L’ECOLE DESINSTITUTIONNALISEE[1]
Das Problem dieser Zivilisation ist, daß
sie keine Alternative zu Auschwitz hat.[2]
Heiner
Müller
L’Ecole n’est plus cette « sphère médiane qui fait passer l’homme du cercle de la famille dans le monde... »[3] Elle était le lieu du déjà plus et du pas encore ; elle sortait l’enfant d’un monde étroit, particulier où l’on disait, par exemple, « que la voiture va vite », pour apprendre l’universel, soit que « la voiture roule à une vitesse de cent kilomètres par heure » en attendant... de la conduire. Elle était ce lieu singulier où se transmettait la connaissance, elle transcendait les rapports émotionnels en rapports pensés et, en même temps, préparait à la vie dans le monde en le rendant intellectuellement compréhensible. Telle était la fonction rituelle, à la fois formatrice et transformatrice, de l’Ecole comme institution de la culture occidentale. Ces trois moments distincts de la vie humaine sont réduits à un seul ; la famille et le monde de l’entreprise sont entrés dans l’Ecole[4] pour l’écraser, famille et entreprise complètement transformées, désinstitutionnalisées. Pour quoi ? Comment ? Pour quoi ? Il semble qu’un pilier de l’Etat se soit écroulé.
On soutiendra ici le point de vue suivant qu’il n’y a pas de crise de l’Ecole, mais qu’elle n’existe plus, parce qu’elle a été systématiquement détruite aussi par ceux qui étaient chargés de la défendre. Cette véritable débâcle de l’Ecole est le résultat attendu, programmé, la production d’une entreprise politique tout à fait consciente de destruction des jeunes générations sacrifiées à l’aune du profit capitaliste. Plutôt que de lutter contre cette catastrophe, l’Ecole s’inscrit complètement dans cette politique. Il est pour l’instant extrêmement difficile de soutenir un tel point de vue, parce qu’il suppose de sortir de deux préjugés particulièrement tenaces : d’une part les politiques scolaires mises en œuvre sont le fait de la dite gauche plurielle, mais il s’agit d’une véritable imposture politique, d’autre part, il est très difficile de comprendre que l’Ecole s’attache de toutes ses forces à faire exactement le contraire de ce qu’elle devrait faire. A cela, on doit ajouter que cette entreprise de destruction massive des intelligences n’aurait aucune espèce de chance de réussir si elle ne recevait le soutien de millions de personnes, parents et enseignants. Mais la vérité finira bien par faire son chemin, car la réalité est contraignante.
L’intérêt des récentes publications consacrées à la crise de l’Ecole, à ses transformations, sa rénovation, ses difficultés, ne tient pas seulement au nombre important de livres publiés, une trentaine sont parus en septembre dernier, ce qui constitue déjà un signe, mais surtout à la qualité de leurs auteurs ; en effet, nombre d’entre eux sont enseignants. Les langues commencent à se délier. A lire quelques-uns de ces titres[5], La barbarie douce. La modernisation aveugle de l’école et des entreprises ; L’école désœuvrée ; La destruction de l’école élémentaire et ses penseurs ; L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes ; La gestion des stocks lycéens. Idéologies, pratiques scolaires et interdit de penser ; Tableau noir. Résister à la privatisation de l’enseignement..., il apparaît clair que l’on sort enfin des versions apologétiques des politiques ministérielles, mais aussi des analyses savantes proposées par la sociologie ou les sciences de l’éducation. Mais surtout, on sort des bavardages consensuels sur « l’égalité des chances », « l’Ecole de la réussite », « l’éducation à la citoyenneté » et autres fadaises inventées par les technocrates de la pédagogie.
Maintenant, si l’on considère la littérature consacrée à la crise de l’Ecole, alors on rencontre, grosso modo, trois types de réflexions. Le premier part de constats amers ou de plaintes témoignant de la souffrance des enseignants mis dans la position de ne plus pouvoir exercer leur métier. Malgré ses mérites, le constat fait de ne plus pouvoir enseigner pour les uns et de ne plus devoir apprendre pour les autres, s’il donne à voir ou à entendre quelque chose de la réalité, une tragédie, engage sur les chemins du couple d’opposés culpabilisation/déculpabilisation, soit les élèves, soit leurs parents, soit les enseignants, mais d’une culpabilisation dans laquelle on s’enferme sans se donner les moyens d’en sortir. Plus encore, cet abord de la question de l’enseignement verrouille toute possibilité d’atteindre un niveau d’analyse politique ou anthropologique.
Sous des formulations diverses, le point de vue des sociologues ou des spécialistes des sciences de l’éducation, soutient que c’est la massification, c’est-à-dire l’accès de toute une génération à la scolarité, notamment au collège et au lycée d’enseignement général, qui produit des effets que les premiers constatent. Or, et c’est ce que nous essaierons de montrer, la massification de l’enseignement n’explique rien du tout, elle n’est qu’un pitoyable bricolage conceptuel enfermé dans le monde étroit de l’Ecole regardant le monde scolaire à l’envers. Ces travaux spécialisés apprennent plus sur le statut ambigu de ces disciplines que sur l’Ecole elle-même, ils n’ont donc que peu d’intérêt pour avancer dans la compréhension de la crise de l’Ecole. De la même façon, le pseudo-concept de handicap socioculturel[6] n’est qu’un écran idéologique visant d’un côté, à rassurer les riches, et de l’autre à déculpabiliser les pauvres. Cette espèce de causalité étroite, obtuse, à la limite du racisme ne nous apprend rien sur la réalité, sinon sur celle de la sociologie comme « intégrisme de la culture ultramoderne »[7]. Certes, l’accès massif d’enfants de pauvres à l’enseignement secondaire pose des difficultés, parce qu’il est tendantiellement plus difficile à un enfant de pauvre de s’approprier une culture qui lui est largement étrangère. Ce point de vue fait l’impasse sur la question politique. Cette théorie reste prisonnière d’une conception substantialiste de l’intelligence ; elle est la version du racisme biologique de l’âge de la démocratie. Enfin, ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui, ce n’est pas à une difficulté, mais à une impossibilité d’enseigner, impossibilité programmée par les dernières réformes imposées par les derniers ministres de l’Education nationale.
Et pourtant, il faut en convenir aussi : il est impossible de comprendre ce qui se passe dans l’Ecole sans y entrer vraiment, sans y être vraiment, sans analyser sans fard ses conditions de fonctionnement, les buts réels qu’elle poursuit..., mais aussi, sans en sortir, sans faire, en même temps, un détour qui la replace dans son cadre politique. La parution de ces quelques ouvrages récents permet d’espérer raisonnablement que nous allons bientôt sortir de ces faux débats organisés par les tenants de la pensée unique éducative. Malgré leurs différences d’approche, tous ces ouvrages font la démonstration qu’il est impossible de penser l’Ecole aujourd’hui sans revenir sur les stratégies politiques, économiques, voire guerrières, qui sont à l’origine de toutes les transformations qu’elle a subies. Elles offrent l’avantage de montrer que l’échec massif de l’enseignement s’accompagne d’un immense succès politique.
Ces analyses pessimistes, donc
lucides, sur l’état présent et le devenir de l’Ecole ne seraient-elles pas, en
réalité, autant d’interrogations inquiètes sur l’avenir de la jeune génération
et, au-delà, sur la possibilité de la vie humaine dans le monde à venir bientôt
? Cette catastrophe nationale organisée dans l’Ecole par des scientistes fous
n’en annonce-t-elle pas de plus redoutables encore ? L’état dans lequel se
trouve la jeunesse aujourd’hui ne préfigure-t-il pas déjà le monde de demain,
monde qui est déjà là, monde qui frappe à la porte ? Les nouvelles générations
sont systématiquement détruites, maintenues en état de narcose ; une question
lancinante est posée : qu’adviendra-t-il lorsqu’il leur faudra prendre la
succession de leurs pères ?
I LES PROUESSES DE L’ECOLE
Il suffit d’enseigner quelques semaines dans un collège ou un lycée pour constater que les phénomènes qui parasitent l’enseignement n’ont pas grand chose à voir avec la massification, sinon de façon anecdotique, et pour se convaincre que l’impossibilité d’enseigner n’a vraiment pas grand chose à voir avec les déficits intellectuels. Il suffira ici de rappeler quelques faits qui sont de plus en plus le lot quotidien des enseignants et des élèves. Par exemple, dans un collège de Montreuil, trois élèves de sixième ont été exclus pendant huit jours pour s’être masturbés sur la tête d’une jeune fille de la même classe au CDI, et ceci, pendant les heures d’ouverture du dit CDI ; dans un lycée de Saint-Ouen, il aura fallu deux jours de lamentables discussions aux enseignants et à l’administration, encouragés par des syndicalistes véreux, pour admettre qu’une jeune fille de dix-sept ans, que deux camarades de sa classe avaient obligée à leur faire une fellation dans les toilettes, avait bien été victime d’un viol ; dans un grand lycée parisien, un proviseur a préféré se taire plutôt que de rappeler à la légalité des élèves qui avaient proféré à son endroit des menaces de mort et, autant que je sache, il ne s’agissait nullement d’une plaisanterie. Dans une des dernières livraisons de Télérama[8], des jeunes enseignants témoignent de la réalité de leur travail. Catherine, 30 ans, prof. de français en ZEP de la région parisienne raconte : « Il y a des émeutes : 200 élèves qui commencent à se battre dans tous les sens, [...] Il y a des suicides, des incestes, de la prostitution... ». Laurence, 27 ans, prof. d’anglais en ZEP, banlieue parisienne : « Dans le lycée, il se passe des choses hallucinantes. Des filles qui faisaient des passes à 10 francs dans les salles vides, des excréments sur le bureau des profs. Les élèves qui pissaient dans les couloirs et, quoi qu’on fasse, ils pissent toujours. Ils fument du hasch, d’ailleurs tout le monde fume partout alors que c’est interdit. C’est du délire... ». On ne compte plus le nombre d’enseignants victimes d’agression. Est-il nécessaire de rappeler ici, le nombre d’actes de violence caractérisés qui font partie de la vie quotidienne des enseignants et des élèves ?
Mais ces choses ne parviennent encore que difficilement à la connaissance du public parce que les médias les taisent, par calcul politicien ; les enseignants se taisent, par honte et par peur ; les parents par culpabilité ; les gestionnaires sont mus par le « Pas de vagues, surtout que rien ne se voie, sinon une mer étale. », ou par le souci de leur carrière et de leur promotion, et ainsi, tout le monde vit dans la négation... Tous ensemble, nous nous taisons parce que, le plus souvent sous couvert d’un activisme désordonné, débile, nous avons démissionné. Ces choses sont sues mais elles sont tues, lorsqu’elles émergent, elles sont pensées comme débordements ; en somme, elles ne sont que rarement comprises pour ce qu’elles sont. Or, ces exceptions sont si fréquentes qu’on ne peut plus les classer comme telles ; pas plus, on ne peut les ranger comme comportements limites ou pathologiques ; s’il s’agit de pathologies, elles sont complètement artificielles, fabriquées. Certes, cela n’est pas de la seule responsabilité de l’Ecole, mais cela se passe aussi dans l’Ecole, et ceci concerne avant tout le destin des jeunes générations. Face à de tels « événements », nous sommes tous interpellés, enseignants et gestionnaires, syndicalistes et politiques, policiers et juristes, parents et jeunes..., chacun à son endroit. Nous regardons sans voir, en voulant ne pas voir que nos enfants se tuent devant nos yeux, et nous laissons faire, par lâcheté et par peur. Mais comment cela s’appelle-t-il donc sinon non-assistance à personne en danger ? Mais que se passe-t-il donc ?
Que dire encore de cette impossibilité d’enseigner qui pourrit à la fois la vie d’enseignant et celle des élèves ? Dans les classes dans lesquelles nous enseignons, nous devons affronter chaque jour des murs de fortifications qui sont autant de protections utilisées par des jeunes qui vivent souvent leur scolarité comme une dangereuse agression, constructions qui constituent de véritables inhibitions ou interdits de penser. Nombre d’entre eux sont à peine capables de lire un texte, et plus encore de commencer à y trouver un sens. La plupart d’entre eux ont l’air de se foutre complètement de ce qu’on essaye de leur apprendre, comme ils ont l’air de se demander ce qu’ils font là, ou ce qu’on attend d’eux, en même temps qu’ils s’installent dans des positions d’angoisse dès qu’ils comprennent quelque chose, et pourtant, plus de 60% d’entre eux obtiennent le baccalauréat à la fin de l’année à la grande satisfaction, ou plutôt, au grand soulagement des autorités administratives et des enseignants ; seuls les élèves accueillent ces succès comme une divine surprise.
