout sur ce qu'est l'enseignement des sciences d'une part, et sur le rôle des sciences dans la société d'autre part. Une pesante tradition considère que l'enseignement doit être et est neutre, comme elle considère qu'il en est de même pour les sciences elles-mêmes. Il s'agit là d'une double erreur. En tant qu'institution étatique, l'école, quelque école que ce soit, ne peut être neutre, et cela par définition, ou alors il faudrait montrer que l'Etat, instance politique, est neutre. C'est une contradiction dans les termes. Quant à la neutralité des sciences, il ne serait pas difficile de montrer que ce préjugé est aussi tenace et aussi faux que le premier. Rappelons simplement ce que disait Bertolt Brecht entre 1933 et 1939 dans ses Essais sur le fascisme où, réfléchissant sur la capacité de résistance de la raison, il écrivait: « Le physicien doit être en mesure de construire pour la guerre des instruments d'optique permettant des observations à grande distance, mais il doit être également capable de ne pas voir des phénomènes fort dangereux pour lui, qui se passent sous ses yeux, disons dans son université. Il est chargé de construire des dispositifs de défense contre les agressions étrangères, mais il lui est interdit de réfléchir aux agressions dont le menacent ses propres autorités. Le médecin dans sa clinique cherche un remède au cancer qui guette son patient, mais il n'a pas le droit de chercher de remède contre les gaz et les bombes qui le guettent lui-même dans sa clinique. Car le seul remède contre les gaz consisterait à remédier à la guerre. Les travailleurs de l'intellect doivent sans cesse perfectionner leurs facultés logiques pour administrer leurs domaines spécialisés, mais ils doivent également savoir ne pas appliquer ces facultés logiques aux domaines généraux. »[9]

 

            Que l'on puisse enseigner la physique, même et surtout à des débutants, sans que les professeurs aient le droit de montrer à leurs élèves que les sciences ne sont pas des objets extérieurs à une totalité qu'on nomme société, voilà ce qui devrait être objet de scandale, et non l’inverse[10].

 

 

            III. IDENTIFICATION AFFECTIVE ET DISTANCIATION CRITIQUE

 

            Mais, à mon sens, nous sommes ici placés dans un cadre qui dépasse largement celui de la simple ignorance. Si de nombreuses personnes rencontrées manifestent un certain malaise, d'autres, non moins nombreuses, ont accueilli cet exercice avec un certain effroi. Là aussi, il s'agit d'en comprendre les raisons.

 

            Effectuer cet exercice suppose que l'on se mette en pensée à la place du bourreau, et non à celle de la victime. C'est cette opération intellectuelle, dépassant le simple cadre de l'exercice de physique, de l’opération mathématique, qui a valeur critique et réflexive. Cette opération, et seulement cette opération permet de comprendre le fonctionnement mental, et donc de combattre le bourreau. Cet exercice est effectivement un exercice difficile parce qu’il oblige chaque élève à effectuer un double exercice intellectuel; le premier consiste à effectuer un simple calcul mathématique, à savoir calculer des pourcentages; le second consiste à considérer que, en tant qu’élève, je suis autre chose qu’une boule affective[11], et donc à m’élever au niveau de la compréhension rationnelle d’un travail qui semble être une monstruosité bien qu’il soit fort répandu: celui où l’on utilise ses connaissances pour tuer le plus possible et le plus vite possible.

 

            L'effroi est a contrario et en l’occurrence, la manifestation d'une identification affective avec le bourreau, moment de communion sentimentale. Ceux qui sont effrayés restent à un niveau de comportement infantile, ils ne distinguent plus l'exigence intellectuelle qui consiste à sortir de soi pour se mettre en pensée à la place de quelqu'un d'autre pour pouvoir comprendre la dynamique de ses actes, et l'identification affective, où le sujet ne peut que revendiquer son appartenace à un groupe et son rejet d'un autre. Sauf erreur, le métier d’enseignant consiste bien à élever des élèves, c’est à dire à les faire sortir des dualités aussi simplistes que mortelles -amour-haine- ou -bien-mal- ou -bon-mauvais-, dans lesquelles ils sont souvent installés et pris au piège, pour les conduire jusqu’aux pertinences dialectiques du -vrai-faux-.

 

            C'est malheureusement à peu près le niveau « intellectuel » auquel se place la télévision: on demande au spectateur de s'identifier au héros (nécessairement bon et gentil) et de rejeter le bourreau (nécessairement méchant et cruel). Pris au mirage des images, son entendement anesthésié est incapable de distinguer ces deux registres, l'intellectuel et l'affectif; on se demande même s’il sait encore que cette distinction a une certaine pertinence. Plus grave encore, à notre époque, il règne une espèce de « propagande de l’affectif qui envahit notre univers »[12] mental, empêche de penser et condamne du haut de sa chaire de procureur toute volonté à sortir de ses griffes.

 

 

            IV. DENI ET TABOU

 

            Mais ce n'est pas tout. Se mettre intellectuellement à la place du bourreau suppose que l'on pourrait être ce bourreau, et porte donc à reconnaître que le génocide n'a pas été commis par des monstres non-humains, des bêtes ou des démons venus d’on on ne sait où, mais par des hommes tout à fait ordinaires. Cela signifie que ce qui s'est passé peut bien se reproduire aujourd'hui pour peu que les conditions historiques s'y prêtent. Comme l’explique Jacques Rancière: « Il n’y a rien qui soit au-delà du pensable dans la monstruosité de l’holocauste, rien qui excède les capacités conjuguées de la cruauté et de la lâcheté lorsqu’elles bénéficient de tous les moyens à la disposition des Etats modernes; rien dont ces Etats ne soient capables »[13]. Tout le monde sait que nous n'en sommes pas là, tout du moins en France; j'ajouterai: pas encore, mais personne ne peut nier qu'une violence certaine existe aujourd’hui, et même qu’il existe une certaine violence de caractère fasciste.

