LA PETITE CUILLERE ET LE GRAND PENIS

 

A propos de la

LETTRE A TOUS CEUX QUI AIMENT L’ECOLE[1]

Remarques critiques

 

 

 

“ Poser ici des questions et entendre peut-être

comme réponse ce fameux son creux qui parle

d’entrailles gonflées – quel ravissement…[2]

 

 

En hommage à

Michel Delord[3]

 

 

 

 

 

Le nouveau Ferry, tant attendu, est paru et nous l'avons reçu dans notre casier, à l’école. Nous l’attendions comme l’éléphanteau perdu dans la savane barrit en attendant anxieux le retour de sa maman…

 

Et pif ! Bien avant que d’être lu, ce livre fut d’abord vilipendé, puis brûlé, jeté aux orties, à la poubelle…, voué aux gémonies, jeté à la face du ministre par ceux qui ont encore trop souvent la prétention d’apprendre à lire aux petits enfants, autant, disait-on, à cause des circonstances brejneviennes de son édition que pour les façons artistes de la troïka[4] d’esquiver ses propres responsabilités politiques. Que d’émotions ! Chacun aurait pu s’attendre, joie et inquiétude mêlées, que le grand corps des professeurs relevât “ le défi essentiel pour l’avenir culturel, économique et social de notre pays : le défi du savoir et de l’intelligence. ”[5] Sans doute les ministres se voyaient-ils déjà parcourant la France, posant, sinon pour l’éternité, du moins pour TF1, à la sortie des colloques, conférences, symposiums, “ rencontres en régions, [organisés] avec des élus, des parents d’élèves, des enseignants, des jeunes… ”[6]. Maires et préfets, conseillers régionaux et recteurs pressentis, inspecteurs généraux et chargés de mission en tout genre ainsi que leurs épouses et époux respectifs préparaient, à défaut de questions embarrassantes, leurs plus beaux habits de parade. Ils se réjouissaient déjà à l’idée des cocktails, buffets, banquets, réceptions diverses où l’on peut conforter sa carrière[7]. Ils durent ranger habits, compliments et autres bons mots qu’ils avaient laborieusement préparés pour la circonstance. Tard dans la nuit, assis devant sa table de travail, un ministre lettré, épuisé par une longue journée de travail, à moitié endormi sur sa table, crut entendre une petite voix lui murmurer : “ Chaîne paradigmatique, chaîne paradigmatique..! ”. Et, dans une demi-inconscience, renouant avec une tradition surréaliste, il écrivit son premier poème en prose : “ Etre ministre, c’est accepter d’affronter les professeurs tels qu’ils sont, ou alors il faut changer de métier. ”[8] Il se réveilla en sursaut et sentit la peur le gagner.

 

Et paf ! Soudain, on entendit un grand coup de tonnerre : la France se transforma en immense salle de classe pour élèves en grandes difficultés. De singulières “ initiatives des acteurs de terrain ”[9] suspendirent toute certitude ministérielle. On vit des professeurs, jusqu’à des agrégés hors-classe, transformer des pages entières de l’ouvrage en cocottes en papier, en petits bateaux, en avions aéroplane… Les plus habiles des maîtres d’école y découpaient des figurines aux contours affriolants. Ces gestes d’incivilité furent commentés par de nombreux bigots de la presse écrite, les grands prêtres des informations de 20 heures, et même en latin le dimanche suivant dans plus d’une paroisse. Il s’en fallut de peu que, rangés par paquets, les livres ne servissent au montage de barricades dans les rues Saint-Jacques et Gay-Lussac. Cette simple pensée que, fût-ce à son corps défendant et contre sa bonne volonté, il eût pu contribuer matériellement à l’échafaudage d’une émeute, aux préparatifs d’une rébellion, aux exactions d’une sédition, voire aux violences d’une révolution, le plongea dans un grand désarroi[10]. Jamais[11] un best-seller, 800 000 exemplaires vendus-gratuitement en une seule journée, n’eut un tel destin tragi-comique. D’habitude, pour la moitié, on obtient le Goncourt et une rente. Philippe Sollers faillit avaler sa pipe. André Glücksman hésita entre l’écriture d’une tribune sur les droits de l’homme ou sur les… droits d’auteur. Il mélangeait tout. Bernard Henri-Lévy téléphona à Alain Delon ; il bafouilla quelque chose sur l’injustice distributive… Les directeurs de plusieurs grandes maisons d’édition se réunirent en secret sur le thème “ Des effets pervers des campagnes de promotion médiatiques trop bien préparées ”…

 

Et pouf ! Comme si trop n’était jamais trop, comme si le Malin s’acharnait contre lui, une grève intempestive vint gâcher les conditions d’un serein papotage que le ministre avait préparé avec grand soin. Les médias[12] ne savaient plus que faire pour venir à son secours. Le Monde écrivait alors : “ Amer[13], le ministre de l’éducation voit dans cette controverse une illustration de l’‘entreprise de déstabilisation des ministres de la société civile’. ”[14] Expliquant lui-même son dernier grand geste d’écriture, il déclarait : “ Ce livre n’est pas de la propagande. Il est fait pour ouvrir un débat, pour être critiqué. ”. On n’y vit rien de plus qu’une sorte de dénégation et le mal empira… A mesure que le nombre de grévistes et de manifestants augmentait, les comptables du ministère s’empêtraient dans les zéros, les pourcentages[15], les virgules. Plus le niveau montait, plus les chiffres baissaient. Le ministre crut plus sage de se préparer aux grandes vacances et jeta négligemment le Manuel d’Epictète dans sa grande valise. Gageons que l’auteur de La pensée soixante-huit maudira à jamais ces fameux mois de mai, douloureuses entorses à Une vie réussie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UN PROJET LONGUEMENT MURI

 

 

Et plouf ! Et pourtant, il faudra bien aussi aborder son contenu, revenir sur son diagnostic, sur ses propositions, en un mot, en faire la critique. Ici, nous n’aborderons qu’un chapitre, celui de la mise “ en place des cours de culture générale dans les premiers cycles universitaires ” (p.84-86). Je ne veux pas, à mon tour, découper la Lettre à tous ceux qui aiment l’école en petits morceaux, mais les questions qu’elle aborde sont si nombreuses, les vues si amples, les perspectives si hautes, qu’il est impossible à un seul d’en embrasser le contenu tout d’un coup. Il s’agit de “ Combattre l’échec au niveau des premiers cycles universitaires, notamment grâce à la mise en place de cours de culture générale adaptés à chaque voie de formation [parce que] trop de jeunes étudiants manquent de repères culturels indispensables pour s’approprier efficacement les savoirs dispensés à l’université. ”[16]. La cause des “  difficultés que les étudiants rencontrent à leur entrée à l’université […] est leur faible niveau en culture générale tant dans le domaine des humanités que dans celui des sciences. Beaucoup manquent des repères culturels indispensables pour replacer les connaissances qu’on leur enseigne dans un cadre où elles prendraient sens. ”[17]. C’est pourquoi le ministre propose “ […] aux universités de mettre en place dès 2003, au sein des premiers cycles universitaires, des cours de culture générale, non pas indépendants de la spécialité vers laquelle l’étudiant a choisi de s’orienter, mais conçus au contraire en fonction de celle-ci, de manière à la situer dans son contexte culturel et épistémologique. [18]

 