Et que dire encore de ces autres phénomènes, massifs, mais surprenants tout autant que déconcertants par leur ampleur : l’absentéisme scolaire, en tant qu’il engage une présence en un lieu ; le bavardage, en tant qu’il témoigne d’un rapport singulier à la parole et à l’autre ; l’impossibilité de faire des exercices, en tant qu’elle concerne l’appropriation de qualités nouvelles par le travail, sans rien dire de cette espèce d’aboulie qui s’est emparée des jeunes et ronge chaque heure de cours aussi efficacement que l’acide sulfurique ronge le cuivre. Mais le plus spectaculaire qui se donne à voir et à entendre, nous le rencontrons à chaque heure de cours, corps désarticulés, langues en miettes, débordements d’amour, questions éminemment politiques.
I.1) Corps désarticulés
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est à une désinstitutionnalisation du corps. Nous rencontrons des corps hors-la-Loi, en ce sens que « les sciences de la Loi ont pour objet de faire marcher des corps, parce que l’ordre de la Loi passe par le corps. »[9] La place et la position du corps obligent, dans l’espace de la classe, à s’interroger sur la réalité du lieu dans lequel l’enseignant est installé, lieu devenu étrange : le bien connu devient tout d’un coup opaque, incertain, troublant. La dislocation du corps témoigne de l’impossible du corps. Objet encombrant ? Comment s’arranger avec soi ? Comment vivre son et dans son corps ?
Par exemple, se lever ? Pour pouvoir s’installer en classe, il faut d’abord se lever, se laver, se vêtir... Se lever, s’inscrire dans les rythmes du temps, se plier aux exigences d’un emploi du temps, aux alarmes du réveil, ce n’est pas si simple : l’absentéisme scolaire en témoigne... S’asseoir ? Il est difficile pour qui n’est pas enseignant de comprendre ce qui se passe dans une classe sans savoir comment les élèves ont tant de difficultés à s’y installer. Rester assis ? Mais ces corps sont incapables de se tenir, incapables de tenir en place, incapables de tenir leur place. Tenir en place, pouvoir tenir en place, c’est pouvoir tenir sa place. Ce sont pourtant les « présupposés » à partir desquels il devient possible d’enseigner. Il y a aussi un sens métaphorique du corps. Tenir en place est bien une condition nécessaire pour pouvoir tenir une position voire même une position théorique. Si les corps ne tiennent pas en place, c’est d’abord parce qu’il n’y a plus de place assignable au corps, sinon sous une forme morcelée, éclaté, corps morcelé de l’infans.
Nous sommes confrontés à un problème majeur par les questions qu’il charrie en amont (soit les échecs de l’éducation dans la petite enfance) et les impasses qu’il développe en aval (soit les désarticulations qu’il produit). Le corps est le lieu à partir duquel se produit la première approche de soi et de l’autre, de soi par l’autre, mais c’est aussi par ses activités corporelles que le jeune enfant intègre ces premières distinctions fondamentales que sont soi et l’autre, l’absent et le présent, le haut et le bas, la droite et la gauche, le dedans et le dehors, le sensible et l’intelligible, l’immobilité et le mouvement, le stable et l’instable et, plus tard, le masculin et le féminin. Les premiers rapports du nourrisson avec le monde sont des rapports sensoriels, ou/et affectifs ; on a l’impression que rien n’a bougé. La danse et la musique font partie de l’éducation parce qu’elles sont apprentissage de la mesure, de la proportion et du rythme, elles permettent d’échapper « à la sauvagerie de la bête fauve » : « C’est donc en vue de cette double fin [rythme et grâce] qu’un Dieu, dirais-je, a fait don aux hommes, autant qu’il semble, de ces deux arts, musique et gymnastique. »[10] Mais où sont pratiqués ces enseignements ?
Le corps de nombreux élèves n’a pas été formé à la légalité, il erre dans d’autres lieux, lieux de la sauvagerie, lieux désarticulés, lieux asociaux, lieux du plaisir immédiat, à la limite du plaisir animal. Tout sens de la normativité semble s’être perdu. Ainsi, la classe est un lieu atopique où les élèves ne voient plus de différence entre la classe et la salle à manger, comme il est très probable qu’ils ne voient plus de différence entre la rue et la classe, le couloir et la cour de récréation et, la chambre et la cuisine, la chambre de leurs parents et la leur (ce qui est bien plus grave)... La place et la position des corps obligent, dans l’espace de la classe, à s’interroger aussi bien sur la place que l’enseignant est censé occuper ou la fonction dont il est chargé. D’autant qu’on cherche tout le temps à les lui ravir ! Ainsi, nous vivons des situations ahurissantes où les élèves tentent de déporter l’enseignant de sa place, où les enseignants se prennent pour des assistantes sociales, ou bien, pire encore, se prennent pour papa-maman-remplaçants, où les associations de parents d’élèves se prennent pour les censeurs des études ou des inspecteurs pédagogiques, tandis que les organisations syndicales jouent au proviseur, ces derniers jouant à leur tour au chef d’entreprise, quand ils ne se prennent pas pour le démiurge...
En ce sens, on peut dire que nous nous trouvons confrontés à des questions d’ordre anthropologiques. Nous devons réaliser d’impossibles exploits, avec des jeunes incultes, non pas en ce sens où ils ne savent rien de scolaire, mais en celui-ci qu’ils n’ont pas appris à dépasser le stade de la simple sensation, non pas en ce sens où ils n’auraient aucune culture savante, mais en celui-ci qu’ils sont restés prisonniers de rapports incestueux, car telle est l’origine du mot inceste : « Notons en passant l’étymologie, à partir de l’adjectif incestus, le contraire de castus, éduqué, qui se conforme aux règles ou aux rites, mais castus a pris aussi une partie des sens formés sur le verbe careo, manquer de : exempt de, pur de, chaste. L’inceste est la négation des deux plans : la règle et le manque. »[11] Nous sommes obligés de reposer la question de Spinoza : « Personne, il est vrai, n’a jusqu’à présent déterminé ce que peut le Corps. »[12] Mais que se passe-t-il donc ?
I 2) langues en miettes
Ce désordre du corps ou ce corps en désordre, ce corps prisonnier dans son narcissisme, on le retrouve dans la parole. Retour à Spinoza : « [...] l’expérience l’a montré surabondamment, rien n’est moins au pouvoir des hommes que de tenir leur langue. »[13] La parole ne tient plus debout, pas plus que les corps. Une espèce de logorrhée assommante, sorte de dégueulis verbal, atteint une grande majorité d’élèves. Il semble qu’ils ne puissent pas, sans souffrir, et il s’agit d’une réelle souffrance, rester plus de cinq minutes silencieux. Ils ne peuvent pas plus parler, dire quelque chose qui soit de l’ordre du raisonnement ; et pourtant, ils ont la conviction de parler, mais ils n’ont appris qu’à bavarder. Ils sont installés dans le monde du bruit, dans celui du plein. Ils sont les enfants de l’âge des médias, pris dans le journalisme, cette « couche de colle visqueuse » comme disait Nietzsche. Le bavardage empêche toute parole de venir au jour car « le bavardage est nativement une fermeture. Fermeture encore aggravée par le fait que le bavardage, où soi-disant est atteinte la compréhension de ce dont il est parlé, retient, et même réprime et retarde de façon spécifique, sur la base de ce ‘soi-disant’, tout questionnement et tout débat nouveau. »[14] Afin de se protéger de l’invasion des savoirs à l’intérieur de soi, on meuble les cours avec du vent. Le bavardage est aussi affirmation de l’angoisse d’être envahi par quelque chose de nouveau, refus d’abandonner ses préjugés comme de se transformer. Le bavardage a une fonction politique : il n’engage à rien et en rien.
Le discours consensuel conduit les élèves dans des impasses redoutables ; en effet, un de ses leitmotiv tient en ce que toutes les opinions se valent, alors, en vertu de cette machine destructrice de toute pensée, l’enseignant ne fait plus un cours digne d’être appris, mais dispense son opinion qui vaut celle de tout autre. La parole de l’enseignant, qui ne vaut que pour ce qu’elle transmet de culture, qui vaut comme parole-relais de règles ayant fonction référentielle, ne vaut, dès lors, pas plus que le plus anodin, le plus insignifiant des bavardages. Les chantiers de la rationalité sont désertés, chacun peut faire parler son cœur. Il n’y a plus de référence, plus de connaissance objective qui vienne régler les « désaccords ». Il n’y a plus besoin d’apprendre et les notations deviennent un mystère dont seules les lois de l’amour peuvent rendre compte : « Si j’obtiens une bonne note, c’est que mon opinion se rapproche de celle du professeur, donc le professeur a une bonne opinion de moi, donc il m’aime, les résultats inverses conduisant aux conclusions inverses. »
Comment se fait-il que des élèves arrivent en terminale en ne sachant ni fabriquer une phrase ni, s’ils parviennent à en fabriquer une première, à l’articuler à une seconde de telle sorte qu’il y ait un rapport entre les deux ? Comment se fait-il que des élèves de vingt ans et plus, parviennent en terminale, soit après plus de douze années de scolarité, sans pouvoir lire un texte autrement qu’au mot à mot ? Comment se fait-il que les mêmes ne sachent ni conjuguer un verbe ni faire la différence entre « un » (article indéfini) et « le » (article défini), entre « l’Homme » (universel abstrait) et « les hommes » (universel concret), entre « penser » (qui renvoie à un agir), « le penser » (qui renvoie à un contenu) et « la pensée » (qui renvoie au contenant du contenu) ?
Lorsque nous essayons de lire un texte, les élèves n’ont aucun outil qui leur permette de commencer à le décortiquer parce qu’ils ne savent pas faire la différence entre un exemple, une thèse ou une définition ; parce qu’ils ne savent pas plus faire la différence entre une description et une explication, et s’ils les distinguent, ils ne savent qu’en faire...
Lorsqu’on lit des textes écrits par des élèves de terminale, on est saisi d’effroi. Non seulement parce que l’orthographe a presque complètement disparu (singulier/ pluriels, accords, conjugaisons), ce qui rend de nombreux textes incompréhensibles, mais surtout parce que toute ponctuation est absente. Nous devons lire des corps d’écrits sans squelette, amorphes, qui témoignent, dans l’écrit, de la débâcle du corps comme rapport à soi même. Pourtant, l’acquisition de ces distinctions élémentaires, qui n’en sont pas moins fondamentales, renvoyant aux structures mentales du temps, de l’espace et du mouvement, est à la portée de chaque enfant. Alors, que s’est-il passé ?
La plupart des élèves que nous rencontrons sont incapables de produire un raisonnement hypothétique, aussi parce qu’ils n’ont plus la mémoire de ce qu’ils disent, comme si une machine broyait leurs mots à mesure qu’ils les disent. De la même façon, ils sont incapables de suivre un raisonnement hypothétique : d’un « Si je dis que, alors... », ils n’entendent ni le « Si » ni le « ... alors ». En tant que moyen de structurer le temps, en tant que cadre nécessaire à la constitution de l’imagination, de la pensée du possible, le raisonnement hypothético-déductif doit être détruit. « Ceci est vrai si et seulement si... » En tant que le raisonnement logique est un moyen, une voie royale, pour accéder à la pensée, il doit être détruit. La conscience politique des jeunes a sérieusement souffert parce qu’ils ne sont ni formés à la grammaire ni aux raisonnements dont le modèle est celui offert par les mathématiques, mais cela fait belle lurette que les spécialistes des sciences de l’éducation ont brocardé ces disciplines qui relèvent, comme ils disent, de « l’impérialisme du cognitif »[15].