 

            Condamner cet exercice et son auteur consiste d'une part à isoler le fascisme, c'est-à-dire à en faire un phénomène anhistorique: on remarque que le même mécanisme de segmentation des disciplines (physique-politique) se retrouve ici sous la forme de la segmentation des époques historiques; d'autre part à dénier l'existence du fascisme en nous aujourd'hui et dans le monde aujourd'hui. Plus précisément, il y a là un énorme paradoxe qu’analyse Alain Badiou: « L’extermination et les nazis sont à la fois déclarés impensables, indicibles, sans précédent ni postérité concevables - puisqu’ils nomment la forme absolue du Mal-; et cependant constamment invoqués, comparés, chargés de schématiser toute circonstance où l’on veut produire, dans l’opinion, un effet de conscience du Mal - puisqu’il n’y a ouverture au Mal en général que sous la condition historique du Mal radical. (...) Il faut bien que ce qui donne mesure ne soit pas mesurable, et que cependant il soit constamment mesuré. »[14]

 

            Ainsi, il semble qu'on veuille absolument écarter toute explication historique et politique du nazisme, pour en faire un phénomène totalement extérieur à l’histoire, échappant à toute genèse, à toute filiation, pour en faire une sorte de monstruosité pure. Ce que l’on semble vouloir retenir de l’histoire, c’est la « vision » d’horreur représentée hier par le nazisme, tandis que ce que l’on veut ne pas regarder de l’histoire, c’est son « ventre fécond » soit son sol, le procès de production et d’engendrement de l’enfant monstrueux. On se propose de nommer un rejeton monstrueux sans procéder à l’identification de ses parents, sans se préoccuper de sa généalogie. On ne peut avoir le droit d'en parler que sous la forme du tabou.

 

            C'est bien en ces termes que le ministre de l'Education nationale s'est exprimé en suspendant Mme Schulmann: « On a cherché à traiter de manière scientifique la pire de horreurs comme si c'était un fait sur lequel devaient s'appliquer des critères normaux. L'Holocauste mérite d'être traité comme quelque chose qui inspire un sentiment d'horreur sacrée. »[15] Tout est dit: il faut abandonner le terrain de la science, de la rationalité et se réfugier sur celui du sacré, du religieux. Nous voilà sommés de nous ranger sur le terrain de l'obscurantisme religieux. La question posée (et résolue) par le très catholique ministre est d’importance. Tout se passe comme s’il oubliait sa fonction de ministre de la République, ministre d’une école laïque, pour se transformer en espèce de grand inquisiteur. Il joue, contre les enseignants et contre l’enseignement, très exactement le même rôle que jouèrent les théologiens contre Spinoza après la publication du Traité théologico-politique, celui du censeur. Le cas de madame Schulmann pose de graves questions. Enseigne-t-on encore dans une école laïque? A-t on encore le droit, en tant qu’enseignant, d’étudier les phénomènes historiques comme phénomènes historiques? L’holocauste relève-t-il d’une étude laïque ou doit-on le ranger dans la classe des interdits de penser? Il semblerait, comme le montrent les analyses de Jacques Rancière, qu’on atteigne aujourd’hui un point où « la pensée du massacre est ce qui frappe la pensée d’indignité et interdit la politique »[16].

 

            De ce point de vue, on peut dire qu'un nouveau pas a été franchi dans le refus politique de comprendre le nazisme comme phénomène politique. Théodor W. Adorno l'a montré, réduire le nazisme à un phénomène psychopathologique était déjà absurde: « Quand un médecin expatrié d’Allemagne vient nous dire: ‘Pour moi, Hitler est un cas pathologique’, il est possible qu’en fin de compte les résultats de l’examen clinique lui donnent raison; mais il y a une telle disproportion entre cette phrase et le désastre objectif qui s’étend sur le monde au nom dudit paranoiaque que ce diagnostic en devient dérisoire et que ce n’est pour celui qui le formule qu’une façon de plastronner. »[17] Je rappelle cela parce que je retrouve très souvent ce genre d’explication dans des copies de philosophie des élèves de terminale: « le nazisme fut le résultat de la folie d’Hitler. » D'un point de vue rationnel, si l'on veut expliquer ou comprendre ce qu'est le nazisme, le recours à cette psychologie vulgaire n'est pas plus pertinent que le recours au sacré. Ils constituent même des formes d'impasses théoriques et pratiques.

 

            Si l'on veut sacraliser l'holocauste, c'est parce que l'on veut le dépolitiser. Pourquoi l'holocauste devrait-il être, et pourquoi veut-on en faire une sorte de monstre extra-politique, extra-historique, sinon parce qu'on veut le dépolitiser! On peut aisément comprendre que cette énorme machine médiatique ne travaille pas pour établir ou rétablir des faits historiques; elle agit pour les besoins de l'époque d'aujourd'hui. On peut se poser sérieusement la question dans ces termes: « L’insistance des médias quant à la gestion des effets qu’ils produisent conduit à se demander si le besoin de rappeler le souvenir sans tenir compte de l’histoire qui se déroule, correspond à une volonté de ne pas oublier ou à une peur d’être rattrapé par la mémoire. »[18]

 

 

            V. LA MEMOIRE ET L'OUBLI

 