Pris sous cet angle, cet ouvrage ne pourra pas tomber sous le reproche d’avoir été improvisé. Par certains de ses aspects, c’est même un livre longuement mûri. Ici, je dois faire une parenthèse. L’observateur superficiel peut bien s’imaginer que la politique scolaire, à cause que la moyenne de vie d’un ministre est d’environ dix-huit mois, est plus guidée par sa volonté d’y laisser l’empreinte historique de “ sa ” réforme, ce qui confère un certain désordre, un certain chaos à l’ensemble. Il se trompe lourdement : c’est toujours et en toute occasion, comme nous allons le voir, l’intérêt des élèves qui guide leur action. En réalité, l’élection à ce poste ministériel est d’ordre sacrificiel. Le ministre ne va-t-il pas réaliser un des rêves de Luc Ferry vieux de plus de quinze années, dont une circonstance malheureuse a probablement retardé l’accomplissement. En effet, le livre qu’il écrivit conjointement avec Jean-Didier Vincent, publié en 1988, le fameux Qu’est-ce que l’homme ? Sur les fondamentaux de la biologie et de la philosophie[19], ne poursuivait-il pas déjà le même objectif ? Ils écrivaient alors : “ Nous avions ainsi imaginé qu’au-delà même de l’école ou du lycée, on puisse, dans les deux premières années de l’université, offrir à tous les étudiants, à côté de leur spécialisation disciplinaire, quatre ou cinq ‘cours pour grands débutants’ qui auraient pour finalité de remettre à niveau ceux qui en ont le plus besoin, leur donnant ainsi les chances d’un nouveau départ, mais aussi celle de compléter pour tous la formation interdisciplinaire afin de transformer les savoirs particuliers en culture générale.”[20].  Et ils précisaient le sens de leur entreprise : “ […] nous avons souhaité, dès l’origine, inciter nos collègues rédacteurs de programme à centrer autant qu’il est possible notre culture scolaire sur les éléments les plus fondamentaux de chaque discipline. Il nous semblait en effet nécessaire de repenser les contenus de notre enseignement à partir d’une telle exigence, afin de parvenir, si possible, à transmettre aux élèves une culture commune, un ‘socle commun’ de connaissances, de savoir-faire et de compétences nécessaires à  la formation d’un citoyen, d’un honnête homme capable de s’orienter dans le monde d’aujourd’hui. ”[21]

 

Et ils ajoutaient : “ ce livre doit beaucoup aux travaux que nous avons menés ensemble au sein du Conseil national des programmes (CNP) ”[22]. Ce livre était déjà le point d’aboutissement d’un travail mené “ tout au long de ces dernières années ”[23]. Ne boudons point notre bonheur ; depuis quelques années, nos ministres sont non seulement ministres, mais professeurs, c’est-à-dire acteurs de terrain comme on dit dans les sphères administratives. Non seulement ils nous disent ce qu’il convient de faire, mais ils nous montrent comment le faire et, plus rare encore, ils le font eux-mêmes. A les lire superficiellement, ils restent discrets sur le “ pour quoi faire ”. “ Tous deux professeurs d’université et chercheurs depuis de nombreuses années, tous deux également passionnés par notre discipline, nous avons donc décidé de mettre en pratique pour notre propre compte les conseils que nous ne pouvions nous contenter de dispenser à autrui. En clair, nous nous sommes proposé une forme d’échange de service que nombre de nos collègues, nous en sommes certains, aimeraient avoir eux aussi l’occasion de pouvoir se faire entre eux plus souvent : […) un cours fondamental de biologie […] contre un cours de philosophie... ”[24]. chacun adopta alors une “ démarche modeste ”[25], celle qui convient à l’auteur, qui n’hésite pas, selon une formule en vogue, à mettre la main à la pâte : “ Nous nous sommes posé chacun la simple question suivante : si j’avais un cours à faire pour un grand débutant, un cours qui concentrerait ce que je considère comme étant tout à la fois le plus fondamental et le plus intéressant dans ma discipline, comment m’y prendrais-je ? ”. On peut déjà poser quelques questions. Comment se fait-il qu’en quinze ans, le président et le vice-président du CNP n’aient pas pu réaliser une si noble ambition ? Ce qu’ils proposent n’est-il pas tout simplement l’équivalent (en toute petite réduction) de ce qui a été supprimé il y a plus de trente ans, soit l’année de propédeutique ? Comment se fait-il que des bacheliers entamant un cursus universitaire aient acquis un si faible niveau de culture générale alors que c’est la mission de l’enseignement général au lycée ? Ces questions et quelques autres restent ouvertes. Laissons les sceptiques à leurs doutes. Qu’est-ce que l’homme ? fut unanimement salué par la presse. Il faut lire les ouvrages de Jean-Didier Vincent, parce qu’il est « un homme d’une très grande culture », parce qu’il est « un homme très important »… En un mot comme en cent, mais dans quel sens ?, « c’est un grand coquin »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CONSEILS PEDAGOGIQUES PRELIMINAIRES

 

 

Comme l’improvisation musicale et la blanquette de veau, le meilleur cours est le mieux préparé. Quelques conseils, surtout dispensés par des hommes ayant déjà une longue expérience de la recherche et de l’enseignement, ne peuvent être que les bienvenus. Nous allons voir qu’à chaque étape de son élaboration, de nombreuses difficultés peuvent se présenter. Le professeur, surtout le professeur débutant, retirera donc grand avantage à lire le guide suivant et grand intérêt à le conserver jusqu’à ce qu’il en ait acquis les étapes, jusqu’à ce qu’il s’en soit approprié la substance. Il prendra également soin de le consulter régulièrement. Celui-ci sera très probablement à la pédagogie ce que furent, en philosophie, les Règles pour la direction de l’esprit. Aussi bien aurions-nous pu intituler ce chapitre : PATATRAS !

 

 

LE DIFFICILE CHOIX DU TITRE DE LA LEÇON

 

 

Qu’est-ce donc qu’un cours de culture générale du point de vue des deux professeurs passionnés ? Après s’être posé la question : “ […] si j’avais un cours à faire pour un grand débutant… ”, dans la même préface, les deux auteurs écrivent : “ Nous dirions volontiers en préambule que ‘ceci n’est pas un cours’ [...] Ce livre pourrait, en effet, paraître un cours [...] Les exposés qu’on va lire ne sont pourtant pas des cours. Ils n’obéissent pas à une logique scolaire... ”[26]. Ainsi, les deux auteurs prétendent ne pas faire œuvre pédagogique au sens scolaire du terme et précisent le sens de leur entreprise : il s’agit “ de faire œuvre simplement pédagogique ”[27]. Donc, c’est simple : un cours de culture générale est un cours qui n’est pas un cours ou, mieux encore, un cours, c’est quelque chose qui a l’air d’un cours, qui paraît… Ces propositions pourraient ne pas paraître complètement claires pour un débutant ; il convient donc d’entrer dans les détails, d’illustrer le paradoxe. La deuxième partie, écrite par Jean-Didier Vincent, l’actuel Président du Conseil national des programmes, intitulée : “ Initiation à la biologie ” (p. 141-263) tiendra lieu de modèle de cours pour débutants[28] dont tout professeur pourra tirer parti. C’est elle qui me servira de guide. Mais il semble qu’à cet endroit, les petits ennuis continuent. Dans le corps du texte, en effet, l’intitulé de ce chapitre devient : “ Initiation de la philosophie ”[29]. Admettons qu’il s’agisse d’une erreur typographique due à un moment d’inattention du correcteur[30]. Sans doute l’auteur voulait-il dire que son propos était d’initier les philosophes à la biologie. Il resterait à résoudre la petite question de savoir si ce cours, qui n’en est pas un, s’adresse à des philosophes, à des étudiants débutants en philosophie ou à la philosophie. Ceci n’est qu’un détail. Poursuivons.