Tout se passe comme si chacun, parvenu au stade de l’individualité achevée, enfermé dans une sorte d’autisme, produisait son propre texte, lisible par personne, fût-ce par son auteur. Tout se passe comme si chacun n’était même plus en mesure de rendre compte à quiconque de ce qu’il veut dire soit par la parole soit par l’écrit. Tout se passe comme si la langue, en dehors de quelques messages ou codes seulement compréhensibles par une petite communauté, n’existait plus. Ces jeunes sont absolument hermétiques à l’ironie comme à l’humour, parce qu’ils ont été rendus stupides à ce point que la polysémie des mots leur est complètement étrangère. Parler ne sert plus qu’à donner des ordres ou à commander... un sandwich dans un fast-food. Mais « L’étendue de l’illettrisme serait même un secret bien gardé en France. Dans le journal Libération, daté du 7 décembre 1995, un article révèle que la France s’est retirée d’une enquête de l’OCDE qui lui attribuait un pourcentage très élevé d’illettrés. »[16]
I 3) la loi de l’amour
Quelle que soit la question abordée, tenue du corps, langage, grammaire, on bute toujours sur les mêmes questions, celles de la loi et de la norme. Toutes les médiations absolument nécessaires aux acquisitions scolaires, puisqu’elles en constituent la substance même, sont systématiquement rayées de la carte scolaire au profit d’une carte du Tendre. Aujourd’hui, comme les savoirs, médiateurs indispensables structurant les rapports enseignants-enseignés, sont officiellement largués, grande est la tentation, lorsqu’on est éducateur, de se réfugier sur les rivages de l’amour plutôt que de s’embarquer sur les sentiers escarpés de la science. Si de nombreux élèves ont tendance à réduire les exigences scolaires à leurs seules dimensions affectives et relationnelles, de nombreux enseignants se réfugient dans le maternage. Ainsi, les contenus des disciplines ne sont plus que pré-textes aux délires amoureux, incestueux[17], entre les uns et les autres. Les textes, références obligées et organisatrices d’une discussion, d’une controverse, d’un dialogue, s’envolent ; restent les corps qui se regardent s’attirent et se repoussent, roulant au hasard des rencontres électroniques, boules affectives secouées par un fleeper à la taille d’une classe. Chacun y perd sa place, tout en perdant... la boule.
En même temps, l’Ecole devient le substitut de la famille en déroute ; alors, bien qu’ils soient à l’école, les élèves restent à la maison, collés à leur mère. Tout s’y reproduit à l’identique. Sait-on alors ce que cela génère d’angoisse, de faux amours, de vraies haines et d’innombrables malentendus ? Combien d’élèves pensent-ils que la volonté des enseignants est de les faire échouer à leurs examens parce qu’ils ne comprennent pas immédiatement un énoncé ? Toute souffrance, tout effort d’apprendre sont considérés comme des violences faites au moi, violences insupportables, parce que « Les dents qui percent provoquent une démangeaison, une irritation des gencives, et c’est bien ce genre de douleurs que ressent l’âme de celui dont les ailes commencent à pousser »[18].
Les impasses dans lesquelles se retrouvent les élèves, impasses dans lesquelles ils se complaisent eux-mêmes, dussent-ils en souffrir, ne sont pas d’ordre intellectuel, ils sont pris dans un phénomène de déritualisation des apprentissages. « De véritables pièges pédagogiques sont mis au point par des didacticiens : on oblige les enfants à deviner au lieu de comprendre, en obscurcissant délibérément la présentation des connaissances. »[19] Tous les exercices sont réduits à leur dimension ludique, ainsi on reste toujours dans la question du comment, sans jamais pouvoir aborder celle du pourquoi.
On peut bien apprendre à
apprendre, mais il est tout aussi certain que l’on peut apprendre à ne pas
apprendre ! Personne ne fera jamais croire qu’un élève ne puisse pas rester en
place plus de deux minutes sans qu’on le lui ait appris, personne ne fera
jamais croire qu’un élève de dix-huit ans ne puisse articuler une phrase sans
qu’on le lui ait appris, personne ne fera jamais croire qu’un élève de dix-huit
ans ne puisse écrire une phrase sans qu’on le lui ait appris. Personne ne fera
jamais croire, à moins d’avoir chaussé les œillères de la sociologie ou de
sciences de l’éducation, que toutes ces tragédies sont imputables à l’entrée
massive des enfants de pauvres dans les collèges et lycées d’enseignement
général.
« L’homme a naturellement la
passion de connaître », disait Aristote ; mais quelle odieuse entreprise a
pu rendre toute une génération insensible à la rigueur de la poésie comme aux
charmes des mathématiques ? Quelle odieuse entreprise a pu, à ce point, rendre
insupportable toute velléité d’apprendre ? Il serait injuste d’attribuer de
tels exploits à l’Ecole seule. Mais, confrontés à de tels dégâts psychiques,
face à une telle catastrophe intellectuelle, face à une telle déroute de la
pensée, il faut bien poser une question qui semble encore inaudible. Tout ce
qui se présente comme rénovation pédagogique, modernisation de l’Ecole, même
vêtu d’habits de gauche, n’est-t-il pas l’ équivalent pour l’Ecole, de la
modernisation des entreprises ou de la modernisation des villes, soit des
stratégies d’expansion du capitalisme en temps de paix... En attendant la
guerre ?
II
COMMENT L’ECOLE A-T-ELLE ETE REPENSEE ?
De tous côtés, de droite comme de gauche et d’ailleurs, on appelle les enseignants à la modernité. « Préparons l’Ecole de demain. », « Construisons l’Ecole du XXIe Siècle. », « Fabriquons une Ecole moderne. », « Finissons-en avec les archaïsmes. », « Finissons-en avec les conservatismes. »... C’étaient les rengaines du prudent Bayrou, préparant son destin national, ce sont celles du fonceur Allègre qui en rajoute en partant courageusement à la chasse au mammouth (« Dégraissons le mammouth ! ») ; ce seront très probablement les rengaines du suivant... A l’origine de ce chambardement, on trouve les « Propositions pour la rénovation pédagogique du lycée présentées » par Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des sports. D’un autre côté, en complet décalage par rapport aux réalités, on réclame des « moyens pour l’Ecole » sans articuler cette question à celles des fins de l’Ecole et sans s’interroger vraiment sur ce qui s’y passe réellement, c’est-à-dire sur les contenus et les formes de ce qu’on y enseigne. Voilà pour l’esbroufe.
II 1) la marchandisation de
l’enseignement
Derrière ces incantations sirupeuses, il y a l’inévacuable réalité : citant l’ERT (European Round Table[20]), Gérard de Sélys et Nico Hirtt écrivent que « l’éducation et la formation sont considérées comme des investissements stratégiques vitaux pour la réussite future de l’entreprise »[21] et plus loin, se référant à un « document de travail » de la Commission européenne sur « L’Education et la formation à distance », que : « L’enseignement à distance [...] est particulièrement utile [...] pour assurer un enseignement et une formation rentables. [...] Le monde des affaires devient de plus en plus actif dans ce domaine, soit en tant qu’utilisateur et bénéficiaire de l’enseignement multimédia et à distance, soit en tant que concepteur et négociant en matériel de formation de ce type. »[22] et, plus loin encore, qu’une réunion extraordinaire du G7 consacrée à la « Société de l’information » indique que « la responsabilité de la formation doit en définitive être assumée par l’industrie [... parce que...] Le monde de l’éducation semble ne pas bien percevoir le profil des collaborateurs nécessaires à l’industrie [... et que ...] L’éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique. »[23]
La formation est assimilée à une marchandise et entre donc dans le circuit des marchandises, à tel point que « dans la pratique de la Commission européenne, l’élève est devenu un ‘client’ et le cours un ‘produit’ .»[24]. Un spécialiste américain des sciences de l’éducation écrit qu’« A New-York, les journaux font paraître tous les printemps le classement des écoles afin que les parents puissent inscrire leurs enfants en tant que futur-e-s écoliers-ières. Depuis de nombreuses années, ces listes circulent également dans les gérances, car le prix d’achat d’une maison ou d’un appartement dépend des performances des écoles implantées dans son voisinage. »[25] La gestion décentralisée des établissements scolaires a pour objectif d’arrimer les lieux d’enseignement aux bassins d’emplois, elle est donc un élément du puzzle de la privatisation de l’enseignement. La décentralisation remplace un type de dépendance de l’Ecole par rapport à l’Etat par une dépendance par rapport à l’industrie de la formation, qui fonctionne selon le principe de la recherche du profit. C’est dans ces conditions que l’Ecole a été complètement repensée.
II 2) l’ouverture de l’école sur la
vie
Se voulant moderne, l’Ecole s’est « ouverte sur la vie » ; c’est la voie qu’elle a choisie pour mieux réaliser ses objectifs ambitieux, la livrer aux appétits du marché. Que se passe-t-il alors ? Un lieu relativement protégé, où le savoir avait trouvé refuge est envahi par les marchands dont l’objectif est de réaliser des profits. Insensiblement les lycées se transforment en marchés, marché aux drogues organisés par des bandes mafieuses installées dans les établissements, marchés aux ordinateurs, multimédias, aux cours clefs en mains : car « L’éducation et la formation sont considérées comme des investissements stratégiques vitaux pour la réussite future de l’entreprise. »[26]
Insensiblement, les lycées se transforment en agences de voyage, et les enseignants sont conviés à devenir une fois l’an, animateurs de colonies de vacances ; insensiblement, les lycées se transforment en centre d’accueil ou salles d’attente ou lieux de parcage, et les enseignants sont chargés, malgré eux, d’anesthésier les jeunes lentement, afin de tuer en eux toute volonté de révolte. On transforme les lycées et les collèges en lieux de plaisir et de convivialité : « il s’agit avant tout de dresser la jeunesse moderne à la consommation généralisée »[27]. Le modèle culturel de l’amusement est un mixte de Mc Donald’s et Disneyland. A propos de Disney, Michael Eisner, Président du directoire de la Walt Disney Compagny, pouvait dire : « L’industrie américaine du divertissement, résultat d’une liberté créative sans borne, produit une originalité que l’on ne retrouve en aucun autre endroit du monde. »[28] Nous vivons à Mahagonny : « Fondons ici même une ville / Appelons-la Mahagonny/ C’est-à-dire ville-piège ! / Elle s’étendra comme un piège / Où se prendront de succulents oiseaux / Partout on peine et on travaille, / mais ici on s’amusera / Car les hommes n’ont qu’un désir : / Ne pas souffrir et faire ce qui leur plaît / Voilà le vrai filon : / Gin et whisky / Femmes et petits garçons / Il y aura sept dimanches par semaine. »[29] Les disciplines, ramenées à leur valeur marchande, sont dès lors monnayées et achetées comme telles par des élèves transformés en consommateurs. Car tel est l’objectif poursuivi par l’Ecole : « [...] fabriquer des consommateurs de droit, intolérants, procéduriers, et politiquement corrects, qui seront, par la même, aisément manipulables tout en présentant l’avantage non négligeable de pouvoir enrichir à l’occasion, selon l’exemple américain, les grands cabinets d’avocats. »[30]
II 3) l’entrée des « parents
d’élèves » dans l’école
L’éducation est devenue une préoccupation familiale majeure, entreprise pour laquelle les parents investissent tous leurs espoirs (et beaucoup d’argent) sous un mot d’ordre tout à fait respectable même s’il n’est pas très difficile d’en voir toutes les ambiguïtés. L’expression désormais consacrée « parent d’élève » contient déjà, en elle-même, le programme (génétique ?!) selon lequel ce sont les parents qui engendreraient des élèves ! Régis Debray a relevé cette aberration : « Les parents font des enfants ; mais c’est le professeur qui institue l’élève, d’après certaines règles, et l’expression ‘parent d’élève’ signe un délit d’ingérence autant qu’un abus de pouvoir. Ce n’est pas aux parents de dire aux maîtres ce qu’ils doivent faire en classe ; en dernier ressort, le maître ne se doit qu’à la logique interne de sa discipline. »[31]
Ce souci, aussi légitime que peu soucieux de la réelle formation de jeunes cultivés, est structuré sur une charge énorme d’angoisse, angoisse qui se transmet et ne favorise guère les apprentissages. Les « parents d’élèves » en tant que masse s’arrogent le droit d’intervenir dans les affaires scolaires sans égard pour l’enseignement des disciplines : « Les parents n’élèvent ordinairement leurs enfants qu’en vue du monde actuel, si corrompu soit-il. »[32] Alors, que de malentendus entre les enseignants et les parents sur le terme de réussite..!