            En dépolitisant le nazisme, les médias veulent faire oublier que le nazisme est un produit normal d'une société capitaliste développée et européenne normale, que l'holocauste est l'oeuvre d'hommes normaux de cette société normale, entreprise à laquelle ont aidé, en France, des capitaines d'industrie, des banquiers, des ministres, des juges, des journalistes, des intellectuels, des gendarmes, des préfets, des évêques, des ouvriers, des dirigeants ouvriers (Doriot)... C'est ce que rappelle Heiner Müller (ce qui vaut pour l'Allemagne vaut pour la France et réciproquement, avec les différences que l'on connaît, et il suffit de changer les noms): « Das Gas für die Gaskammern haben nicht die Leute erfunden, die es dann angewendet haben. Das hat die deutsche Industrie geliefert. Die wußten, wofür sie es liefern. Das waren Leute, die heute entweder in Pension sind oder immer noch in hohen Positionen in der deutschen Industrie... Die Konzentrationslager waren große Unternehmen der deutschen Industrie, die hat die Technik zur Verfügung gestellt und ausprobiert. »[19] (Les gaz utilisés dans les chambres à gaz n’ont pas été inventés par ceux qui les ont utilisés après. Ils ont été livrés par l’industrie allemande. Ceux-là connaissaient la destination de ces produits. C’étaient des gens qui aujourd’hui, sont soit en retraite soit occupent toujours des positions importantes dans l’industrie allemande... Les camps de concentration étaient de grandes entreprises de l’industrie allemande qui disposait des techniques et en a fait usage.)

 

            Ces hommes normaux existent aujourd'hui comme hier, cette société capitaliste normale est toujours là, et la crise est là, elle aussi. Le retour du pire est, lui aussi, à redouter. C'est précisément cela que les médias veulent cacher.

 

            Nous n'avons pas fini d'épuiser ce qu'une pensée critique de ce siècle nous apporta, je veux parler d'Heiner Müller. Dans le même texte -Auschwitz kein Ende-, il écrivait: « Auschwitz ist das Modell dieses Jahrhunderts und seines Prinzips der Selektion.    Das Erschreckendste an den Krawallen in Rostock und Hoyerswerda ist, daß es zu dieser Gesellschaft gehört, daß es eben kein barbarischer Auswuchs ist, ebensowenig wie der Faschismus, der ja nur die Konsequenz der Marktwirtschaft bedeutet. »[20] (Auschwitz est le modèle de ce siècle et de son principe de sélection. Le plus effrayant dans les émeutes de Rostock et d’Hoyerswerda, ce qui est le produit de cette société, c’est que cela ne témoigne pas d’une croissance de la barbarie, pas plus du fascisme, ce n’est que la conséquence de l’économie de marché).

 

            Les médias se présentent comme une entreprise colossale qui vise à empêcher toute transmission, matérielle et symbolique, entre les générations. Il va de soi que cette question de la transmission, c’est à dire de la possibilité, pour une société, non seulement de produire ses moyens de subsistance, mais de se reproduire comme société où l’on puisse vivre sans trop de dégâts, est aujourd’hui une question d’une extrême importance, et dépasse largement à la fois le simple cadre médiatique et celui de la seule transmission scolaire des connaissances.

 

            Tous les enfants ont appris ce poème de Gœthe à l'école -Erlkönig-, il se termine ainsi:

 

                        «  ............................................................

                        Dem Vater grauset's, er reitet geschwind,

                        Er hält in den Armen das ächzende Kind,

                        Erreicht den Hof mit Müh und Not;

                        In seinem Armen das Kind war tot. »[21]

 

            Testament? Nous serons longtemps redevables à Heiner Müller d'avoir vu, c'est ce qu'il montre dans sa dernière mise en scène de La résistible ascension d'Arturo Ui, que notre époque est celle où la génération des pères est en train de mentir à ses enfants, de tuer symboliquement ses enfants, voire même tout simplement de tuer ses enfants[22]. Il est en train de se passer exactement le contraire de ce qui serait souhaitable, c'est lui-même qui disait récemment dans une interview réalisé par Focus ( n° 40, 1995): « Ohne Vatermord passiert nichts » (Sans meurtre du père, rien ne se produit). Est-ce un hasard si Heiner Müller introduit ce chant en voix off dès l’ouverture de sa dernière mise en scène, celle de la pièce de Bertolt Brecht? La ballade de Gœthe pose la question de la place des fils dans le monde des hommes et nous rappelle que la « fabrique des fils est fragile, comme est fragile le lien qui relie chacun à l’humanité »[23]. Cette place de fils n’est tenable que sous certaines conditions qui aujourd’hui font défaut. A bon entendeur, on adresse son salut! Que sur cette question, Heiner Müller trouve plus d’un écho en France, et ce, depuis longtemps déjà, c’est heureux. Ainsi, Pierre Legendre, dans une perspective finalement assez proche, explique tout au long de son œuvre qu’il « faut voir les choses comme elles sont: une forme jamais vue de destruction de l’homme se dessine, que j’appelle désubjectivation de masse. »[24]; là aussi c’est la fonction du père qui est passée au crible: « Quand à la débacle contemporaine à propos du père, un problème central est ... d’affronter avec rigueur et sans emphase une infirmité majeure de la culture industrialiste: l’impossibilité de mettre le fils sous statut de fils »[25].