 

 

L’OBJET DE LA LEÇON

 

 

Quel est alors l’objet du cours, qui n’en est pas un, de culture générale ? Partant du fait que “ la recherche des ‘fondements naturels’ de nos comportements tend […] à devenir aujourd’hui une évidence pour l’immense majorité des biologistes. ”[31], les deux auteurs constatent que “ Depuis une vingtaine d’années […] la biologie nous invite [...] à reconsidérer en termes neufs le problème des rapports de l’inné et de l’acquis, de l’hérédité et du milieu. ”[32], ou bien que les progrès de la biologie sont si considérables “ que la plupart des questions traditionnelles de la métaphysique s’en trouvent affectées. ”[33]. Qu’un philosophe et un biologiste prennent le risque d’une confrontation, se rencontrent pour faire le point sur ces difficiles questions et éclairer le public cultivé est plus que méritoire, ils peuvent alors prendre position “ sur la question qui [les intéresse] ici, celle de la définition de l’homme. ”[34] Rien de moins ! On s’interroge : “ Définir l’homme en quatre ou cinq cours ” ?  “ Mais alors, pourquoi affirmer vouloir se limiter à ‘tenir le pari ambitieux d’un cours d’initiation pure’ ”[35] ? ; “ Comment adopter une “ démarche modeste ”[36], “ faire preuve d’une réelle modestie ”[37] et prétendre fonder un “ nouveau matérialisme ”[38] ? L’“ élément le plus fondamental ”[39] de la biologie peut-il consister en la réponse à une question d’ordre philosophique ? ”. Comment pourrait-on être plus efficace pour embrouiller les jeunes étudiants ? Patience !

 

 

POINT DE VUE DE LA LEÇON

 

 

Quel est alors le point de vue de l’auteur ? On pourrait naturellement s’attendre à ce qu’un professeur de biologie se présentant devant de jeunes étudiants en philosophie en difficulté adopte le point de vue d’un biologiste, qu’il parte de “ [sa] condition de biologiste féru de choses matérielles... ”[40]. Eh bien non ! , son point de vue est tout autre ; il écrit, cédant sans doute à la mode pluri voire transdisciplinaire qu’il n’hésitera pas à faire des incursions chez nos amis les bêtes comme “ scientifique qui s’intéresse aujourd’hui à l’éthologie... ”[41]. Puis, complet revirement : “ Dans cette histoire, j’ai adopté le point de vue de l’homme... ”[42].

 

Alors, une étudiante laissa négligemment tomber sa règle graduée, une autre rejeta sa chevelure de feu en arrière, un jeune étudiant rougit… L’étudiant en philosophie en difficulté a déjà dressé l’oreille trois fois. Il se souvient très vaguement de ses cours de philosophie, il s’interroge : “ Veut-il dire matériel ou sensible ? ” ; “ Homme ? Soit. Mais vient-il devant moi comme homme ou, es qualités, comme professeur de biologie ? ” ; “ Ou bien entend-il par homme, philosophe ? ” Son doute augmente… Alors, le professeur, un tantinet provocateur, du moins le croit-il, précise son point de vue : “ Un biologiste n’a rien à faire d’une substance immatérielle qui viendrait animer les rouages compliqués du cerveau. ”[43] Son activité consiste à “ [...] relativiser l’idée ‘spiritualiste’ selon laquelle l’homme serait une ‘créature’ absolument à part, métaphysiquement distincte du reste des vivants. ”[44]. Le jeune étudiant opine : “ Ah oui ! je me souviens de Descartes, la substance pensante… ” ; “ Ah oui, je me souviens, Descartes, la mécanique… ” ; “Si je comprends bien, il vient nous faire un cours sur Descartes le métaphysicien contre Descartes le mécanicien. Ce ne serait pas mieux d’avoir alors un vrai cours de philosophie fait par un vrai professeur de philosophie ? ”. L’étudiant, de plus en plus sceptique : “ Mais les sociologues, les historiens, les économistes, les ethnologues, anthropologues, … même les philosophes, eux aussi, ils n’en ont rien à faire de la substance immatérielle ! ” ; “ Alors, la biologie, c’est quoi ce truc? ”.

 

Eh bien ! mon jeune ami, la biologie étudie la vie en tant que bios. On dira que le bios de la biologie, c’est la vie, la vie comme nature : “  il n’y aurait nul motif à y voir aujourd’hui, après tous les progrès scientifiques accomplis en ce siècle, quoi que ce soit qui puisse être tenu pour ‘sur-naturel’, au sens propre : situé au-delà de la nature, transcendant par rapport au monde matériel. ”[45]. La biologie nous invite, affirme Jean-Didier Vincent, “ à reconsidérer en termes neufs le problème des rapports de l’inné et l’acquis, de l’hérédité et du milieu. ”[46], à “ relativiser l’idée ‘spiritualiste’ selon laquelle l’homme serait une ‘créature’ absolument à part ”[47]... Il poursuit en affirmant que la “ recherche des ‘fondements naturels’ de nos comportements [...] tend donc à devenir aujourd’hui une évidence pour l’immense majorité des biologistes ”[48] et que “ pour la plupart d’entre eux, l’homme n’est, du point de vue de la science à tout le moins, qu’un être de nature, un animal parmi d’autres. ”[49] Il ajoute qu’il est doué de “ facultés exceptionnelles comme le langage, certaines formes spécifiques d’intelligence[...] mais ces spécificités elles-mêmes ne sont que les résultats de processus d’adaptation qui [...] ne se distinguent pas de ceux auxquels ont dû recourir pour survivre les calmars, les termites ou les éléphants. ”[50] Il n’y a donc rien de surnaturel dans le monde du biologiste : les miracles, le merveilleux, le fabuleux, … appartiennent ou bien au monde religieux ou bien au monde de l’enfance ou bien au monde poétique. Voilà le point de vue conséquent d’un biologiste matérialiste que le jeune étudiant en philosophie, enclin aux envolées métaphysiques, voire spiritualistes, considère souvent avec condescendance. Qu’il se rassure, parce que là, les choses se compliquent sérieusement : le monde du biologiste semble surpeuplé de fées et de génies, d’elfes et de lutins, de gnomes, farfadets et sorcières… Tout y est :

merveilleux : “ […] ce merveilleux instrument à manipuler les autres qu’est la parole. ”[51], “ Le langage est ce merveilleux appareil... ”[52].

prodigieux : “ Les prodigieuses capacités mnésiques de l’homme sont le corollaire de la part prépondérante de l’épigenèse dans la construction de son cerveau. ”[53].

fascinant :[54], “ il est fascinant d’observer un enfant âgé de deux à trois ans, capable de reconnaître et de nommer un animal, qu’il s’efforce de reproduire par des traits gribouillés sur du papier... ”[55].

mystérieux : “ Le simple fait de voir est une opération mystérieuse. ”[56] ; “ Sexe et mort, un couple peut être plus littéraire que scientifique. En tout cas, deux mystères qui se valent... ”[57]

formidable : “ Ainsi le langage, formidable instrument de culture et outil à instrumentaliser les autres... ”[58] ;

diabolique :  La parole est l’expression d’un talent diabolique par excellence, celui de l’imitation. ”[59]

fabuleux : “ Les étapes successives qui conduisent à l’espèce humaine traduisent la fabuleuse montée en puissance du diable. ”[60] “ Le langage articulé est certes d’une fabuleuse complexité, mais n’est-ce pas également le cas des ailes de l’oiseau, de la trompe de l’éléphant ou d’autres merveilles. ”[61] ; “ [...] le développement ‘fabuleux’ de son cortex préfrontal... ”[62] 

horrible : “ Des milliers de processus physiologiques sont à l’œuvre pour réaliser l’horrible projet génétique... ”[63]

extraordinaire : “ La cuisine et la chasse sont les deux mamelles de la culture humaine avec son extraordinaire variété. ”[64]. On ajoutera que la clarté et la cohérence sont les deux mamelles de la pédagogie.

théologique :  “ L’aventure génétique de notre lignée ‘s’achève’ sur l’apparition de l’ “ HOMME’... ”[65] Il enfila sa soutane et, levant les yeux au ciel en joignant les deux mains, dit : “ Il n’y a pas d’autre façon de comprendre les merveilleux instruments dont nous sommes dotés comme l’œil et l’oreille, qu’en les attribuant au génie de leur inventeur. ”[66] Il se signa en murmurant : “ On peut édifier une stèle immémoriale à la gloire de l’ADN... ”[67].