On construit ainsi une société sans classe et on fabrique une société des familles mue par la « tête de la passion ». Récemment, Robert Redeker écrivait : « L’école existe pour permettre aux enfants d’apporter aux parents ce qu’ils y auront appris [...] Là est l’axe de l’enseignement républicain. La cour aussi éhontée que cynique faite par Allègre aux parents d’élèves renverse ce principe : les parents désormais seront les maîtres à l’école. »[33] Déportés de leur lieu, les enseignants deviennent alors les parents de leurs élèves qui ne savent plus où ils sont : « [...] désormais, aucun enfant ne pourra se protéger par l’école du regard de ses parents, ni l’inverse. Du même coup chacun est voué à la perpétuation de la rumeur familiale dans l’école et de la rumeur éducative dans la famille. Il est difficile d’en attendre autre chose qu’une structure étouffante. »[34]
II 4) l’évidage du sens des
disciplines
Le nom d’école est resté ; le contenu est radicalement transformé. L’école est gérée comme une entreprise. On traite les élèves comme matière première à transformer aux fins de remplir des tableaux statistiques. Le tout visant à « confectionner des sujets dont on n’attend même plus au fond qu’ils soient adaptés à des fonctions instituées et déterminées mais qu’ils le soient à l’injonction même, permanente et multiforme, de s’adapter. »[35]
Elle consiste à faire accroire que l’enseignement doit « partir de l’élève lui-même »[36], « assurer aide et suivi personnalisés en s’appuyant sur les goûts, les motivations et les choix des jeunes »[37]. L’enseignement autrefois centré sur les disciplines et leur rationalité propre l’est désormais sur les goûts des élèves, notion très problématique de la psychologie néobehavioriste, c’est-à-dire que les programmes sont sans cesse réajustés à leur supposé niveau. Voilà pour l’esbroufe. On fait exactement comme si Rousseau n’avait jamais existé : « Quand l’enfant tend la main avec effort sans rien dire, il croit atteindre l’objet parce qu’il n’en estime pas la distance ; il est dans l’erreur ; mais quand il se plaint et crie en tendant la main, alors il ne s’abuse pas sur la distance, il commande à l’objet de s’approcher, ou à vous de lui apporter. Dans le premier cas, portez-le à l’objet lentement et à petits pas, dans le second, ne faites pas seulement semblant de l’entendre : plus il criera, moins vous devez l’écouter. Il importe de l’accoutumer de bonne heure à ne commander ni aux hommes, car il n’est pas leur maître, ni aux choses, car elles ne l’entendent point. »[38]
Mais il y a, là aussi, la réalité. La pédagogie, dont le modèle est celui du comportementalisme, est pensée comme technologie visant au dressage : « Ce que nous savons, à la lumière des travaux de laboratoire, des mécanismes de l’apprentissage, devrait nous pousser à nous attaquer aux réalités de la classe et à les changer radicalement. L’éducation scolaire est sans doute la branche la plus importante de la technologie scientifique. Elle influence profondément la vie de chacun. Nous ne pouvons plus tolérer que les conditions défavorables de fait fassent obstacle aux progrès extraordinaires aujourd’hui réalisables. Il faut changer la situation de fait. [...] Les nouvelles méthodes visant à modeler le comportement et à le maintenir en vigueur représentent un progrès considérable sur les procédés classiques en usage chez le dresseur d’animaux. »[39]
Au centre de l’enseignement, il y avait les activités de progressive et laborieuse appropriation des savoirs ; au centre de la pédagogie moderne, il y a l’obtention de résultats. L’enseignement est jaugé et jugé à partir de ses résultats et non à partir des activités dont ils sont issus, soit les pourcentages de réussite aux examens, mais d’examens qui n’ont gardé que leur nom d’examens, examens où sont contrôlés des compétences sous la forme d’exercices simplifiés, standardisés, véritables parcours fléchés estivaux où, de plus en plus, la plupart des réponses sont déjà écrites dans les questions.
Le ministre déclare : « Je suis favorable à des programmes par objectifs. »[40] Rappelons alors que « ... la pédagogie par objectifs est une méthode de formation professionnelle mise au point par l’armée américaine lors de la dernière guerre mondiale. »[41] Toutes les étapes qui précèdent celles des « fins » sont, elles aussi, repensées ; il s’agit d’entrer dans des cadres vissés par avance : les notations deviennent des évaluations ; les résultats, des performances vendables sur le marché du désemploi; les savoirs, des compétences déconnectées de toute signification... Ainsi, les élèves sont amputés de leur imagination, standardisée par des technocrates obsédés par la forme des courbes statistiques des résultats, tout cela mû par des « régulations de flux » qui font office d’orientation. En même temps, on organise le « sabotage des apprentissages fondamentaux »[42], l’essentiel étant que l’école, soumise à cette rénovation pédagogique, réussisse au plus vite « à transformer chaque lycéen et chaque étudiant en un crétin militant. »[43]
II 5) Le fonctionnement
managérial de l’école
L’introduction des méthodes managériales dans l’école vise tout simplement à résoudre une sorte de paradoxe apparent : comment former des imbéciles performants et zélés ? Toutes les fonctions ont été repensées : nouveaux programmes, nouveaux enseignants formés en IUFM, nouveaux règlements, nouvelle pédagogie... Une nouvelle génération de personnels de direction est formée à l’administration de la pédagogie au niveau local. Un récent rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale rappelle que « les personnels de direction des établissements publics locaux d’enseignement constituent le maillon fort de l’organisation de l’Ecole en France »[44]. Ce point est d’une importance capitale : on reconnaît donc officiellement que, à l’Ecole, les tâches d’enseignement sont, de fait et de droit, en position seconde, voire subalterne par rapport aux tâches de gestion et d’organisation. Ainsi, sont disqualifiées de fait les préoccupations concernant les connaissances. En même temps, ces personnels sont formés aux méthodes de direction managériale, « sur le même modèle, avec l’intervention de spécialistes de cabinets d’audits et de conseil »[45] produisant en général des « gens méprisants, persuadés de leur importance »[46]. Investis de nouveaux pouvoirs, les chefs d’établissement sont promus experts en épistémologie, en didactique et en pédagogie[47]. Mais, nous le savons d’expérience, « de la pédagogie, [le gestionnaire] ne sait rien et ne veut rien savoir ; il l’utilise à ses fins d’intrigant. »[48] Ils finiront par ressembler à des « roitelets de bureaucraties locales »[49].
Ceci est une des clefs permettant de comprendre la dérive de l’enseignement au niveau local. En effet, cet accroissement de pouvoir des chefs d’établissement, pouvoir fondé sur le sable de l’enflure pédagogico-managériale, est lié au phénomène de délégitimation de l’autorité de l’enseignant et à ce moment où la pédagogie devient « la courroie de transmission au sein de l’institution scolaire, de l’impératif extérieur d’une évaluation de la rentabilité gestionnaire du système. »[50]. Ce pouvoir pédagogique retiré aux uns devient pouvoir politique de contrôle attribué aux autres, et « les pratiques d’enseignement tendent à devenir totalement le champ et l’objet d’un dispositif d’observation et d’évaluation de leurs performances par l’autorité administrative. »[51] En même temps qu’il contrôle les élèves, l’enseignement participe à son propre contrôle effectué par d’autres. Les enseignants sont inscrits, de force, au nombre des instruments nécessaires à l’exécution de la « loi de rénovation pédagogique » et au registre des « ressources humaines » ; ils sont transportés dans les flux, reflux et statistiques des gestionnaires de la pédagogie, outils de la nouvelle technologie éducative. Soumis à « l’autorité sans phrase des gestionnaires », ils sont enrôlés comme soldats d’une guerre où les courbes statistiques sont des mines antipersonnels. Est-il alors étonnant de constater que, attaqués de toutes parts, les enseignants ont tendance à se réfugier dans la souffrance et la peur ? Est-il alors étonnant de constater que des phénomènes inquiétants s’installent dans les établissements d’enseignement : conformisme exacerbé, rigorisme pédagogique, raidissement moral, démission politique, appauvrissement intellectuel...
La mise en place des projets d’établissement, outre qu’elle s’inscrit dans la décentralisation, donc dans la privation, n’a qu’un objectif : celui d’empêcher les jeunes d’accéder à une vraie citoyenneté en (se) donnant l’impression de faire le contraire. Il s’agit d’adapter les jeunes au présent, de les inviter à s’intégrer dare-dare aux impératifs de la bête sauvage. D’abord, on brouille la logique des places. Ces projets présupposent que tous les protagonistes présents dans l’école ont les mêmes intérêts et poursuivent les mêmes objectifs. Ce que l’on cherche à produire ainsi, c’est une atmosphère fusionnelle entre les membres d’un collectif de travail d’où sont évacués, mais dans les mots seulement, tous les clivages réels qui le travaillent. Ensuite, on dissout les pédagogies dans « l’administration de la pédagogie ». D’un côté, on trouve donc la « gestion administrative et financière » et, d’un autre côté, « l’administration de la pédagogie », les deux informatisées par une « finalisation des procédures d’informatisation des procédures de gestion pédagogique et administrative. »[52] Enfin, on procède au calibrage des élèves : « La démarche de projet définissant des objectifs suppose d’abord une observation de la situation de départ en regard de la situation visée à l’arrivée. Elle entraîne donc l’élaboration, l’utilisation et la diffusion d’indicateurs et de tableaux de bord pertinents par rapport aux objectifs et aux moyens mis en œuvre, constituant une sorte de photographie à un instant donné. La démarche adoptée suppose aussi, au niveau académique ou départemental, un pilotage de validation des projets afin de s’assurer de leur cohérence par rapport aux objectifs académiques généraux. »[53] Les enseignants sont ainsi transformés en agents de la circulation routière, et l’école entre « dans l’univers dénué de sens des systèmes de régulation... »[54] concept dévastateur lorsqu’il s’agit de former une génération d’hommes à la vie humaine. Le projet d’établissement est « un projet ‘fantoche’ qui maintient ‘l’unanimité’ autour d’un faux-semblant [...] conçu comme un moyen d’imposer une politique de l’éducation nationale [...] entraînant dans [une] utopie bureaucratisée la masse des élèves et de leurs professeurs. »[55] Inquiétant bavardage technocratique. Inquiétant et forcené désir d’ordre, véritable organisation de contrôle policier de la jeunesse, dont Musil disait déjà : « Irgendwie geht Ordnung in das Bedürfnis nach Totschlag über. » [56]
En même temps, parce qu’on veut probablement faire valoir les droits de l’individu intégral, les enseignants sont conviés à aider des élèves en échec scolaire à préparer leur projet personnel ou leur « projet professionnel » comme on le fait pour les chômeurs longue durée. Ce faisant, on transforme les établissements scolaires en ersatz d’ANPE, on fige les élèves dans leur croyance en la valeur utilitaire des enseignements, et on crée l’illusion que l’école est pourvoyeuse d’emplois. Et, pour achever le massacre, on leur propose des marchandages nommés contrats, où ils se retrouvent de fait et de droit, en position d’égalité juridique face aux enseignants et aux gestionnaires. Ainsi, on casse ce fait que l’enseignement est fondé sur une inégalité, comme il est fondé sur l’obligation et, en même temps, on les forme à devenir procéduriers, tatillons. Cette espèce de légalisme fébrile, parce que sans principe, produit des ravages : « Le contractualisme généralisé diffuse [...] une idéalisation du [...] je veux juridique, mais rabattu vers l’individu prétendu sujet-roi, [...] chaque individu se trouvant poussé, par un non-dit social, à prétendre être la Référence, c’est-à-dire à se mettre en position politique souveraine et toute-puissante. Cela se traduit concrètement dans le fonctionnement social de la législation ; l’idéalisation du je veux pour le compte du sujet-monarque produit des attitudes dont la signification ne fait guère de doute : la loi existe pour moi, si je veux [...] le prétendant au si je veux se plaçant du côté du pouvoir pur se met dès lors en position d’annulateur, de sorte qu’il ne peut y avoir de contrat : celui-ci tombe de lui même. Le discours du si je veux est un discours hors-la-loi. »[57]
Voilà donc présentées quelques-unes des
prouesses techniques réalisées par des technocrates emportés par le désir d’une
folle tentative de maîtrise gestionnaire de la jeunesse. Il s’agit ni plus ni
moins d’un crime organisé contre la jeunesse qui, pour l’instant, fonctionne
comme « crime légal contre les nouvelles générations »[58].
La loi de rénovation pédagogique oblige les enseignants, au nom de la
modernité, à faire le contraire de ce que vingt-cinq siècles de culture
occidentale avaient laborieusement bâti en matière de philosophie de
l’éducation et de pédagogie. Gigantesque entreprise de déstructuration
psychique, l’institution scolaire est devenue une machine folle à rendre les jeunes
fous. Les experts en management sont incapables de réaliser leur fantasme de
toute-puissance sans casser les hommes.