 

La double question de la transmission de la vérité et de la mémoire est posée aujourd’hui, exactement comme Nietzsche la posait: « Qu’est-ce à vrai dire que je fais? Qu’est-ce que je veux atteindre par là, moi, précisément? - telle est la question de la vérité que l’on enseigne pas dans notre culture d’aujourd’hui et que, par conséquent, l’on ne pose pas non plus, pour laquelle on n’a pas le temps. Par contre, raconter aux enfants des balivernes, et non la vérité, (...) parler avec les jeunes gens de leur avenir et de leurs plaisirs, et non de la vérité, - cela, on en a toujours le temps et l’envie. »[26]

 

            On veut fabriquer une mémoire, mais une sorte de mémoire morte, c’est-à-dire une mémoire constituant l’holocauste comme exception (an)historique, sans exemple dans l’histoire de l’humanité, et appartenant au passé. Mais de telle sorte qu’elle fonctionne aujourd’hui comme le lieu du rassemblement consensuel. Cet usage de l’Holocauste n’est pas politique, au sens où il conduirait à lutter aujourd’hui contre les injustices et les horreurs d’aujourd’hui, mais politicien dans ce sens où il conduit au renoncement à penser et à agir dans les conditions d’aujourd’hui. Il n’a pas plus de fonction de connaissance, mais une « simple » fonction idéologique, instrumentale. « Que la politique s’abîme dans la mémoire et les exercices ‘civiques’ qui lui font cortège, c’est ce que nous ne percevons que trop clairement au fil de ces commémorations homogènes et vides, destinées à raviver le souvenir de l’Extrême. La radicale élision du litige est ce qui permet à un président de la République ‘de gauche’, à un Premier ministre ‘libéral’ et à un maire de Paris ‘conservateur’ de tenir des discours rigoureusement interchangeables lors - par exemple - de l’institution d’une journée de commémoration de la grande rafle antisémite du Vel’ d’Hiv. Elle est ce qui permet à l’éminent ami de René Bousquet, l’un des chasseurs de Juifs les plus efficaces de la Collaboration, de déclarer, lors de l’inauguration du musée d’Isieu:

(La Shoah) ne peut être comparée à aucune autre: la destruction, l’anéantissement volontaire d’un peuple, d’une histoire, la haine qui se fait supplice et mort, la barbarie comme une science, bref, l’Holocauste. »[27]

 

            Tout se passe comme si on multipliait les journées du souvenir pour mieux tuer la mémoire; tout se passe comme si on voulait fabriquer un peuple de mankourts[28] Là, à mon sens, se trouve le nœud de la question posée: aujourd’hui, comme dans les années trente, tout pousse à entrer en résistance dans un monde en pleine décomposition; mais ceci n’est possible qu’à la condition de faire le lien entre hier et aujourd’hui, donc de désacraliser le passé (par définition, le sacré est incommensurable au profane), afin de se mettre et d’être en position de faire des comparaisons entre hier et aujourd’hui, de repérer l’identité et la différence, d’analyser les ruptures et les continuités afin de dégager la singularité du monde d’aujourd’hui.

 

            Et voilà pourquoi madame Schulmann fut sanctionnée: non pas parce qu’elle faisait magiquement référence à l’Holocauste, mais parce qu’elle faisait réellement référence à l’holocauste. Elle ne l’a pas traité comme objet mort, dans un sens gouvernemental, mais comme objet vivant, objet possible de connaissance et d’action pour aujourd’hui. Elle est professeur, elle travaille le passé, avec le passé, mais c’est pour mieux comprendre le présent et anticiper des avenirs possibles. N’oublions pas une seconde que Madame Schulmann est professeur, elle sait qu’elle a des élèves en responsabilité. Elle n’a pas pour fonction celle de laquais du consensus, elle a pour fonction d’enseigner. Il y a aussi dans cet exercice, tout dans la violence de la réaction des journalistes le montre, quelque chose de ce Nietzsche qui disait à propos de l’enseignement de l’histoire: «  nous en avons besoin pour vivre et pour agir, non pas pour nous détourner commodément de la vie et de l’action... »[29].

 

            Si les médias tentent d'empêcher l'école de travailler, c'est pour une raison précise: la fonction des médias est de voler la mémoire, voler le sens, empêcher la transmission, pour pouvoir ensuite, éventuellement, imposer des bribes de mémoire officielle sous forme de tabous superstitieux. Par contre, le temps même de l'enseignement, qui implique à la fois continuité, organisation d'une progression, et bien entendu répétition, est insupportable pour qui fonctionne au scandale quotidien. L'école telle qu'elle est, malgré tous ses défauts qui sont réels, est l'un des derniers remparts contre la montée d’une nouvelle sorte de fascisme et de la démocratie consensuelle en France. Il faut donc lui ôter toute espèce d'efficacité sociale.

 

 

            VI. « OU BIEN... OU BIEN... » OU « NI... NI... »

 

            Une colossale entreprise pour empêcher toute transmission est à l'œuvre dans la société française. Dans un ouvrage récent, Michel Clouscard montre comment le capitalisme a mis en place « une terreur économique sans précédent: l’élimination de l’adversaire par l’élimination de son métier... »[30]. Cette entreprise a commencé dès la fin de la guerre et se poursuit de façon accélérée à partir des années soixante-dix. Eliminer des métiers, c’est du même coup transformer l’espace social, détruire les rythmes du temps, les mutiples et complexes rapports que les hommes entretiennent avec les choses, avec les autres hommes, et notamment, avec leurs enfants... Une entreprise de démolition du métier d’enseignant est déjà en place et fonctionne. Casser la transmission des cultures, des savoirs, des savoir-faire, cela implique de remplacer l'approche critique et réflexive, l'approche scolaire, par le tabou religieux. La violence n'a plus ensuite qu'a casser le tabou religieux. Mais rien n'est plus fragile que le tabou religieux, car il repose sur l'inhibition. Il suffit de lever l'inhibition et le tabou saute, laissant libre cours à la violence déniée. Nous sommes donc dans une situation que l'on pourrait, par euphémisme, qualifier d'inquiétante.