Le professeur fut enfin confronté à la difficile question du commencement, question qui taraude l’élève de terminale débutant en philosophie : “ La conclusion que la vie ne peut se faire à partir de l’incréé renvoie paradoxalement à la nécessité d’une création. ”[68]

 

L’étudiant en difficulté hésita : était-il assis devant son pupitre d’amphithéâtre ou assistait-il à un cocktail ministériel mondain ? Etait-il invité du Trophée Lancôme ? Il se souvenait très vaguement d’un de ses cours de philosophie : “ Qu’il arrive maintenant [aux hommes] de voir avec grande surprise quelque chose d’insolite, ils croient que c’est un prodige manifestant la colère des Dieux ou de la suprême Divinité […] De la sorte ils forgent d’innombrables fictions et, quand ils interprètent la Nature, y découvrent partout le miracle comme si elle délirait avec eux. ”[69]

 

Le professeur de philosophie ami et ministre se passa la main dans les cheveux au risque de mettre en péril la savante disposition de ses boucles. Ces sortes d’envolées émouvantes lui plaisaient, il y reconnaissait quelque chose comme une filiation spiritualiste dont il était le héros actuel. Mais, bien que très embarrassé, il fut contraint de se souvenir vaguement de ce qu’il avait écrit récemment “ […] il faut faire comprendre aux enfants, et à tous ceux qui en douteraient, que l’univers culturel des adultes est, du moins bien sûr dans ce qu’il a de meilleur et que les programmes s’efforcent d’identifier, plus vrai, plus riche, plus profond et plus intéressant que celui auquel on risque d’en rester si, comme Peter Pan, on s’accroche à l’enfance. ”[70] Richesse. Profondeur. Vérité. Les… trois mamelles auxquelles on doit s’accrocher.

 

 

LA RIGUEUR DU CONCEPT

 

 

Comme nous l’avons déjà vu, il s’agit d’un cours d’initiation de la philosophie à la biologie. Donc, de dire le dernier mot sur ce qu’il en est de l’homme. Le titre de l’ouvrage n’est-il pas : Qu’est-ce que l’homme ? Nous savons aussi que “ pour le biologiste le doute n’existe pas : l’homme est un animal ”[71] et que “ le philosophe[72] l’entend différemment : l’homme n’est pas un animal. ”[73] Qu’est-ce à dire ?

 

Eh bien ! mon jeune ami, cela veut très exactement dire ceci que “ l’homme, à la différence de la bête, sait qu’il sait... ”[74]. Et, si cela ne vous convient pas, vous pouvez tout aussi bien affirmer en même temps que “ les [passions] sont le propre de l’homme... ”[75]. Je sais, je sais, je m’attaque à des sujets extrêmement difficiles, voire monstrueux : “  confronté à cet absolu de l’homme, la monstrueuse vérité est là, inavouable, nous descendons d’un singe. ”[76]. Le jeune homme rougissant, tout en se dandinant sur son siège, fredonna dans sa tête quelques vers d’une chanson coquine de Georges Brassens. La jeune fille à la chevelure flamboyante ferma les yeux et suçota négligemment son stylo…

 

Je me dois de “ serrer la vérité au plus près [77].C’est pourquoi vous devez, comme moi, préférer la rigueur et la détermination : la rigueur et la détermination sont les deux mamelles de… Accrochez-vous aux mamelles ! Mais si cela ne vous convient pas, alors dites “ une seule [espèce] possède le don des langues : la nôtre. ”[78]. Et puis, comme nous sommes en démocratie, et que chacun est libre d’exprimer son opinion, vous pourrez toujours dire que “ l’amour et la haine […] sont en revanche le propre de l’homme... ”[79] On ne va pas s’engueuler pour si peu ! Faites donc comme moi, vous pouvez dire ce que vous voulez, cela n’a aucune espèce d’importance, et d’ailleurs, je m’en fous complètement. Voyez donc : “ Après avoir introduit une distinction entre émotions et passions à laquelle m’a conduit la crainte d’une dérive vers une anthropologie trop animalisante, il me faut cependant accepter de biologiser les passions pour suivre la proposition : l’homme est un animal [...] tout en me rendant à l’injonction inverse : en raison de ses passions, l’homme n’est pas un animal. Position inconfortable certes, mais après tout, que celui qui pense que la situation de l’homme dans le règne animal est confortable, me lance la première pierre. ”[80]

 

Si vous le souhaitez, je peux vous parler d’autre chose. En pédagogie, il faut éviter d’être ennuyeux[81], tout l’art du véritable pédagogue consiste à contourner “ le risque inévitable d’être ennuyeux ”[82] ; redoutable difficulté, sauf pour le biologiste qui sait qu’il y a “ une génétique de l’ennui ”[83]. Eh bien ! , moi, je peux vous parler de tout et même de n’importe quoi... C’est, comme qui dirait, ma spécialité… Souhaiteriez-vous que je vous dise tout sur la mort ? Je peux être poétique : “ L’homme est vivant - un vivant qui promène avec lui son cadavre, ce corps que la mort change en relique pour l’édification des passants. ”[84] La vie à la mort mêlée… Je peux aussi aborder la question d’un point de vue ministériel voire du point de vue de l’économiste. Comment ? Vous ne saviez pas que j’étais aussi féru d’économies ? La preuve, dans ma poche, j’ai toujours une carte de crédit du m… Merde !, je voulais dire de m… ma banque. Donc, pour la retraite, vous repasserez car  : “ […] on affecte aussi de croire que la mort est utile en débarrassant le plancher des vieux qui ne valent plus rien pour la reproduction. ”[85] Il ne faut pas craindre d’être radical. La jeune étudiante en difficulté fit une moue attristée. Elle s’ennuyait. Je peux aussi être spirituellement spiritualiste, c’est-à-dire aussi philosophe que mon ami philosophe-ministre. Par exemple, je peux vous dire : “ Croyant ou non, l’homme est cet animal apeuré par la connaissance de sa mort à laquelle, seul parmi les animaux, il rend tribut. ”[86]. Et, si cela ne vous convient pas, je peux aussi bien écrire : “ Il ne faut pas s’y tromper, il n’y a rien là [à propos des inquiétudes relatives à la mort] de spécifiquement humain. Quoi de plus ritualisé que certains comportements décrits par l’éthologie animale. ”[87] D’ailleurs, je m’en fous complètement. Tout ça, c’est de la com.. De la com…édie !