III LES
EFFETS DE LA MODERNISATION
Instabilisés par des modes de gestion complètement aberrants, soumis à des règlements complètement contradictoires, flattés par des gens qui les méprisent, installés dans des apparentes structures de pouvoir qui bouleversent la logique des places, déconnectés de leur histoire, ce qui les coupent de leurs racines, qu’y a-t-il d’étonnant de constater que les jeunes soient en manque de repères ! Cette absence de repères est politiquement organisée. La modernisation des villes a aboli l’existence de tout lieu, la modernisation des entreprises a aboli l’existence de tout lien, l’accélération de la rotation du capital donne le tournis, la disparition de la référence paternelle annule la logique des places. Chaque sujet est invité aux banquets des vouloirs sans limites... Mais « L’individualisme programmé, qui désarrime chacun du fondement de ses liens, ouvre sur les enfers subjectifs. »[59] C’est dans ce monde que le petit d’homme entre dès sa naissance, rebaptisé petit homme, promis à la mort. C’est pour ce monde que l’école le forme, objet à bas prix.
D’un côté, l’Ecole développe un discours sur l’autonomie du sujet et même sur l’autofondation du sujet et, de l’autre, la réalité renvoie les jeunes au chômage et à la dépendance économique. D’un côté, on crie : « Vive la différence! » et, de l’autre, on parle de la nécessité de s’intégrer à l’Etat de droit. D’un côté, on parle d’un Etat de droit, de l’autre, on leur retire tous les droits nécessaires à l’existence d’une vie d’homme (droit au travail, droit au logement, droit aux études ...). D’un côté, l’Ecole vitupère le style comme la superficialité journalistiques, d’un autre côté, elle organise une semaine annuelle de la presse ; d’un côté, elle organise annuellement un Concours de la Résistance, d’un autre, on demande aux élèves de renoncer à toute forme de résistance et de s’adapter aux lois du marché... Les mouvements apparemment chaotiques, désordonnés du monde achèvent de déstabiliser les jeunes qui n’ont même plus les instruments intellectuels pour pouvoir s’y repérer autant qu’il est possible. Mais ce n’est pas tout, ce qui se passe dans l’école n’est qu’une facette de ce qui se passe dans le monde dont il n’est pas difficile de voir qu’il est en transition. Il semble vouloir bazarder son passé et s’atteler à la production d’un homme-nouveau vivant dans des cités nouvelles dont Fritz Lang avait eu l’horrible prémonition dans Metropolis.
III 1) La préparation des guerres du XXIe
Nous sommes entrés dans le XXIe siècle le 9 novembre 1989, date de la chute du Mur de Berlin, dernier acte de la Seconde Guerre mondiale. Le début de celles à venir commençait le jour même : en une nuit, sans tirer une balle, l’Allemagne (de l’Ouest) récupérait trois cents kilomètres de territoire en direction de l’Est, soit de nouveaux marchés, des matières premières à bas prix, des dizaines de millions de forces de travail à bon marché. Les équilibres précaires, établis dès les années 1945, s’écroulaient. Puis, nous assistâmes à une formidable accélération de l’histoire dont les moments clefs furent successivement l’explosion de l’URSS, non encore achevée, puis la décomposition progressive de l’Europe centrale, pour le plus grand profit de l’Allemagne fédérale qui, en même temps, se construit une Europe à sa mesure, concept allemand de la conquête de l’Europe[60]. « Le seul Etat restant qui soit réellement reconnu comme une grande puissance [...] ce sont les Etats-Unis. Ce que cela signifie en pratique demeure tout à fait obscur. »[61] L’onde de choc n’a pas fini de produire ses effets ravageurs. A l’artificielle stabilité des lendemains de 1945, succède une instabilité inquiétante : « Bref, le siècle se termine dans un désordre général, dont la nature n’est pas claire, et sans mécanisme évident pour y mettre un terme ou pour le maîtriser. »[62]
Autre question, et non des moindres : Comment neutraliser ou se débarrasser des chômeurs au plus bas prix ? Comment imaginer que cette situation tragique, où des millions d’hommes sont privés d’emploi, puisse se prolonger sans que l’idée vienne de s’en débarrasser purement et simplement ? Le chômage persistant a, depuis longtemps, installé les hommes dans la peur : « La véritable bombe politique (et sa puissance de déflagration est incalculable) est au contraire alimentée par la peur du déclassement qui se répand au cœur de la société. Ce n’est pas la pauvreté qui met la démocratie en péril, mais l’angoisse qu’elle inspire. »[63] Les auteurs du Piège de la mondialisation poursuivent : « Un tremblement de terre économique et social aux dimensions inconnues jusqu’ici s’annonce. [...] On voit s’annoncer dans toute l’Europe des licenciements massifs. [...] Au sein de l’Union européenne, quinze autres millions d’ouvriers et d’employés risquent de perdre leur emploi à plein temps au cours des années à venir. »[64] Comment serait-il possible que les jeunes générations ne sachent pas, à leur façon, le destin qui les attend ?
En attendant, on maintient les jeunes générations sous narcose, et pour cela toutes les drogues sont bonnes. C’est la réponse moderne à l’échec du nazisme, trop primitif et trop violent. Aujourd’hui, l’anesthésie se fait par consentement. Histoire de la grenouille cuite. « Une des histoires que les conseils en entreprise ou les philosophes du management racontent volontiers pour expliquer combien il est difficile de conduire un organisme ou une entreprise à l’apprentissage, est l’histoire que raconte Charles Handy, transformée en parabole, l’histoire de la grenouille cuite. Chacun peut imaginer ce qui se passe si l’on jette une grenouille dans l’eau bouillante. Elle essaie, aussi vite que possible, d’en sortir. Mais que se passe-t-il si l’on met une grenouille dans l’eau tiède, de telle sorte que la température de l’eau est progressivement augmentée ? Curieusement, il ne se passe rien. La grenouille montre tous les signes d’un animal qui se sent bien, mais cuit lentement sans s’en rendre compte. »[65]
Passons aux travaux pratiques. 27 septembre 1995. San Francisco. Hôtel Fairmont. Là sont réunis pour trois jours, sous l’égide la Fondation Gorbatchev, des hommes, pas n’importe lesquels, pour « ouvrir la voie au XXIe siècle ‘en marche vers une nouvelle civilisation »[66]. « L’avenir, les pragmatiques du Fairmont, le résument en une fraction et un concept : ‘Deux dixièmes’ et ‘tittytainment’ » . Dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale. [...] Ces deux dixièmes de la population participeront ainsi activement à la vie, aux revenus et à la consommation - dans quelque pays que ce soit. [...] Mais pour le reste ? [...] les 80 % restants vont avoir des problèmes considérables. [...] C’est un nouvel ordre social que l’on dessine au Fairmont. [...] L’expression ‘tittytainment’ proposée par ce vieux grognard de Zbigniew Brzezinski, [...] est une combinaison des mots entertainment et tits, le terme d’argot américain pour désigner les seins. [...] Un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettrait selon lui de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. »[67]
III 2) Les transformations dans l’entreprise
A la disparition des emplois succède la disparition des métiers. « Pour maîtriser l’économie nationale, il faut contrôler, réduire, abattre ce qui l’empêche : les forces productives traditionnelles, celles qui ont fait la nation, les forces vives de la République, les piliers de ‘l’exception française’. [...] Pour cela, il faut éliminer les métiers qui ne seraient plus rentables. [...] Il s’agit d’une terreur économique sans précédent : l’élimination de l’adversaire par l’élimination de son métier, de ses moyens d’existence, de son environnement. »[68] Mais ainsi, ce ne sont pas seulement des métiers qui disparaissent, c’est la notion même de métier, c’est-à-dire, un des principaux circuits de transmission d’une culture des savoirs, d’une culture des savoir-faire, des expériences, mais aussi, une culture politique, syndicale, une histoire, un rapport aux ancêtres, une mémoire, des traditions, des rapports singuliers au temps, une certaine conscience de soi, de son identité, des rapports aux autres, aux choses, au pouvoir, à l’autorité... Marx reste toujours neuf : « La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un sain respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. »[69]
En même temps, sur fond de
décomposition et de démisssion syndicales, l’introduction des méthodes
managériales dans l’entreprise accélère la déstabilisation des salariés, des
hommes. L’entreprise fournit le modèle selon lequel fonctionnent les
établissements scolaires : ce qui compte en tout premier lieu, ce n’est plus
la production, c’est l’organisation-fusion. « Désormais, en deçà de son
objectif principal - le profit - , ce qui caractérise une entreprise, ce n’est
plus sa production, et ce n’est plus le travail. Ce qui la caractérise, c’est
son organisation, sa gestion, son management. Un déplacement qualitativement
essentiel est ainsi proposé. Le thème de ‘l’organisation’ [de l’entreprise]
supplante le thème du travail dans les pratiques discursives du néolibéralisme.
Il s’agit d’un véritable tournant dont la caractéristique principale n’est pas
de promouvoir la direction et la gestion, [...] mais de disqualifier les
préoccupations sur le travail, dont on conteste désormais la ‘centralité’, tant
sur le plan économique que sur les plans social et psychologique. »[70]
Travailleurs disqualifiés, métiers déqualifiés, résistances déboulonnées,
voies de la transmission coupées, angoisse structurelle face à aujourd’hui...
Comment les fils des salariés pourraient-ils ne pas en faire les frais ?
Mais ce n’est pas tout. De son côté,
la financiarisation du monde, produit l’illusion que l’argent est complètement
déconnecté du moment de la production, donc qu’il est la seule valeur, la seule
réalité, conséquence de « la tentative absurde de débarrasser l’économie
des inconvénients multiples de la production des marchandises. » [71]
« Si l’on en croit l’évaluation de la banque des règlements internationaux
(BRI), ce sont aujourd’hui des valeurs monétaires d’environ 1,5 billions de
dollars qui changent de mains pendant une journée moyenne de transactions soit
l’équivalent de la production annuelle de l’économie allemande. »[72]
Des fortunes se font et se défont au gré des mouvements imprévisibles des
capitaux. « Dès que l’on tente une analyse un peu structurée de la
situation du monde dans la « mondialisation, on bute inévitablement sur ce
qui relève du ‘pourrissement’ de la société. Les pays riches sont détruits de
l’intérieur par le chômage de masse, qui conduit à la misère d’un côté, tandis
que, d’un autre côté on assiste à une corruption généralisée à tous les niveaux
de l’appareil d’Etat et des entreprises où la soif d’argent est à l’origine des
trafics de drogue. »[73]
L’argent, instrument de mesure de toutes les valeurs, ramène la valeur de
chaque objet comme la valeur de chaque sujet à leur poids zéro. Ainsi, le
travail n’a plus aucune dignité et n’en confère plus aucune. Il ne subsiste
« d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures
exigences du paiement au comptant. »[74]
Comment se pourrait-il que les jeunes générations ne sachent pas, de quelque
façon, que le travail est une valeur nulle ? Comment se pourrait-il qu’elles ne
sachent pas ce que ce monde hurle de toutes parts : que seule la possession
d’écus procure dignité et jouissance ?