 

            On peut alors se demander pourquoi, en France, les médias ont tant besoin de leurs négationnistes. Pourquoi toute occasion est bonne pour médiatiser les négationnistes (voir récemment l'abbée Pierre, Roger Garaudy...) et pourquoi même ils se voient contraints d'en inventer lorsqu'il n'y en n'a pas (voir par exemple madame Schulmann)?

 

            A cela, je vois trois raisons. La première, c'est qu'ils veulent nous contraindre à « penser » dans le cadre qu'ils fixent eux-mêmes: « ou bien tu es négationniste, ou bien tu considères que l'holocauste est un tabou ». Sans la participation active des médias, le négationnisme serait, en France, un phénomène marginal. Si donc, il est si présent sur les antennes et dans la presse, c'est que les uns et les autres en ont besoin. En réalité, ce sont les deux mâchoires d'une même tenaille. Il faut donc rejeter les deux mâchoires en même temps, s’installer pour une fois dans le ninisme et, par exemple, ... lire Heiner Müller.

 

            Le jugement unanimiste porté sur l’holocauste est devenu le paradigme de tout jugement: c’est le Mal absolu, un point c’est tout. Tout jugement doit être réduit à sa plus simple expression, soit celui qu’on donne sous forme d’opinion soit celui qu’on donne sous forme d’impression ou de sentiment. On ne doit jamais dépasser le niveau de la simple « communication phatique » comme le dit Jacques Bouveresse[31]. Toute procédure discursive qui mettrait en œuvre « des longues chaînes de raisons » (Descartes), tout effort d’analyse qui s’engagerait sur « une voie extrêmement ardue » (Spinoza), tout travail critique « long et difficile » (Hegel), toute réflexion qui s’engagerait sur des « sentiers escarpés » (Marx), doivent être détruits. Madame Schulmann a eu cette idée de mettre en discussion non pas un jugement simple, une chose, une simple abstraction, l’Holocauste (la majuscule indiquant que l’on est entré dans un nouvel âge « métaphysique »), mais un rapport (sciences / éthique) dont les termes ne sont pas immédiatement compréhensibles et qui surtout engage d’autres séries de rapports, par exemple ceux des sciences et des autorités politiques, ceux des sciences et de la responsabilité morale du savant, ceux des sciences et des techniques (c’est-à-dire ceux des savants et des ouvriers), ceux de l’histoire et du devoir de mémoire, mais surtout de ses contenus possibles, mémoire vivante / mémoire morte qui mettent en question le présent comme tension entre le passé et l’avenir. Les journalistes, peu habitués au vrai travail scolaire comme au vrai travail intellectuel, sont alors « naturellement » tombés dans le piège des préjugés (Descartes) et des superstitions (Spinoza) constituant la substance même de leur métier, du moins du métier tel qu’ils l’exercent aujourd’hui.

 

            La seconde raison tient au fait qu'il faut absolument cacher l'état catastrophique dans lequel se trouve la France aujourd'hui, et surtout cacher cette misère dont sont victimes tant d'hommes, de femmes et de jeunes. Il s'agit donc partiellement d'une diversion. Partiellement, car cette diversion-là est tout à fait particulière. Le vide politique actuel étant insondable (absence cruelle de projets politiques, crise du politique, destruction du droit social, s'accompagnant de corruptions, scandales politico-financiers...), il faut bien faire quelque chose. La fausse lutte entre les nouveaux curés (les journalistes) et les démons (les négationnistes), en voulant combler ce vide artificiellement, ne fait que le creuser davantage.

 