 

Mais vous êtes bien jeune, la mort ne vous intéresse pas plus que la retraite. C’est bien compréhensible. Tiens ! Je peux même vous faire un cours de culture générale sur la culture. Pourquoi pas un cours fondamental sur un art fondamental : l’art ? Parce que, mon jeune ami, “ l’art nous fournit une introduction exemplaire à l’étude de l’homme passionné et des mécanismes biologiques à l’œuvre dans son cerveau. ”[88] Vos petits professeurs de philosophie ne vous apprennent pas que “ l’art est ce produit spécifique du cerveau humain… ”[89] parce qu’ils ne savent pas que “ l’art n’existe en effet que dans le cerveau de l’homme à qui il s’adresse et qui seul est capable de le produire. ”[90] Et puis merde ! J’allais oublier que le collègue et ami Porchet nous conseille de “  davantage prendre en considération les aptitudes à mener une réflexion critique portant sur le sens. ”[91] C’est bien simple, si on n’introduit pas du sens partout, plus rien ne fait sens, et l’étudiant en difficulté perd le sens du sens. Moi, je ne suis pas contre le sens, d’ailleurs, je ne parle que de ça, je ne pense qu’à ça. Le sens, c’est devenu une religion pour moi. Je dirai même plus : le sens est le sens lui-même. D’ailleurs, j’ai écrit des choses extrêmement intéressantes sur l’art et le sens. Par exemple, “ Cet art jaillit[92] à la source du désir, au sein d’un ensemble de sensations porteuses de sens. ”[93]. Le sens, c’est le sens même ! On ne parle jamais assez du sens : “ Le sens éclate dans l’émotion partagée entre l’enfant et l’adulte qui regardent son œuvre. ”[94]. Si vous voulez, je peux même rentrer dans les détails – quand j’étais petit, je voulais devenir critique d’art. Très petit déjà, j’ai su que j’étais appelé à un grand destin. Je ne suis pas comme ces petits cons de la « Seine-Saint-Denis qui n’[ont] jamais entendu parler de Véronèse et [qui n’ont] jamais vu un de ses tableaux et ne [seront] pas attiré[s] par Venise. ”[95]. Commentant un tableau d’Antonello da Massina (La Vierge de l’Annonciation), j’écrivais alors : “ Le corps de la madone est légèrement tourné vers la droite où se trouve le livre qui s’adresse directement à notre hémisphère gauche. ”[96]

 

De l’art à la névrose, il n’y a qu’un pas. Voulez-vous que je vous parle de la névrose ? Les étudiants aiment bien qu’on leur parle de la névrose ; ils pensent à leur enfance, leurs blessures indélébiles, le petit frère ou la petite sœur nés juste au moment où il ne fallait pas…, les mensonges, les silences et les hontes de leurs parents, la trentième tentative de suicide de la voisine, les bizarreries du grand-père, la constipation de la grand-mère, l’alcoolisme du voisin du troisième étage ; et puis, ils voient les lunettes de Freud, entendent les noms énigmatiques de l’homme aux rats, l’homme aux loups, repensent à leurs tentatives de lecture, l’ogre de leur enfance… Tiens !, quand j’étais enfant, je voulais être psychanalyste. Je lisais beaucoup, je regardais les jambes de la femme allongée sur MON divan et me réjouissais de son transfert superpositif (Tiens !, ça sonne comme suppositoire !). Mais la psychanalyse est trop superficielle, elle ne s’occupe pas des glandes endocrines. C’est comme ça, c’est pour ça que je suis devenu névrosé. “ Comment dire l’étonnement du biologiste, qui nage désespéré dans les tourbillons de sa névrose, éclaté entre la peur de vivre et celle de mourir, devant cette molécule d’ADN – certitude venue du fond des temps ! ”[97]

 

“ La névrose n’est pas non plus l’apanage de l’homme et beaucoup d’animaux domestiques partagent celle de leur maître. [98] L’étudiante à la chevelure de feu éclata de rire. Elle s’excusa. Elle se pensait chienne. « ‘Un chien qui, par désespoir amoureux, se laisse mourir sur la tombe de son maître, est-il vrai ou faux » ? Réponse du Maître : « Vrai… Un chien peut devenir névrotique. Il peut perdre toute autonomie, former avec son maître un couple symbiotique. »[99] Elle se dit : « Je te vois venir… ». Elle venait de penser à cette phrase qu’avait écrite le professeur de philosophie deux ans auparavant : “Il n’y a d’inconscient que chez l’être parlant. Chez les autres, qui n’ont d’être qu’à ce qu’ils soient nommés bien qu’ils s’imposent du réel, il y a de l’instinct, soit le savoir qu’implique leur survie. Encore n’est-ce que pour notre pensée, peut-être là inadéquate. Restent les animaux en mal d’homme, dits pour cela d’hommestiques. ”[100] Elle était persuadée qu’il était inutile de discuter avec un tel terroriste. Depuis, elle avait essayé de lire ces fameux Ecrits. Elle croyait encore n’y rien comprendre, et pourtant, parfois, elle éclatait de rire. Elle avait appris des phrases par cœur à cause de leur beauté poétique, telle celle-ci : “ […] une prétendue maturation instinctuelle mène tout droit les meilleurs esprits à s’égarer jusqu’à […] la folie qui va chercher dans le protiste le schème imaginaire de l’effraction corporelle dont la crainte commanderait la sexualité féminine. Pourquoi dès lors ne pas chercher l’image du moi dans la crevette sous le prétexte que l’un et l’autre retrouvent après chaque mue leur carapace. ”[101] Enfant, sa grand-mère lui avait donné ce petit nom gentil, cela l’énervait et l’agaçait : “ Ma crevette ! ”

 

Il faut quand même que je vous explique ce que c’est que mon matérialisme nouveau. Il tient en un mot : le cerveau. Quoi qu’il se passe sur terre, c’est le cerveau. Il n’y a rien d’autre que le cerveau : “ Le cerveau offre la scène de ce drame où se jouent les péripéties de notre existence. ”[102]. Voulez-vous expliquer les accidents de la route, parlez donc du “ spectacle de milliers de cortex frontaux s’invectivant au volant de leurs automobiles ”[103]. N’importe quel sujet est réductible au cerveau. Le cerveau est au biologiste ce que Dieu est aux théologiens. La preuve ? : “ Une pomme est posée sur la table. Mon cortex occipital la voit ; mon cortex temporal associatif dit : ‘elle a l’air bonne.’ Mon cortex pariétal associatif conclut : ‘je vais la manger.’ Mon cortex préfrontal dit alors : ‘Je vais la porter à ma bouche et la croquer.’, ce que fait mon cortex moteur, sous le contrôle vigilant de mon cortex somesthésique. Et tout mon cerveau se régale. ”[104].

 

Le jeune homme rougissant se fit un petit plaisir et murmura entre ses dents : “ Voilà de quoi être complètement pommé ! ” Ce qui le conduisit directement au jardin d’Eden, chez le marchand des quatre saisons, il vit le sourire de Sacha Distel et atterrit chez Marx. Il eut alors l’impression de comprendre ce qu’il n’avait pas compris en classe de philosophie, “ le mystère de la construction spéculative, la construction hégélienne ” (Das Geheimnis der spekulativen, der Hegelschen Konstruktion). “ Quand, partant de réalités : pommes, poires, fraises, amandes, je me forme la représentation générale de ‘Fruit’ ; quand, allant plus loin, je m’imagine que ma représentation abstraite, le ‘Fruit’, tirée des fruits réels, est un être qui existe hors de moi, mieux, qui constitue l’essence vraie de la poire, de la pomme, etc., je déclare – en langage spéculatif… ”[105] Et il conclut que l’explication du biologiste était une sorte de construction spéculative issue, non de la “ raison spéculative ”, mais “ d’un cerveau […] tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile… ”[106].

 

Les trois étudiants commençaient à comprendre qu’ils avaient affaire à un bateleur de foire et qu’on les prenait pour des poires. Ils commençaient aussi à comprendre combien il était important de lire et de relire de vrais textes de philosophie pour “ ne plus être trompés par les impostures d’un magicien ”[107].