III 3) La famille en déroute
Interné au camp de Tegel, Dietrich
Bonhœffer écrit à ses parents en février 1944 : « [...] une vie qui peut
s’épanouir pleinement sur les plans professionnels et personnels, et devenir
ainsi un tout équilibré et harmonieux comme c’était possible encore pour votre
génération, ne fait plus partie des prétentions que la nôtre peut avoir. C’est
là probablement la plus grande renonciation infligée à la jeune génération qui
a encore devant les yeux votre vie. C’est pourquoi nous ressentons ce que notre
existence a d’inachevé et de fragmentaire... [...] la puissance des événements
extérieurs réduit nos vies en morceaux... »[75]
Des mots simples, qui disent aussi la vie d’aujourd’hui, la vie comme elle ne
va pas. Il est inutile de dire ici combien la question du chômage pèse sur les
vies familiales comme sur les vies individuelles, elle façonne le présent comme
elle parasite l’avenir, et surtout, elle construit la lancinante inquiétude des
jeunes. Mais il est sans doute utile de rappeler que ceux qui ont un emploi
vivent chaque jour avec la peur de le perdre, et sont donc prêts, pour le
conserver, aux pires concessions, celles qui font perdre à tout homme et sa
fierté et sa dignité. La guerre menée au nom de la compétitivité a transformé
le rapport des hommes au travail, aux autres et à soi. Le chômage comme
l’emploi induisent des attitudes, des façons d’être, des types de rapport à soi
et aux autres ayant des effets déstructurants les familles. Cela produit la
peur d’être en trop, la souffrance de l’incertitude permanente, la honte de
faire mal aux autres pour pouvoir continuer à survivre, la honte de n’être pas
le plus fort, le mépris de soi, le silence de ses actes. Plus ceux qui
travaillent sont performants, « et plus ils font de mal à leurs voisins de
travail, plus ils les menacent, du fait même de leurs efforts et de leurs
succès. Ainsi, le rapport au travail, chez des gens ordinaires, se dissocie-t-il
progressivement de la promesse de bonheur et de sécurité partagés : pour
soi-même d’abord, mais aussi pour ses collègues et pour ses propres
enfants. »[76] On imagine
ce qui se transmet de paroles vraies à la maison. Cette situation générale dans
laquelle chacun et tous se trouvent sans pouvoir se retrouver, explique en
partie ce qui se passe à l’école aujourd’hui. Cette peur et ce mal-être sont
l’alpha et l’oméga de la vie à la maison. Combien d’enfants sont nés avec la
peur au ventre... de leur maman enceinte, se demandant si elle retrouverait son
emploi après son congé de maternité ? Comment les jeunes générations ne
sauraient-elles pas que leurs pères n’ont rien à leur donner ?
D’autant, et c’est sans doute l’aspect le plus important décrivant la déroute de la famille, qu’on assiste à une chute des figures du pouvoir, assurant, à ce qu’on dit, la libération des mœurs. Mais l’hédonisme dont on fait tant état aujourd’hui pour l’opposer à la répression de l’instinct sexuel dont Freud fait la cause du malaise dans la civilisation, n’est qu’un retour du même habillé autrement. Si le refoulement pouvait être la cause des névroses, le défaut de refoulement pourrait bien être la cause des malaises et des folies modernes. L’hédonisme contemporain est celui fabriqué par la « bête sauvage », contraignant les jeunes générations à vivre dans la jungle des villes. Par exemple, ce qu’on appelle liberté sexuelle n’est ni plus ni moins qu’une injonction génitale, la simple expression de l’obligation conformiste de jouissance à mort, sans la médiation du temps, des mots, du secret. Vivons-nous la fin du cycle Nana : « ... toute une société se ruant sur le cul » ? Sinon, comment pourrait-on comprendre qu’en France, « entre l’âge de 18 et 20 ans, 33,5% des jeunes filles consomment régulièrement des psychotropes [...] que 26% des jeunes appelés âgés de 18 à 22 ans consomment régulièrement du cannabis. »[77] ? Sinon, comment pourrait-on commencer à expliquer ces poussées actuelles de suicides comme déclaration d’amour absolu, ces meurtres d’enfants par eux-mêmes comme refus de l’interdit, ces pratiques incestueuses comme destruction de la logique des places[78] ? Les hommes sont soumis de la même façon à l’injonction vestimentaire, celle du paraître comme conformisme ; comme ils sont soumis à l’injonction alimentaire, celle de l’être-animal, engraissé-dégraissé. Le plaisir de se faire beau comme le plaisir de manger sont morts : Nike et Mc-Donald’s tiennent le haut du pavé. « La mondialisation est un universel uniformisant, un universel qui absorbe la particularité. »[79] » Tout cela se produit, évidemment, sur fond de désaffection de la parole et de l’écrit.
III 4) Les dérives de la langue
La langue française perd son âme de l’intérieur ; elle doit être détruite parce que et en tant qu’elle permet de penser. Une extrême pauvreté de la langue est requise, réduite alors à un code de signaux. En même temps, cette langue âbatardie empêche chacun de se penser à sa place en un lieu : elle n’a plus de fonction « séparatrice ». Comment ne pas penser à Victor Klemperer lorsqu’il écrivait dans les conditions que l’on sait : « [...] comme il est courant de parler de la physionomie d’une époque, d’un pays, de même on désigne l’esprit d’un temps par sa langue. Le Troisième Reich parle avec une extraordinaire homogénéité... ». Comment ne pas songer à cette œuvre toute particulière, LTI La langue du IIIe Reich[80], lorsqu’on essaie de penser la déréliction moderne de la langue ? Comment aussi ne pas penser à George Steiner revenant, après guerre, sur ce qui est alors présenté comme le miracle allemand, à ce texte justement intitulé « Le miracle creux » où il écrit : « Un langage montre de façons diverses qu’il porte en lui le germe de la dissolution. Des actions de l’esprit qui furent spontanées deviennent mécaniques, gelées, habituelles (métaphores mortes, comparaisons toutes faites, slogans). Les mots s’allongent et se font plus ambigus. La rhétorique se substitue au style, la jargon à l’usage précis du langage courant. [...] Tous ces échecs techniques cumulent dans un échec essentiel : le langage n’acère plus la pensée, il la ternit. [...] c’est ce qui est arrivé en Allemagne. »[81] Et c’est ce qui est arrivé en France.
Le seul langage supportable devient le bavardage : « On bavarde de ses propres affaires devant n’importe qui et sans discernement, sans se préoccuper de savoir si l’interlocuteur s’y intéresse et si ses récits le concernent, simplement parce qu’on a besoin de bavarder. »[82] Il a les masques de la « modernité » pour reprendre un terme de Nietzsche, il se nomme communication. Jacques Bouveresse le rappelait : « Il est probablement vrai que l’on n’a, d’une certaine manière, jamais autant ‘communiqué’. Mais, en même temps, le verbe ‘communiquer’ est devenu presque complètement intransitif. Vouloir communiquer quelque chose de déterminé ressemble de plus en plus à une incongruité. [...] prétendre dire réellement quelque chose (et non pas simplement parler) et tirer de ce qu’on dit quelque chose qui aille au-delà de l’impression, de l’affect ou de la résonance purement psychologiques, exiger du lecteur un effort intellectuel qui dépasse nettement le niveau de la simple communion ‘phatique’, revient justement à introduire une perturbation sérieuse dans le mécanisme ordinaire de la communication tel qu’on le comprend aujourd’hui. »[83]
Le bavardage, « le pitoyable bavardage actuel fait de politique et d’égoïsme des peuples »[84], comme disait Nietzsche, remplit tout l’espace, occupe la planète toute entière. N’importe quel match de football gagné, n’importe quel record atteint en bourse, n’importe quelle inondation, tout discours présidentiel deviennent immédiatement historiques. N’importe quel film devient film culte, n’importe quelle star devient star symbole... Mais ce bavardage présente des caractères singuliers : il s’est fait profession de déplacer et donc d’annuler le sens des mots. Par exemple, tout ce qui était ordinaire devient « grand », avant de devenir « géant », puis, aussitôt usée, cette corde se rafistole et devient câble, le géant « giga », l’amateur de foot attend le « péta » concert au stade de France tandis que le journaliste bave devant le « téra » discours du Président, qui sera pour une durée de quelques jours « historique ». Le sens de la mesure se perd comme le sens de la distance. Affectés par un grossissement artificiel qui ramène tout « événement » au même niveau, celui de la nullité, les substantifs subissent des torsions qui font disparaître les choses mêmes, jusqu’à ce que nous voyons le monde à l’envers.
Ainsi, dans l’Ecole, les parents sont devenus les familles ; les élèves, le public scolaire ; les professeurs, les formateurs ; l’instruction, le capital culturel ; les connaissances, les références culturelles ; les exigences, le contrat ; la garderie, l’accueil ; les résultats, les performances ; le courage, la motivation ; le désespoir, le manque de perspective ; les cancres, les élèves en grande difficulté scolaire ; la propagande, la communication ; la discipline, la citoyenneté[85]...
Mais aussi, un plan de licenciement : un plan social, le personnel : les ressources humaines (dans d’autres cas, on peut se reporter à Victor Klemperer page 197sq. : « matériel humain », dans d’autres circonstances : chair à canon). Pour gérer les stocks, l’Etat a introduit la fonction de directeur des ressources humaines dans ses services. Lorsqu’il y a trop de viande, on coupe : « La guerre saine, c’est d’abord une guerre pour la santé (des entreprises) : ‘dégraisser les effectifs’, ‘enlever la mauvaise graisse’ (Alain Juppé), ‘faire le ménage’, ‘passer l’aspirateur’, ‘décaper la crasse’, ‘décalaminer’, ‘détartrer’, ‘’lutter contre la sclérose ou l’ankylose’ (Raymond Barre), etc. Autant d’expressions saisies dans le langage ordinaire des dirigeants. »[86] Avant de transformer les corps en savon (in substantia), il faut bien s’habituer à les transformer par les mots (in effigia).
Mais une parole ne peut être vraiment une parole que si elle rencontre d’autres paroles qui entrent en conflit avec elle, sinon elle témoigne d’une fausse discussion, et d’une position narcissique : « Penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, dit Kant, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? »[87] La parole ne reçoit plus que son propre écho comme assentiment, elle se leurre sur ce qu’elle est ou prétend dire et surtout, leurre le sujet quant à sa position subjective. Narcisse endormi, Narcisse sous narcose, nécrose. Peut-on décririre cela plus clairement, comme : « [...] le glissement qui s’opère aujourd’hui dans ce qu’elle perçoit comme la perversion absolue : le culte du Même. Or ce Même n’est pas la foule qui au son d’une voix électrisante, marche au pas derrière un grand Timonier, un Führer ou un quelconque Conducator. Non, ce Même est désormais celui, consensuel, de la coexistence, de l’abaissement de la tension qu’aucune relance ne saurait ranimer. C’est le règne de la stase, de l’inertie, de la fausse liberté telle qu’elle sévit en Mittel-Europa qui autorise toutes les proliférations. C’est le règne de l’image à deux dimensions, privée de son ombre et de sa dimension symbolique, qui interdit la parole vraie, c’est-à-dire le Witz. »[88]
Pourquoi la parole a-t-elle perdu sa plasticité, son pouvoir de faire rire, sinon parce qu’elle est réduite à un code de signaux dont toute grammaire est absente ! C’est ce que prétend Norbert Wiener : « Je soutiens que le fonctionnement de l’individu vivant et celui de quelques machines très récentes de transmission sont précisément parallèles dans leurs efforts identiques pour contrôler l’entropie par l’intermédiaire de la rétroaction. »[89] L’homme réduit à sa fonction computer dont la mémoire serait aussi puissante que celle des planaires. Qu’est-ce à dire sinon qu’un nouveau totalitarisme est en place qui mène la guerre au sens : « Le management traite la langue sur le même mode théorique que la biologie confrontée aux échanges chimiques les analyse comme transport de l’information à l’intérieur de la cellule. »[90]
Revenons à celui qui fut contraint,
bien malgré lui, à être le philologue du nazisme : « Le nazisme s’insinua
dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des
tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires
et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente. »[91]
Ces tournures de phrase, ces formes syntaxiques forment, déforment, tordent les
corps. La grammaire n’est pas chose extérieure à soi ; elle colle à la peau et
lui donne forme humaine, elle fait tenir debout. Mais comment les jeunes
générations pourraient-elles se retrouver dans un monde incapable de se dire ?
III 5) La politique consensuelle et
ses ravages
Cette déliquescence de la langue ne serait pas si ravageuse si elle ne s’accompagnait d’un consensus mortel qui paralyse et interdit tout effort de penser. Ce consensus est une véritable puanteur intellectuelle produisant un ramollissement de l’esprit. Dans cette espèce de magma informe, chacun se retrouve partout et nulle part en même temps. Ainsi, toutes les difficultés dans lesquelles pataugent les nouvelles générations, difficultés liées au fait de ne pouvoir tenir en place, difficultés de ne pouvoir tenir sa place, difficultés à distinguer les places, impossibilité de penser une position trouvent, pour une bonne part, leur origine dans le consensus. Comment, à l’âge de dix-huit ans, se retrouver, trouver sa place, lorsqu’on est soumis à des discours qui, au lieu de mettre en évidence des contradictions productives, développent, dans le meilleur des cas, des oppositions paralysantes, des alliances contre nature ou cette espèce de bouillie indigeste ?