            Enfin, nous le savons tous, depuis la Révolution française, la bourgeoisie est condamnée à vivre dans l’inquiétude. Aujourd’hui, les dégats humains que sa politique économique a produits, le degré de pourrissement de la vie politique sont tels que la seule question pertinente qui se pose est celle-ci, comme le montrait Igniacio Ramonet dans Le Monde diplomatique[32]: « Un désastre d’une telle ampleur peut-il demeurer sans riposte? ». Nous nous trouvons dans une sorte de situation d’urgence et devant une alternative dont les termes sont radicaux. D’un côté, par exemple, Ignacio Ramonet envisageait alors froidement un « Septembre rouge » comme possible: « Pourra-t-on éviter un grand chambardement?.. Comment les victimes de la crise exprimeront-elles leur indignation et leur courroux? M. Jacques Chirac sera-t-il comme le prévoient certains sociologues, le premier président de la République poussé à démissionner par la pression populaire? » D’un autre côté, la bourgeoisie est contrainte d’envisager toutes sortes de solutions de rechange possibles, même les pires. Tel fut son choix dans les années trente comme le rappelait Guy Debord: « Le fascisme a été une défense extrémiste de l’économie bourgeoise menacée par la crise et la subversion prolétarienne, l’état de siège dans la société capitaliste, par lequel cette société se sauve... »[33]. Aujourd’hui, une sorte de fascisme adapté à notre époque apparaît comme une des solutions possibles (il est clair que l’histoire ne se répète pas, que le fascisme ne reviendra pas, du moins comme il fut; mais le danger d’une catastrophe du même ordre ou , plus probablement, de plus grande ampleur, catastrophe dont nous n’avons encore ni le nom ni le concept, est d’autant plus à craindre qu’elle travaille déjà tous les pores de la société). A moyen terme, une autre solution est beaucoup plus probable. Un consensus idéologique est déjà en exercice, consensus qui s’approfondit, soit celui qui regroupe des forces politiques allant de l’aile droite du RPR en passant par le PS et l’UDF jusqu’aux tendances réformistes et/ou staliniennes largement majoritaires du PCF. S’il y a lieu et le moment venu, ce consensus idéologique pourrait se transformer ou se réaliser dans une sorte d’union sacrée politique ou d’union nationale provisoires contre le Front national. En même temps, à court terme, chacun tâche de s’installer, en rencontrant des difficultés de plus en plus grandes, dans une espèce de confrontation politique bipôlaire complètement artificielle et vide de contenu de telle sorte que chacun puisse se retrouver dans la position de gouverner soit sous l’étiquette « de gauche » (lire « étiquette de gauche » comme équivalent strict de « contenu politique de droite »), soit sous une étiquette « moderne » (lire « étiquette moderne » comme strict équivalent de « contenu politique de droite »). Au-delà de ces subtilités linguistiques, pures et médiocres acrobaties verbales, Chirac et Jospin sont d’accord sur l’essentiel - sauver la bourgeoisie. Le cas échéant, ils présenteront cette alliance comme ultime solution de sauvetage de la démocratie, elle sera mortelle pour la démocratie ou ce qu’il en reste aujourd’hui.... Ainsi voit-on mieux qui sont les véritables fossoyeurs de la démocratie. A ce moment-là, il ne restera plus qu’une alternative politique: Front national contre Front républicain, (en allemand on dirait Front national contre National Front!?) sauf si ...le peuple et surtout les nouvelles forces, les jeunes, s’en mêlent, en venant briser et faire exploser la démocratie consensuelle et toutes ces vieilleries pour peu qu’ils inventent des nouveaux chemins citoyens. Jamais la jeunesse ne s’est trouvée dans une situation politique aussi difficile et on voit à quel point fait cruellement défaut l’existence d’une force politique dont la fonction serait de dénoncer énergiquement, sans fard et de lutter de toutes ses forces, sans compromission, contre ce gigantesque complot.

 

 

 

 

 

            VII. DES CAPACITÉS DE RÉSISTANCE DE LA RAISON

 

            Triste alliance! Sainte alliance! Dangereuse alliance où l'on retrouve, aux postes avancés de la réaction politique, qui par intérêt politique (les médias), qui par désespoir social que l’on voudrait encourager (les parents d'élèves), qui par opportunisme intéressé (le rectorat), des forces considérables.

 

            Tout semble se passer comme si l'école était devenue une concurrente insupportable. Instance normative, l'école s'oppose aux médias, entreprise de normalisation. Lieu de construction de la mémoire, l'école se voit sommée de se taire par des forces chargées d'organiser l'oubli. Lieu d'enseignement des rationalités scientifiques, elle se voit opposer l'irrationnel comme vertu. Lieu d'enseignement des vérités, on lui oppose les rigidités du dogmatisme. Lieu laïc, on veut lui imposer les charmes du sacré.

 

            La déesse aux cent bouches parle d'une seule voix. Comme disait déjà Balzac: « Aujourd'hui, il n'y a plus d'opinions, il n'y a que des intérêts ». Les médias se soucient de l'information comme d'une guigne. Cette espèce de mise en scène qu'on ose encore appeler « informations télévisées » a pour fonction essentielle de structurer le paysage politique, comme l'imaginaire. Ils font et défont les réputations au gré des modes, canonisent leurs saints qu'ils brûleront demain. Aujourd'hui, ils agissent et fonctionnent comme l'église au moyen-âge, imposent ce qu'il faut ressentir faute de pouvoir penser. Il serait faux de croire qu'en cette affaire, les médias français ont agi avec légèreté; c'est leur mode d'être, leur mode de fonctionnement qu'ils imposent: ils pensent n'avoir de compte à rendre à personne, quoi qu'ils disent et de quelque façon qu'ils le disent, et s'estiment suffisamment géniaux pour obliger quiconque à leur rendre des comptes. C'est ce que Kant appelait naguère « le ton grand seigneur ».

 

            L'administration de l'Education nationale a, elle aussi, choisi son camp, elle semble avoir brocardé toute ambition de participer à l'enseignement d'un esprit critique aux élèves. Il s'agit plus pour elle de produire des « hommes conformes » comme le disait Nietzsche, conformés, conformistes, « formatés »[34]. Il faut tout simplement adapter les élèves aux lois du marché capitaliste. C’est ce que montrent les analyses d’Hervé Boillot et Michel Le Du: « Nous avons affaire actuellement à un véritable ‘darwinisme’ pédagogique qui fait de l’adaptation du système scolaire au ‘monde d’aujourd’hui’ la condition de sa survie. De telles conceptions ne manquent pas d’être indigentes... »[35].

 

            Il y a eu une époque où les parents d'élèves soutenaient tendantiellement les enseignants dans leur mission, c'est-à-dire ceux qui étaient chargés de transmettre un savoir à leurs enfants. On considérait alors le savoir, la vérité comme des valeurs. Aujourd'hui, on veut pousser les parents d'élèves à prendre la pente d’un soutien de l’administration[36], c'est-à-dire l'ordre, un certain ordre. Nous savons déjà dans quelle direction nous conduira cet ordre: comme l'écrivait déjà Musil: « Irgendwie geht Ordnung in das Bedürfnis nach Totschlag über » (Le besoin d’ordre conduit toujours au désir de meurtre).