 

Légèrement indisposé de sentir un certain désintérêt des étudiants pour la matière, le professeur conclut qu’ils ne comprenaient rien du tout à la biologie glandulaire matérialiste. Il se fit alors en aparté la remarque suivante : Qu’est-ce que je pourrais encore leur raconter à ces petits cons débiles de la Seine-Saint-Denis  ? Ceci, par exemple : “ Si l’on effaçait de la surface de la terre l’ensemble des cerveaux humains, l’art disparaîtrait du même coup. ”[108] Profonde remarque philosophique. Pour préciser sa pensée, il ajouta : “ J’emploierai indifféremment cerveau et sujet, les deux mots se référant, pour mon propos, à un même contenu sémantique. ”[109] On ne va pas s’emmerder avec des petits détails. Plus de cerveau, plus de bonhomme. Plus de bonhomme, plus d’art. Même Hegel n’y avait pas songé. Ne suis-je pas génial ? En toute occasion, je ne parle que de moi. MOI ? Mais qui suis-je ? “ Le cerveau [...] ne compte qu’un seul habitant, Moi, sujet d’un monarque absolu... ”[110] Les étudiants étaient écroulés de rire sur leur pupitre. Le professeur en conclut que ces étudiants étaient bien niais.

 

Il se dit que quelque chose avait dû piquer leur “ hypothalamus latéral ”[111] Il vit le jeune homme rougir et se souvint de son grand œuvre, Biologie des passions, et de l’“ expérience cruciale ” qu’il aurait voulu présenter devant l’Académie : “ Une manière indirecte de connaître le plaisir éprouvé par le sujet consiste à lui offrir un choix. Prenez un volontaire, mettez-le dans un bain qui pourra être très froid, froid, chaud ou très chaud. Mesurez sa température rectale ; demandez-lui de noter le plaisir ou déplaisir qu’il éprouve… [ ?!] ”. A certains égards, l’histoire de la psychiatrie peut se résumer à une histoire de baquet !

 

L’étudiant rougissant avait sorti discrètement une revue qu’il lisait pour la première fois. Il essayait vainement de gommer cette bizarrerie de lui-même qui sortait invariablement sous forme de plaques envahissant son visage dès qu’il se sentait coupable de… Mais de quoi donc était-il coupable ? Il espérait toujours que la lecture d’un livre ou d’une revue spécialisée lui apporterait des lumières sur son état. Il lit : “ Tous les cours triomphalistes et les doctes hypothèses sur les neurotransmetteurs se sont révélées illusoires, comme le montrent fort bien David Healy et Philippe Pignarre lequel utilise à ce propos l’amusante expression de ‘petite biologie’. ”[112]. Il n’osa pas croire que ces propos pussent s’adresser au professeur mais, … En rangeant ses cheveux sous un chapeau aussi impossible que celui de Charles Bovary, la jeune étudiante à la chevelure flamboyante se souvint de ce qu’elle avait lu la veille : “ [...] sans les danses et sans la musique, l’humanité n’aurait sans doute pas survécu... ”[113] Elle se mit à douter. Le professeur s’en aperçut, et décida de changer de sujet. Le langage… Je vais leur parler du langage. Le langage, c’est ma spécialité. Quand j’étais petit, je rêvais de devenir linguiste. Je rêvais de dépasser Benveniste et Martinet, de Saussure et Jakobson. J’étais invité à la télévision, je recevais le prix Nobel à l’âge de 20 ans. J’en profitais pour être exempté du service militaire. Je m’achetais de belles chaussures vernies et un costume de cérémonie… Je brillais, je brillais..!

 

 

LA RIGUEUR DU CONCEPT (SUITE)

 

 

Je pose ma thèse principale : “ L’homme n’apprend pas vraiment à parler, pas plus que l’oiseau n’apprend à voler. Ce savoir est déposé par ses gènes dans son cerveau et c’est le congénère qui lui révèle ce trésor. [114]… Mais il faut d’abord, par simple souci pédagogique, procéder à la critique critique des travaux linguistiques d’Aristote à Lévi-Strauss.

 

Il faut d’abord en finir avec une vision étriquée, ancienne, voire naïve du langage, telle qu’on la trouve, par exemple, chez Aristote : “ or seul parmi les animaux l’homme a un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au point d’éprouver la sensation du douloureux et de l’agréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres [notions] de ce genre]. ”[115] Vous remarquerez d’abord qu’Aristote ne pose même pas la question de l’origine du langage, ce qui en dit long sur le caractère surfait de sa réputation dans l’histoire de la philosophie. Notez bien ceci que MOI, j’ai résolu la question : “ [...] le langage est […] un instinct présent chez tous les hommes... ”[116] Je dirais même plus : “ On peut raisonnablement conclure que le langage est certes un instinct présent chez tous les hommes, mais que son expression fait appel à un ensemble de systèmes neuronaux… ”[117]

 

Plus absconse encore est la théorie politique qu’Aristote développe à partir de sa conception du langage. En effet, celui-ci prétend, sans aucune preuve scientifique, que les hommes peuvent agir pour vivre ensemble dans une communauté pour leur bien. Nous devons nous éloigner et rompre résolument avec ce charabia philosophique. Quant à la question de l’articulation du langage, MOI, JE vais vous régler ça vite fait. Je dirais donc que “ le langage de l’homme ressemble finalement à une immense boîte à outils qui servent à manipuler le monde. ”[118]. La morale, le bonheur… vieilles lunes métaphysiques. Ce n’est pas sérieux ! Il faut être résolument pragmatique et affirmer que “ la langue est un élément majeur de la culture. ”[119] Oui, mais seulement en tant qu’elle vise à dominer ses congénères.

 

Rassemblons nos souvenirs. Mon collègue Porchet pose une redoutable question : “ Comment peut-on encore habiliter des filières de biologie sans introduire des notions de bioéthique… ? ”[120] L’éthique ? La bioéthique ? Je ne connais que ça ! D’ailleurs, quand j’étais petit je rêvais de devenir moraliste. Je me voyais déjà sur les traces de La Bruyère, Michel Droit, Chamfort, Roger Giquel, La Rochefoucauld, Jean-Pierre Foucault (que je confonds systématiquement avec Michel Foucault), Nietzsche, Patrick Poivre d’Arvor, ce cher Comte-Sponville … Merde ! J’allais oublier Blaise Pascal. Grâce à lui, j’ai reçu un prix littéraire pour mon œuvre libertine, Casanova, la contagion du plaisir. Sollers peut s’aligner ! Je présentais les actualités de vingt heures sur TF1 et Antenne 2. Tous les soirs, quinze minutes avant mon office, je passais à la salle de maquillage. J’adore être maquillé… La poudre aux yeux, c’est ma grande spécialité.