Le consensus est d’abord la « disparition de la politique »[92] ; en réalité, il serait plus juste de dire que le consensus est le refoulement de la politique, en ce sens où cette disparition n’est qu’apparente. Les questions politiques restent intactes, ce qu’on appelle, depuis le XIXe siècle, la question sociale, reste entier, mais tout conflit semble s’être absenté du bavardage consensuel. Si l’on pense, comme Bakhtine, que « le langage est l’arène où se joue la lutte des classes »[93], il faut alors convenir que les taureaux sont devenus des bœufs.
Si l’on veut mener les jeunes sur le chemin du vivre, il faut d’abord sortir de cette nuit où tous les chats sont gris : « Une cité qui prétend être arrivée à l’homogénéisation ne peut que faire bon marché de l’Autre. Mais que serait une société qui dénie l’altérité, sinon une horde d’autant plus féroce, d’autant plus mélancolique, qu’elle est fardée, maquillée, travestie en une série d’institutions décadentes à force de clamer un discours consensuel. »[94] Pourquoi continuer à feindre de s’étonner que des logiques de violence se développent dans les établissements scolaires ? Cette violence, cette haine sont produites par le consensus. Jacques Hassoun a mis en évidence cette dynamique de la violence : « N’est-ce pas cet ensemble de destructions nées d’une prétention à abolir les tensions sociales qui installe la haine à la place de l’espoir ? »[95]
La défaite du conflit, c’est aussi la défaite de la vie. « Cette défaite de la contradiction, au profit du sourire que le cadavre arbore dans les funeral homes, est mortelle. Le refus de laisser visibles les traces du mal sur un corps désormais conçu comme un tas de viande doté d’une éternelle jeunesse est mortel. Un tel gommage nie la mort au profit du clean, de ce qui n’est pas laid, du politically correct, bref c’est un syndrome de Cotard présenté comme la forme suprême d’un idéal social. »[96]
La promotion du « Moi, personnellement, je pense que... », version moderne de l’individualisme sans sujet, version politique de l’explosion narcissique, produit une forme nouvelle de crétinisme social, crétinisme à peu près indécrottable, bête dangereuse : « La sottise est une ennemie du bien plus dangereuse que la méchanceté. [...] Nous sommes impuissants contre la sottise. Nous n’obtenons rien, ni par nos protestations ni par la force ; le raisonnement n’opère pas. [...] Contrairement au méchant, le sot est entièrement satisfait de lui-même ; il devient même dangereux lorsque, facilement irrité, il passe à l’attaque. »[97]
IV
CONCLUSIONS
Ainsi déambule le jeune homme moderne, porté par son sac à dos, ses jeans, ses Reebok et... son désespoir. Ainsi s’assure-t-il de son « Tu bouges ! » Pantin désarticulé, il ne tient pas en place, contraint de vivre dans un monde sans-lieu : nous sommes entrés très brutalement dans ce monde dont le lieu n’est plus un endroit fixe, le village, la ville ou l’usine, mais la terre, l’espace cybernétique d’Internet, qui sont autant de non-lieux. De la même façon, il est contraint de vivre dans un espace détruit, défiguré : « Massacrer les paysages est l’équivalent de brûler des livres, ces images de nous-mêmes ; défigurer le territoire est un meurtre d’images. [...] Attendons pour voir ce que produira la nouvelle illusion de l’individu sans lieu, l’être délocalisé et démuni de limites, un nomade de caricature, l’homme fusionnel qui ne connaîtrait que le Grand Tout mondial folklorisé... »[98] Ligoté par et dans son narcissisme, le voilà promis à l’immense solitude : « La généralisation des échanges et le développement des solidarités objectives se développent avec la rupture de tous les liens de la socialisation, l’enfermement autiste des individus désormais sans aucune appartenance... »[99]
Il ne demande même plus leurs titres à
ceux-là : hommes politiques qui, non contents du pouvoir que leur confère leur
statut, s’enrichissent frauduleusement sur son compte, tandis que d’autres
posent pour la publicité ; saltimbanques qui viennent chez les nouveaux prêtres
commenter l’actualité politique, tandis que d’autres s’offrent le luxe de se
faire présidentiables ; intellectuels qui viennent s’asseoir, comme s’ils
étaient chez eux, le dimanche après-midi, chez l’un ou chez l’autre, sur les
écrans télévisés. Il ne demande que sa part, en espérant toujours l’avoir, mais
sans y atteindre. Mais « [...] cette monarchie absolue de l’argent et ce
grand retour historique de l’inégalité laissent à peu près froids les
intellectuels engagés qui ferraillent sur d’autres fronts. »[100]
Comment les jeunes générations pourraient-elles trouver leur place dans ce
chaos ?
Mais qui sont ces jeunes qui ne tiennent pas en place, sinon une aubaine pour les partisans intéressés de la flexibilité ? Qui sont ces jeunes sans port d’attache, sinon la main d’œuvre déracinée et déracinable dont la mondialisation a besoin ? Qui sont ces jeunes sans mémoire, sinon les cadres tueurs dont les grands patrons ont besoin ? Qui sont ces jeunes si peu exigeants sur la qualité, sinon les exécutants à bon marché dont les négriers modernes ont besoin ? Qui sont donc ces jeunes qui refusent de lire, sinon « tout ce monde qui pense réfléchit, calcule, mais pense sans armes ; calcule sans le secours des mots ; réfléchit sans le secours des livres ? »[101] Qui sont ces jeunes si bavards, sinon les commerçants de l’avenir ? Qui sont ces jeunes maintenus dans les royaumes de l’enfance, de l’enfant-roi, sinon ceux-là à qui l’on demandera à la fois d’être responsables de tout et de rien ? Qui sont ces jeunes si prompts au découragement, sinon les proies faciles des stratèges de la mise en concurrence des forces de travail ? A quoi correspond cette espèce de déconstruction et d’inversion de la logique des places, sinon à la construction de l’instabilité des places dans l’entreprise, chef aujourd’hui, paria demain ?
C’est ce à quoi l’Ecole d’aujourd’hui, moderne, apporte son écot : fabriquer l’homme-nouveau, homme prêt à tuer pour vendre sans que la moindre culpabilité ne l’étreigne, sans que la moindre interrogation éthique ne l’accompagne, sans que le moindre sens ne s’insinue dans ses actes. Nous fabriquons des hommes prêts à mourir sur ordre, des bêtes sauvages, officiers et sous-officiers nazis des temps modernes , des sociétés post-hitlériennes, costume gris ou bleu marine en guise de tenue de combat, chemise de marque en guise de décoration militaire, bottines de cadres en guise de bottes d’officier, espèces de kamikaze produits en série. Nous fabriquons des hommes-inhumains, petits, moyens et grands Papons, caporaux ou généraux, ingénieurs de la mort, « insectes spécialisés »[102], « nains inventifs »[103], hommes dotés d’une conscience d’ordinateur, hommes chiens de garde, fonctionnaires dont on réclame une « Kadavergehorsam »[104]. Que fabriquons-nous, nous enseignants ? Peut-être cela, sans le savoir, sans vouloir le savoir, dans une espèce de demi-conscience finalement complice.
Dans la première partie de L’Idéologie
allemande, Marx fait cette remarque que : « ... pour vivre,
il faut avant tout boire, manger, se loger, s’habiller et quelques autres
choses encore. »[105].
Il ajoute : « La façon dont les hommes produisent leurs moyens d’existence
dépend d’abord de la nature, des moyens d’existence déjà donnés et qu’il leur faut
reproduire. »[106]
La société s’en acquitte aussi en fabriquant des enfants et en leur
transmettant une culture. Ainsi, parmi ces « autres choses », il y a
l’enseignement. Si l’on suit le cours impétueux du monde, la question est
désormais posée: la société sera-t-elle en mesure de se reproduire, et même, le
veut-elle ? Rien n’est moins sûr. A-t-elle renoncé à transmettre sa culture à
ses fils ? C’est bien ce qui semble se produire sous nos yeux, c’est bien ce à
quoi nous participons. Pour l’instant, le pire est à craindre, soit des formes
de massacres inédits.
Certes, ces conclusions pourraient
apparaître comme étant pessimistes, elles ne le sont nullement. Il ne sert à
rien de se voiler la face et de faire comme si tout allait s’écrouler de soi
même ou comme si tout allait s’arranger de soi même. Il y a un pessimisme
démobilisateur comme « Il y a un [...] optimisme sot et lâche, qui
doit être évité. Mais que personne ne méprise l’optimisme en tant que volonté
d’avenir, même s’il se trompe cent fois ; il est la santé vitale qu’il faut
préserver de toute contagion. Certains pensent qu’il n’est pas sérieux [...]
d’espérer un avenir terrestre meilleur et de s’y préparer. Ils voient dans le
chaos, le désordre et la catastrophe le sens des événements actuels et
échappent, dans la résignation ou dans une fuite pieuse hors du monde, à la
responsabilité de construire la vie future pour les générations à venir. Si le
jugement dernier est pour demain, nous cesserons le travail pour un avenir
meilleur, mais pas avant? »[107]
Gilbert Molinier
[1]. Cet article reprend, dans ses grandes lignes, les questions abordées par l’auteur dans La gestion des stocks lycéens. Idéologies, pratiques scolaires et interdit de penser publié en septembre 1999 chez L’Harmattan. L’auteur remercie l’éditeur de l’avoir autorisé à reproduire des passages du livre.
[2]. H. Müller, « Auschwitz kein Ende », in Drucksache n° 16, Berlin, Berliner Ensemble GmbH, p.612. (« Le problème de notre civilisation, c’est qu’elle n’a pas d’alternative à Auschwitz. » Traduction de G.M.)
[3]. L.F.W. Hegel, Textes pédagogiques, Paris, Vrin, 1990, p.108, traduction de Bernard Bourgeois.
[4]. Il va de soi que l’Ecole dont il est question ici est l’Ecole-Meirieu, soit cette entreprise de bousillage de l’intelligence des jeunes, réservée aux « masses ». Ces lieux, qui sont des centres type Punishment Park, véritables panopticon de Bentham revisités par des gestionnaires peu scrupuleux et des scientistes fous, se sont fixés pour objectif, non pas de former les jeunes générations, mais de les formater pour les adapter au chômage à vie, à la flexibilité et les endormir en attendant les guerres du XXIe.
[5]. J.-P. Le Goff, La barbarie douce La modernisation aveugle des entreprises et de l’école, Paris, La Découverte, 1999, 125p. L Jaffro, J.-B. Rauzy, L’école désœuvrée, Paris, Flammarion, 1999, L. Lurçat, La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs, Paris, F.-X. de Guibert, 1998, 241p.; J.-C. Michéa, L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, Castelneau-Le Lez, Editions Climats, 1999, 139p. G. Molinier, La gestion des stocks lycéens Idéologies, pratiques scolaires et interdit de penser, Paris, L’Harmattan, 1999, 227p. ; G.de Sélys, Nico Hirtt, Tableau noir. Résister à la privatisation de l’enseignement, Bruxelles, EPO, 1999, 119p.
[6]. Voir G. Molinier, La gestion des stocks lycéens, ouvr. cit., p.66-70.
[7]. P. Legendre, « Anthropologie dogmatique Définition d’un concept », in Sur la question dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999, p.102.
[8]. Dominique Louise Pelegrin, « Les jeunes profs à rude épreuve », in Télérama, 16- 22 octobre 1999, n° 2596.
[9]. P. Legendre, Leçons II, L’Empire de la Vérité, Introduction aux espaces dogmatiques industriels, Paris, Fayard, 1983, p.31.
[10]. Platon, La République, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, T.I, L.III, p.971, 441e, traduction de Léon Robin.
[11]. P. Legendre, Leçons IV, L’inestimable objet de la transmission, Essai sur le principe généalogique en Occident, Paris, Fayard, 1996, p.38, note 2.
[12]. B. Spinoza, Ethique, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, IIIe partie, scolie, prop.2, p.138, traduction de Charles Appuhn.
[13]. Spinoza, ouvr. cit., IIIe partie, prop.II, scolie, p.139.
[14]. M. Heiddegger, Être et temps, Paris, Authentica, 1985, p.134, traduction d’Emmanuel Martineau.
[15]. L. Legrand, L’école unique : à quelles conditions ?, Editions du Scarabée, 1981, p.105.
[16]. L. Lurçat, La destruction de l’école élémentaire et ses penseurs, ouvr. cit., p.18. (Livre à lire absolument parce qu’il explique comment, dès l’école primaire, l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de la grammaire, sont massacrés.)