 

            Dans leur masse, les professeurs, lorsqu’ils n’ont pas déjà renoncé, continuent à essayer d'enseigner des valeurs positives et considèrent qu'il est préférable de savoir plutôt que d'être ignorant; ils ont encore le souci de la vérité. Cela semble aujourd'hui devenu quelque chose d'aussi incongru qu'insupportable que des hommes et des femmes de toute obédiance politique ou religieuse continuent cependant à être d'accord pour dire que deux et deux sont quatre. Cette instance légiférante qui les tient tous en harmonie s'appelle la raison. Aujourd'hui, on fait valoir les droits du coeur et du sentiment. Il faut aujourd'hui plus que jamais se souvenir de ce qu'écrivait Hegel: « Ce qui est antihumain, ce qui est seulement animal, c’est de s’enfermer dans le sentiment et de ne pouvoir se communiquer que par le sentiment. »[37]

 

            Quelle raison veut-on produire? « ... une raison estropiée. (Une raison) réglable, prête à augmenter ou à diminuer plus ou moins automatiquement. (Une raison qui) doit pouvoir courir vite et loin, et revenir au premier coup de sifflet. (Une raison qui) doit savoir se siffler elle-même, sévir contre elle-même, se détruire elle-même. »[38]

 

            Si on peut aujourd'hui exercer les pressions les plus basses sur les professeurs, des parents d'élèves en pratiquant la délation, la presse en essayant de les installer dans la peur, l'administration en les sanctionnant, le tout les plaçant sous haute surveillance, si on peut aujourd'hui annoncer officiellement aux parents qu'ils sont encouragés à dénoncer quelque professeur que ce soit, pour la raison ou la déraison qui leur conviendront, ils recevront le soutien massif des médias et du ministère, il faut craindre que cette espèce de fascisme « mou » qui rampe de toutes parts ne se fasse encore « des muscles fermes et des joues roses ». Nous sommes placés dans une dramatique situation où il devient tendanciellement impossible d'enseigner.

 

            Mais... chacun doit vivre avec ses contradictions. Les médias sont devenus une énorme machine de destruction de la mémoire. Assumant la fonction jadis dévolue à l'église, ils sont en même temps contraints d'en assurer les charges, dont l'une, et non des moindres, est la transmission de la tradition, c'est-à-dire de la mémoire. L'Etat comme la grande bourgeoisie ont absolument besoin de casser l'école, ou du moins de la cantonner dans des tâches techniciennes, mais en même temps, ils ont absolument besoin de l'école comme lieu de transmission des savoirs. Comme le montrait Brecht dans des moments plus cruels encore: « La vaste diffusion de la raison par l'intermédiaire de l'école a déjà entraîné, outre une élévation de la production industrielle, une élévation non moins extraordinaire des exigences formulées par de larges masses populaires dans tous les domaines, leur revendication de pouvoir trouve ici un solide fondement. On peut établir le théorème suivant: les classes dirigeantes, dans le dessein d'opprimer et d'exploiter les masses, doivent investir chez celles-ci de telles quantités de raison d'une telle qualité, que l'oppression et l'exploitation elles-mêmes s'en trouvent menacées. Ces réflexions de sang-froid amènent à conclure que les gouvernements fascistes, en attaquant la raison, se lancent dans une entreprise donquichottesque. Ils sont obligés de laisser subsister, et même de susciter de grandes quantités de raison. Ils peuvent l'insulter autant qu'ils veulent, la présenter comme une maladie, dénoncer la bestialité de l'intellect: ne serait-ce que pour diffuser ce genre de discours, ils ont encore besoin d'appareils de radio dont la fabrication est l'oeuvre de la raison. Pour maintenir leur domination, ils ont besoin d'un potentiel de raison chez les masses égal à celui dont les masses ont besoin pour supprimer leur domination. »[39] On aimerait que cela soit ainsi, mais...

 

            ... gardons-nous d’un optimisme qui serait démobilisateur. Dans sa dernière pièce, Germania 3, Heiner Müller, faisant référence à la célèbre pièce de Brecht, La vie de Galilée, fait dire à l’un de ses personnages (Palitzsch): « Ce n’est pas Galilée qui a raison, c’est le petit moine »[40].

 

            Fin juillet. Ma collègue de physique a été sanctionnée, bizarrement sanctionnée. Le rectorat lui inflige un blâme et... promet de la soutenir dans ses démarches juridiques contre les diffamations dont elle a été victime dans la presse!? Décidément, comme dit une belle chanson de Jean Ferrat: « Jésus Marie. Quelle décadence. Quelque chose est pourri dans mon royaume de France. »

 

                                                                        Paris-Berlin, été 1996.

 

PS: Nous sommes maintenant début décembre, la rentrée est déjà loin. Quand j’observe la façon dont la situation se développe dans mon lycée et ailleurs, je dois dire que je n’ai pas un mot à retirer à ce que j’ai écrit cet été, au contraire. Mais, comme le chante Konstantin Wecker, avons-nous le droit « d’entrer dans ce bordel qui s’appelle l’avenir » sans résister?

 

 



[1]. J’ai d’abord écrit cet article en allemand. Il sera publié dans le numéro de décembre de la revue Utopie Kreativ. La traduction que j’en propose ici reprend l’essentiel du texte et introduit quelques remarques supplémentaires.

[2]. Jean-François Kahn, in L’événement du jeudi, n°1601, 27 juin - 3juillet 1996.