 

La jeune étudiante à la chevelure rousse s’ennuyait de plus en plus. Elle fredonna dans sa tête cette fameuse chanson offerte en cadeau à Patachou qu’elle entendait enfant chez ses grands-parents : “ Boîte à outils ! / Boîte à outils ! / Po-pom / Po-pom. Mon dieu quel bonheur ! Mon dieu quel bonheur / D’avoir un mari bricoleur… ”. Elle ajouta : “ Mon dieu quel malheur ! / Mon dieu quel malheur ! / D’avoir un prof qui pérore ! / Mon dieu quel malheur ! / Mon dieu quel malheur ! / D’avoir un professeur péroreur !.. ”

 

Maintenant, le professeur parlait tout seul.. Quant à Lévi-Strauss, je vous en déconseille la lecture. Il est bien meilleur lorsqu’il cause cuisine ! Je vous recommande tout particulièrement sa recette de potée aux choux (pour le cuit) et celle de filets de rascasse aux fines herbes (pour le cru). Le reste, tout le reste est affligeant. Prenez ce texte sur l’écriture : “ C’est une étrange chose que l’écriture. Il semblerait que son apparition n’eût pu manquer de déterminer des changements profonds dans les conditions d’existence de l’humanité […] On la concevrait volontiers comme une mémoire artificielle, dont le développement devrait s’accompagner d’une meilleure conscience du passé, donc d’une plus grande capacité à organiser le présent et l’avenir. […] Pourtant, rien de ce que nous savons de l’écriture et de son rôle dans l’évolution ne justifie une telle conception. Une des phases les plus créatrices de l’histoire de l’humanité se place pendant l’avènement du néolithique. Responsable de l’agriculture, de la domestication des animaux et d’autres arts. Pour y parvenir, il a fallu que, pendant des millénaires, de petites collectivités humaines observent, expérimentent et transmettent le fruit de leurs réflexions. Cette immense entreprise s’est déroulée avec une rigueur et une continuité attestées par le succès, alors que l’écriture était encore inconnue. ”[121] On dira ce qu’on voudra, mais ceci est du pur bavardage. Ce genre de déclaration peut bien vous mener à l’Académie française où l’on se complaît dans la littérature, mais certainement pas à l’Académie des sciences. Mais au fait, comment se fait-il que mes confrères de l’Académie n’aient pas encore songé à MOI ? Nous reconnaîtrons donc quelque qualité littéraire au style de Lévi-Strauss, mais pas plus. MOI, PERSONNELLEMENT, JE conclus : “ Ainsi le langage, formidable instrument de culture et outil à instrumenter les autres, ne laisse pas d’empreinte avant l’invention de l’écriture. ”[122]

 

Ayant déblayé le terrain, débarrassé l’étude du langage de ses scories métaphysiques, littéraires et poétiques, nous allons pouvoir en venir aux questions plus sérieuses, notamment celle de l’innéité du langage. Ne nous laissons pas emmerder par ce genre de détails. Vous choisirez ce qui vous convient le mieux. En conclusion : “ Il est donc aussi juste de dire que le langage est le résultat d’un apprentissage que d’affirmer sa nature instinctive et héréditaire. ”[123]. J’apporterai la précision suivante : “ Le cerveau gauche, dit hémisphère dominant, est responsable du langage parlé et écrit, du calcul – il pense de façon logique et sérielle et établit les relations de causalité[124] entre les objets et les faits. ”[125]

 

“ [...] les chants d’oiseaux qui varient d’un lieu à l’autre et constituent de véritables dialectes locaux. ”[126] L’étudiante ouvrit la première page d’un roman que lui avait offert son ami la veille. Elle avait branché son walk-man et lisait :  Ne pas oublier les oiseaux. Le rossignol ne chantera ni cou-cou ni cra-cra, le corbeau n’émettra pas de trilles. Jamais. Qu’ils sortent de l’œuf ici ou là, le langage des oiseaux est, comme le plumage, attaché à l’espèce. L’homme parle la langue qui a entouré son berceau. Blanc, jaune ou noir, s’il est né parmi des parlants français, il parlera le français, né parmi des parlant chinois, il parlera chinois. Pour l’homme, il existe une langue maternelle, son premier mode d’expression ; ensuite, il peut l’oublier, en apprendre une ou plusieurs autres sans oublier la première. L’homme est capable de s’expliquer dans les cou-cou, cra-cra et autres trilles humains. […] La langue est un facteur majeur de la vie et de la création. ”[127]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’EXEMPLE EST LA CHOSE MÊME

 

 

Le rapport Porchet indique : “ L’enseignement des sciences actuelles est de plus en plus difficile à concevoir. La démarche scientifique n’est pas la démarche du ‘sens commun’. Un effort doit être exigé des élèves comme des étudiants. Cette demande aboutira à deux conditions ; rendre attractifs et intéressants les enseignements scientifiques […] ”[128] Les exemples attractifs ne manquent pas dans cette Initiation de la philosophie, exemples qui, comme nous allons le voir, sont à haute teneur philosophique. Nous y rencontrerons un savant alliage de biologie glandulaire, sans oublier les neurotransmetteurs, dopamine, sérotonine…, les envolées acrobatiques les envolées acrobatiques d’un professeur devenant « une prostituée du savoir » en essayant de « créer le désir »[129] des étudiants. Las ! Ses ficelles ont la grosseur des câbles. Par une étrange alchimie philosophique, il échoue lamentablement lorsqu’il croit réussir (au jeu de la séduction) et réussit là où il voudrait que les étudiants échouent (ses théories dangereuses éveillent le sens de trois étudiants qui, parce qu’ils souffrent, sont contraints de commencer à penser). J’ai mis en scène une étudiante réelle, un modèle de ce qu’on appelle encore une « bonne élève », soumise, mise dans l’impossibilité de penser, contente d’être brûlée au fer rouge de la bêtise, pour peu qu’elle soit officiellement validée. Elle représente un certain monde réel, le monde des morts. Les trois autres (3% ?) sont bien plus réels parce qu’ils portent avec eux la vie, le rire et le possible. Mais je les connais pour les rencontrer parfois ; enfants de la joie et de la douleur, éclats de diamants jetés dans cet océan de boue, ils essaient de tracer leur chemin. Aidons-les à se faire des « muscles fermes et des joues roses » comme disait Engels. Ils transmettront à leur tour la petite flamme. Aujourd’hui, il est malheureusement impossible d’espérer pouvoir faire plus. Avant de faire « la grande déclaration de guerre », il leur faudra[130] détruire « l’idole boursouflée »…

 

 

LA PETITE CUILLERE

 

 

« La faim est la faim, mais la fin

qui se satisfait avec de la viande cuite,

 mangée avec fourchette et couteau,

est une autre faim que celle qui avale

de la chair crue en se servant des mains,

des ongles et des dents. »[131]

 

 

Du langage au geste, il n’y a qu’un pas que nous franchirons ensemble avec bébé. Tiens ! Je m’aperçois que je ne vous pas encore parlé des bébés. Ça fait toujours bien de parler des bébés. Ça plaît aux étudiants. Tout le monde s’attendrit, pense à son enfance, sa petite sœur… Alors, allons-y avec les bébés ! Lorsque j’étais bébé, je voulais devenir bébé… J’ai écrit des choses d’une importance décisive sur les bébés. Les bébés, je ne connais que ça ! « Le premier repas du bébé avec sa mère, c’est la première rencontre, le premier face à face avec l’autre, cet autre ‘compassionnel’ avec qui il va partager du plaisir et de la souffrance. C’est au cours de ce premier repas avec sa mère que le bébé va comprendre qu’il est un être de désir. »[132] Jusqu’à moi, cet élément essentiel est resté inaperçu de la psychologie des profondeurs. Je suis un matérialiste romantique. A l’articulation du mot et du geste… “ L’observation du bébé renforce encore la notion de parenté entre le langage et les fonctions instrumentales. Différents systèmes d’objets permettent d’étudier, au cours de son développement, l’apparition de stratégies de plus en plus complexes d’appariements et d’assemblages d’objets. La stratégie d’assemblage permet de mettre en évidence une hiérarchisation des actions qui évoque la construction même du langage avec sa double articulation. ”[133]

 

Il est très important que les jeunes étudiants en philosophie apprennent à regarder, à observer. On ne saurait trop recommander aux jeunes étudiants de s’exercer à une phénoménologie débarrassée de ses scories métaphysiques et spiritualistes, je pense notamment à Hegel et Husserl. L’observation doit être empirique, voire pragmatique. Comment ! Vous ne voyez pas très bien le rapport entre geste sensori-moteur et double articulation du langage ? C’est pourtant simple : le bébé plie le bras – première articulation - avant-bras / bras. Je nomme cette articulation coude. Le bébé plie la main – deuxième articulation – avant-bras / main.. Je nomme cette articulation poignet. J’ai même envisagé de déposer un mémoire à l’Académie des sciences où j’introduirais une troisième articulation bras / corps que j’appellerais épaule.