[17]. M.-F. Delfour, Inceste et langage : l’agir hors de la loi, Paris, L’Harmattan, 1999. « [...] l’acte incestueux n’est pas seulement un fait de lit, un fait physique ou charnel, mais un fait de l’ordre du langage, un fait de dit. » (p.26).
[18]. Platon, Phèdre, Paris, Garnier-Flammarion, p;125, 251c, traduction de Luc Brisson.
[19]. L. Lurçat, La destruction de l’école élémentaire et ses penseurs, Paris, François-Xavier de Guibert, 1998, p.30.
[20]. L’ERT, regroupe une cinquantaine des plus importants dirigeants industriels européens. Parmi eux, Jérôme Monod (Lyonnaise des eaux), Louis Schweitzer (Renault), Jean-Louis Beffa (Saint-Gobain), Mark Wössner (Bertelsmann)...
[21]. G. de Sélys, N. Hirtt, Tableau noir, Résister à la privation de l’enseignement, Bruxelles, EPO, 1998, p.26. (Petit livre indispensable. Lire notamment p.24-55.)
[22]. Ibid., p.29.
[23]. Ibid., p.37.
[24]. J.-C. Michéa, ouvr. cit., p.72.
[25]. G. Steiner-Khamsi, « Réforme scolaire centrée sur l’efficacité : scénario 2010 », Conférence fédérative des enseignants du SSP à La Chaux-de-Fonds, 15-16 mai 1998, texte non publié, p.1.
[26]. G. De Sélys, N. Hirtt, « L’Ecole, grand marché du XXe siècle », in Le Monde diplomatique, juin 1998.
[27]. J.-C. Michéa, ouvr. cit., p.75. (A lire absolument. Sur ce point particulier : p.47-59 ; 71-80 ; 97-106.)
[28]. H;-P. Martin, H. Schumann, Le piège de la mondialisation, Paris, Solin Actes Sud, 1997, p.25, traduction de Olivier Mannoni.
[29]. B. Brecht, Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, Paris, L’Arche, 1983, p.8, traduction de J.-C. Hémery.
[30]. J. -C. Michéa, ouvr. cit., p.58.
[31]. R. Debray, « A monsieur le ministre de l’éducation », in Le Monde, 3 mars 1998.
[32]. E. Kant, Traité de pédagogie, Paris, Hachette, 1981, p.40, traduction de P.-J. About.
[33]. R. Redeker, « L’école contre la République », in Marianne, 11 octobre 1999.
[34]. J.-C. Milner, De l’école, Paris, Editions du Seuil, 1984, p.60.
[35]. H. Boillot, M. Le Du, La pédagogie du vide, Critique du discours pédagogique contemporain, Paris, PUF, 1993, p.17.
[36]. L. Jospin, « Propositions pour la rénovation du lycée », Conférence de presse, 22 avril 1991.
[37]. R. Chapuis, « Propositions pour la rénovation du lycée », Conférence de presse du 22 avril 1991.
[38]. J.-J. Rousseau, Emile ou de l’éducation, Paris, Garnier-Flammarion, 1993, p.76.
[39]. B. F. Skinner, La révolution scientifique de l’enseignement, cité in B. Berthelot, « Les ‘sciences de l’éducation’ ou l’imposture pédagogique », texte non publié, p.12. (C’est moi qui souligne, G.M.)
[40]. C. Allègre, in Les Echos, 3 février 1998.
[41]. J. Billard, « Sciences de l’Education et pédagogie de la philosophie », in L’Enseignement philosophique, mars-avril 1993, cité in Liliane Lurçat, Vers une école totalitaire. L’enfance massifiée à l’école et dans la société, Paris, François-Xavier de Guibert, 1998, p.142.
[42]. J.-C. Michéa, ouvr. cit., p.74.
[43]. J.-C. Michéa, ouvr. cit., p.56.
[44]. Inspection générale de l’Education nationale, « La formation initiale et continue des personnels de direction », Ministère de l’Education nationale, Rapporteurs Philippe Duval, Martine Sorti, octobre 1998, n°98-003, p.10.
[45]. J.-P. Le Goff, Le mythe de l’entreprise, Paris, La Découverte, 1996, p.184.
[46]. J.-P. Le Goff, Les illusions du management, Paris, La Découverte, 1996, p.11.
[47]. IGEN, rapport cité : « Soulignons ici que parmi les compétences professionnelles requises pour les personnels de direction figurent notamment des compétences visant à garantir la continuité et la progressivité de l’enseignement » et que sont cités, à titre d’exemples, « être capable d’une approche épistémologique de l’ensemble des disciplines enseignées aux élèves, [...]connaître à grands traits l’évolution récente des didactiques de ces disciplines. »
[48]. J.-C. Milner, De l’école, Paris, Editions du Seuil, 1984, p.75.
[49]. P. Legendre, Miroir d’une Nation, L’Ecole Nationale d’Administration, Turin, Les mille et une nuits, 1999, p.36.
[50]. H. Boillot, M. Le Du, La pédagogie du vide, Critique du discours pédagogique contemporain, Paris, PUF, 1993, p.210.
[51]. Ibid., p.209.
[52]. « Projet de l’Académie de Créteil », Rectorat, 4, rue Georges Enesco, 94010 Créteil Cedex. Document en possession de l’auteur.
[53]. Ibid.
[54]. P. Legendre, Leçons VI, Les enfants du texte, Etude sur la fonction parentale des Etats, Paris, Fayard, 1992, p.50
[55]. L. Lurçat, La destruction de l’école élémentaire et ses penseurs, ouvr. cit., p.184-192.
[56]. R. Musil, « Le désir d’ordre se transforme toujours en désir de meurtre. » (Traduction G.M.)
[57]. P. Legendre, Leçons IV, L’inestimable objet de la transmission, Etude sur le principe généalogique en Occident, Paris, Fayard, 1996, p.359-360.
[58]. P. Legendre, Leçons VI, Les enfants du texte, Etude sur la fonction parentale des Etats, Paris, Fayard, 1992, p.53.
[59]. P. Legendre, Miroir d’une Nation, L’Ecole Nationale d’Administration, ouvr. cit., p.68.
[60]. Voir notamment Y. Bollmann, La tentation allemande, Paris, Editions Michalon, 1999, 194 p. T. Féral, Culture et dégénérescence en Allemagne, Paris, L’Harmattan, 1999, p.91-114.
[61]E. Hobsbawm, L’Âge des extrêmes, Histoire du court XXe siècle, Paris, Editions Complexe, 1999, p.718.
[62]. Ibid., p.722.
[63]. H.-P. Martin, H. Schumann, ouvr. cit., p.22.
[64]. H.-P. Martin, H. Schumann, ouvr. cit., p.136-138.
[65]. D. Baecker, Postheroisches Management, Berlin, Merve Verlag, 1994, p.50-51, traduction de G. M.
[66]. M. Gorbatchev, Discours d’ouverture, cité in Hans-Peter Martin et Harald Schummann, Le piège de la mondialisation, Paris, Solin, Actes Sud, 1997, p.10, traduction d’Olivier Mannoni.
[67]. Ibid., p.10-13. (Cette question est magistralement développée par J.-C. Michéa, in L’apprentissage de l’ignorance et ses conditions modernes, ouvr. cit.)
[68]. M. Clouscard, Les métamorphoses de la lutte des classes, Paris, Le Temps des cerises, 1996, p.22-23.
[69]. K. Marx, F. Engels, Manifeste du parti communiste, ouvr. cit., p.33.
[70]. C. Dejours, Souffrance en France, Paris, Editions du Seuil, 1998, p.47.
[71]. D. Collin, ouvr.cit., p.153.
[72]. Ibid., p.70.
[73]. S. George, « La marchandisation de la planète », Association Sciences Technologie et Société, 13 novembre 1997, texte non publié.
[74]. K. Marx, F. Engels, Manifeste du parti communiste, ouvr. cit., p.33.
[75]. D. Bonhœffer, Résistance et soumission, Genève, Labor et Fides, 1973, p.227, traduction de Lore Jeanneret.
[76]. C. Dejours, Souffrance en France, Paris, Editions du Seuil, 1998, p.15.
[77]. S. Ledoux, M. Choquet, « La prise de médicaments psychotropes chez les adolescents », in Drogues et toxicomanies, Indicateurs et tendances, Paris, OFDT, Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, 1996, p.74.
[78]. Voir P. Legendre, Leçons IV, L’inestimable objet de la transmission, Etude sur le principe généalogique en Occident, Paris, Fayard, 1996, notamment chapitre III. M.-F. Delfour, Inceste et langage : l’agir hors de la loi, Paris, L’Harmattan, 1999, notamment chapitre I.
[79]. D. Collin, La fin du travail et la mondialisation, Idéologie et réalité sociale, Paris, L’Harmattan, 1998, p.188.
[80]. V. Klemperer, LTI La langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996, p.32, traduction d’Elisabeth Guillot. C’est moi qui souligne, G.M.).
[81]. G. Steiner, « Le miracle creux », in Langage et silence, Paris, 10-18, 1999, p.109, traduction de Jean-Pierre Faye.
[82]. D. Bonhœffer, ouvr. cit., p.224.
[83]. J. Bouveresse, Rationalité et cynisme, Paris, Editions de Minuit, 1985, p.202-203.
[84]. F. Nietzsche, L’Antéchrist, Paris, Garnier-Flammarion, 1994, p.43, traduction d’Eric Blondel.
[85]. J.-Y. Bourdin, « Violence et crise de l’école des pauvres », in Ecole et violence, Paris, Adapt, 1997, p.45.
[86]. C. Dejours, Souffrance en France, Paris, Editions du Seuil, 1998, p.10.
[87]E. Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?, Paris, Vrin, 1978, p.86, traduction d’Alexis Philonenko.
[88]. J. Hassoun, La cruauté mélancolique, Paris, Champs Flammarion, 1997.
[89]. N. Wiener, Cybernétique et société, UGE 10/18, 1971, p.30, cité in D. Collin, ouvr. cit., p.177.
[90]. P. Legendre; Leçon I, La 901e Conclusion, Essai sur le théâtre de la Raison, Paris, Fayard, 1998, p.213.
[91]. V. Klemperer, ouvr. cit., p.38.
[92]. J. Rancière, Philosophie et Politique. La Mésentente, Paris, Galilée, 1995, p.143.
[93]. M. Bakhtine, Marxisme et philosophie du langage, Paris, Editions de Minuit, p.12, 1997.
[94]. J. Hassoun, ouvr. cit., p.33.
[95]. J. Hassoun, L’obscur objet de la haine, Paris, Aubier, 1997, p.119.
[96]. J. Hassoun, La cruauté mélancolique, Paris, Flammarion, Champs, 1997, p.216
[97]. D. Bonhœffer, Résistance et soumission, ouvr. cit., Labor et Fides, 1973, p.17.
[98]. P. Legendre, Miroir d’une Nation, L’Ecole Nationale d’Administration, Turin, 1999, p.32.
[99]. D. Collin, ouvr.cit., p.186.
[100]. J.-C. Guillebaud, La trahison des lumières, Paris, Editions du Seuil, 1995, p.66, cité in D. Collin, ouvr. cit., p.203.
[101]. D. Sallenave, Le don des morts, Sur la littérature, Paris, Gallimard, 1997, p.33.
[102]. H. I. Marrou, De la connaissance historique, Paris, Editions du Seuil, Points, 1975.
[103]. B. Brecht, La vie de Galilée, Paris, L’Arche Editeur, 1978, p.138, traduction d’Armand Jacob et Edouard Pfrimmer.
[104]. P. Legendre, Leçons VII, Le désir politique de Dieu, Etude sur les montages de l’Etat et du Droit, Paris, Fayard, 1988, p.357. « Mis à l’écart de par sa fonction, que devient le sujet ? Je devrais dire : le sujet dans son corps ? Un mot d’Eichmann, lors de son procès en 1961, fait écho à cette question de haute teneur scolastique : une obéissance de cadavre (Kadavergehorsam). »
[105]. K. Marx, F. Engels, L’Idéologie allemande, Paris, Editions sociales, 1968, p.57, traduction de G. Badia. (C’est moi, G.M., qui souligne.)
[106]. Ibid., p.45. (C’est moi, G.M., qui souligne.)
[107]. D. Bonhœffer, ouvr. cit., p.26.