[3]. En réalité, il semble qu’aucun parent d’élèves ne s’est plaint auprès de la hiérarchie. Un seul parent a fait remarquer au principal du collège que cet exercice était un peu dur. Les trois plus importantes fédérations de parents d’élèves ont rédigé ensemble une information dans laquelle elles confirment ce fait. De la même façon, il semble qu’aucun professeur n’ait porté plainte, ni auprès de l’administration ni auprès des médias. Au départ, cette histoire est une minable histoire de politique électorale dont l’enjeu est la mairie de Maurepas, municipalité socialiste convoitée par le RPR. Il est donc intéressant en cette occasion d’observer comment le complexe politico-médiatique transforme la réalité et surtout tente d’infléchir les comportements.

[4]. Alain Brossat, Fêtes sauvages de la démocratie, Editions Austral, 1996, p.45.

[5]. Friedrich Nietzsche, Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, Paris, Gallimard, collection Idées, 1974, p.48, traduction de Jean-Louis Backès.

[6]. Alain Brossat, ouvr. cit., p. 137-138.

[7]. Ibid., p. 61.

[8]. Alfredo Bauer, Le faiseur des temps d’enfer. Non publié en français. Auteur d’origine autrichienne émigré en Argentine après l’Anschluß.

[9]. Bertolt Brecht, Ecrits sur la politique et la société, Paris, L'Arche Editeur, 1971, p. 195, traduction de Paul Dehem et Philippe Ivernel.

[10]. C’est, par exemple, ce que montre le dernier ouvrage de Jean-Paul Jouary, Enseigner la vérité, Essai sur les sciences et leurs représentations, Paris, Stock, 1996. Voir notamment l’analyse conduite dans la deuxième partie, point 8.

[11]. L’expression est utilisée par Jacques Lacan dans les Ecrits.

[12]. Pierre Legendre, « Melampous, le devin. Réflexions sur le pouvoir généalogique des Etats », in Melampous, 1995, n°4, p.7.

[13]. Jacques Rancière, La Mésentente, Politique et Philosophie, Paris, Galilée, 1995, p. 180.

[14]. Alain Badiou, L’éthique, Essai sur la conscience du Mal, Paris, Hatier, Optiques philosophie, 1994, p. 56-57. Voir également les analyses d’Alain Brossat dans L’épreuve du désastre, Le XXº siècle et les camps, Paris, Albin Michel, 1996, 500 p.

[15]. François Bayrou, in Le Monde, 5 juin 1996.

[16]. Jacques Rancière, ouvr. cit., p. 173.

[17]. Theodor W.Adorno, Minima Moralia, Paris, Payot, 1991, p.54, traduction de Jean-René Ladmiral. Minima Moralia, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag,1993, S. 66.

[18]. S.G. Raymond, « Néo-criminalité et médias », in Psychologues et psychologies, n°130-131, p.46.

[19]. Heiner Müller, Auschwitz kein Ende, Drucksache 16, Berliner Ensemble GmbH, 1995, traduction de Gilbert Molinier, Regards, n° 10, février 1996.

[20]. Ibid.

[21]. « Le père presse alors son cheval / Il frémit, il étreint dans ses bras le garçon qui gémit / Parvient au logis dans un ultime effort / Dans ses bras l’enfant était mort. »

[22]. Songeons, par exemple, aux tentatives criminelles de dépénalisation de la drogue.

[23]. Pierre Legendre, La fabrique de l’homme occidental, Turin, Mille et une nuits, 1996, p. 13.

[24]. Pierre Legendre, Les enfants du texte. Etude sur la fonction parentale des Etats, Paris, Fayard, 1992, p.8.

[25]. Pierre Legendre, Le crime du caporal Lortie. Traité sur le Père, Paris, Fayard, 1994, p.170.

[26]. Friedrich Nietzsche, Aurore, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1995, p. 150, traduction de Julien Hervier.

[27]. Alain Brossat, L’épreuve du désastre, ouvr. cit., p. 459. On peut ici rapporter ce discours à celui du ministre Bayrou.

[28]. Tchinguiz Aïtmatov, Une journée plus longue qu’un siècle, Paris, Messidor, Temps actuels, 1982, p.140 sq., traduction de Frédérique Longueville.

[29]. Friedrich Nietzsche, Considérations inactuelles II, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1992, p.93.

[30]. Michel Clouscard, Les Métamorphoses de la lutte des classes, Paris, Le Temps des Cerises, 1996, p.23.

[31]. Jacques Bouveresse, Rationalité et cynisme, Paris, Editions de Minuit, 1985, p. 203.

[32]. Ignacio Ramonet, « Septembre rouge », in Le Monde diplomatique, août 1996. Notons que le numéro de septembre reprend la même thématique sous la plume de Claude Julien dans un article intitulé « Vers le choc social ».

[33]. Guy Debord, La Société du Spectacle, Paris, Gallimard, 1995, p. 80.

[34]. Voir également Hervé Boillot et Michel Le Du, La pédagogie du vide, Paris, P.U.F., 1993, 229 p.

[35]. Ibid., p. 16.

[36]. Cette pente existe en réalité. Dans cette affaire, elle fut encouragée.

[37]. Ludwig FriedrichWilhelm Hegel, La phénoménologie de l’esprit, Paris, Aubier, 1977, p. 59, traduction de J. Hyppolite.

[38]. Bertolt Brecht, Ecrits sur la politique et la société, ouvr. cit., p.195.

[39].Ibid., p.196.

[40]. Heiner Müller, Germania 3, Gespenster am toten Mann, Köln, Kiepenheuer & Witsch, 1996, p. 54. Le texte est le suivant: « Ich denke manchmal, meistens in der Nacht/ Oder im Halbschlaf, wenn der Morgen graut/ Und der Atompilz spaltet meine Netzhaut:/ Der kleine Mönch hat recht, nicht Galilei» . »