 

“ Par définition, le langage met en relation un émetteur et un récepteur. L’enfant ne parlera pas s’il n’a personne à qui parler et son interlocuteur devient, par la force des choses et par la force des mots, son instituteur. ”[134] Cette remarque est tout à fait intéressante parce qu’elle présuppose que l’enfant a un langage tout prêt à jaillir pour peu qu’il ait un interlocuteur. En réalité, les choses se passent “ à l’envers ” : un enfant ne peut parler que s’il se trouve dans un monde parlant, lui-même étant parlé bien avant que d’être là. Nous n’insisterons pas sur les conséquences pédagogiques désastreuses que ces théories officielles ont actuellement (ce qu’on désigne comme l’élève au centre).

 

A présent, nous laissons la linguistique de côté, nous n’y reviendrons plus, parce que je vous ai dit tout ce qu’il était possible d’en dire dans l’état actuel des sciences. Passons à la psychologie. Le rapport Porchet indique : “ L’université doit également s’ouvrir à des disciplines […] telle la psychologie ”[135]. Lorsque j’étais petit, je voulais devenir psychologue. Les questions de l’âme, de la psyché me passionnaient. Je me voyais déjà lisant La naissance de l’intelligence chez l’enfant. Ce titre me plaisait parce que je savais que j’étais très intelligent. J’aime chez Piaget sons sens de l’observation et, si ses théories me séduisaient, je les jugeais trop… biologiques. Finalement, j’ai opté pour la biologie. Sa théorie des stades a des aspects beaucoup trop… marxistes. Alors ça, ça ne me plaît pas du tout . J’ai donc révisé l’ensemble ; dans ma nouvelle théorie, il n’y a plus qu’un stade : le stade symbolique ou stade des opérations complètement abstraites. Elle offre l’énorme avantage d’être beaucoup plus simple, évite le lourd maniement du couple assimilation / accommodation… “ Des expériences [...] démontrent la capacité des nourrissons à raisonner sur le principe de continuité [...] et sur le principe de contact... ”[136] Est-il possible de raisonner sans langage ? J’ai prévu l’objection : “ Bébé serait philosophe avant même de savoir parler, comme le furent sans doute les premiers hominiens. ”[137]. Inutile d’insister.

 

L’étudiant rougissant pensait à son émission préférée – La main à la pâte - qu’il écoutait plusieurs fois par jour sur France-Info. Il ne l’aurait raté sous aucun prétexte. Il ne parvenait pas à savoir si le célèbre journaliste qui l’animait portait alors un gros nez rouge de bal masqué ou de carnaval ou bien s’il était sérieux. On y parlait citrouille, invention de l’air, sucre d’orge, densité, haricot vert ; on y faisait, disait-on, de la science. On faisait toujours comme si on y inventait des objets qui existaient déjà, mais qu’on avait pris soin de cacher sous le chapeau du clown blanc. Des enfants de cinq ans réinventaient la loi de gravitation universelle, des petits bouts de chou de maternelle retrouvaient la forme arithmétique du théorème de Pythagore. Des élèves de sixième s’attaquaient avec vaillance au théorème de Fermat, d’autres de cours élémentaire précisaient le théorème d’Archimède… En tout cas, sérieux ou pas, tout ce que ce brillant journaliste racontait faisait rire l’étudiant aux éclats. Toute la France écoutait cette émission en s’émerveillant de la génialité de ses petits enfants. Les recteurs étaient fascinés de l’excellence du système éducatif à la française. De jeunes mamans se pâmaient devant les fabuleux pouvoirs des maîtres d’école. Quelques prix Nobel consultaient les jeunes savants. De grandes entreprises envoyaient en secret des messagers dans les écoles élémentaires pour choisir ses chercheurs. Quelques équipes de savants de classe maternelle furent intégrées au laboratoire de physique nucléaire du CEA, du CNES… L’étudiant n’avait jamais imaginé qu’en cette époque de glaciation, une chaîne de radio contrôlée par les services de la sécurité intérieure de l’Etat pût autoriser une émission aussi burlesque. Ce grand journalier travaillant dans une des ces modernes usines du journalisme n’était-il pas le reflet d’un cri “ provoqué par une tendance exubérante au gain et à la possession […] ou par l’amour-propre avisé d’un Etat. ”[138] ? Les Marx Brothers en un seul homme ! La trinité réconciliée… Cette révolution pédagogique fut elle-même à l’origine d’une nouvelle révolution industrielle, qu’on nomma la quatrième. Les grands constructeurs de l’industrie automobile fabriquèrent des voitures avec des roues carrées, on arrosa les jardins avec du pétrole, on se lava les cheveux avec de la limaille de fer, on langea les bébés avec des planches à clous, on mangea des serpents en caoutchouc, les éclairs en chocolat furent remplacés par de vrais sabres, on construisit des processeurs en chocolat, les hommes durent bouffer du verre pilé, on construisit des gratte-ciel de cinquante étages en pâte à modeler, les canons furent fabriqués en carton, les avions en papier, les chaussures en crème caramel… Personne ne s’attarda aux quatre lignes parues dans un modeste journal de province : « Les ingénieurs de la centrale atomique de Nogent-sur-Seine ont repéré des fissures… ».

 

Le professeur Maurice Porchet fut chargé de procéder à une évaluation des résultats de cette nouvelle révolution pédagogique. Ils étaient aussi fabuleux qu’extraordinaires. “ Les enseignements scientifiques ont été tellement spécialisés en sous-disciplines […], tellement théorisés et désincarnés […] qu’il n’y a plus de véritable formation à une démarche scientifique […] on relève chez les étudiants en sciences et en médecine une difficulté à mener une réflexion critique. Certains peinent à lire un texte et à s’immiscer dans un débat ‘philosophique’. ”[139] Sans doute encore trop enfermé dans sa spécialité, le professeur ne parvint pas à cette modeste conclusion qu’il eût peut-être été préférable d’enseigner la grammaire, l’orthographe et l’arithmétique aux jeunes enfants avant de leur proposer de s’attaquer à la théorie des nombres ou au calcul tensoriel. Alors, on décida d’introduire l’enseignement de la philosophie dans les classes maternelles. Pour illustrer le cynisme, on y organisa des concours de pets et de rots, ce qui réjouissait beaucoup les jeunes philosophes. Les petits derrières faisaient la une des grands quotidiens de la presse nationale. Emmanuelle Béart se sentit trahie ! Le professeur Porchet reçut la Légion d’Honneur des mains du Président de la République en présence de tout le Gouvernement, des assemblées élues et du corps diplomatique. Le biologiste Jean-Didier Vincent étudia la morphophysiologie des fesses, rechercha activement la glande endocrine de la philosophie, celle de la biologie, des mathématiques… Il réinventa une phrénologie à un niveau de profondeur jamais égalé. Il fut décoré du très convoité Grand Ordre du gland par sa majesté la reine d’Angleterre.

 

Le professeur ne se rendait pas compte que plus personne ne l’écoutait. Chacun vaquait à ses rêveries. Passons à l’observation d’un geste. “ Un enfant âgé d’un an sait déjà plonger une cuillère dans sa bouillie ou la porter vide à sa bouche ; il lui faut plus d’âge et d’expérience pour remplir la cuillère de bouillie et porter l’ensemble à ses lèvres. ”[140] La jeune fille à la chevelure flamboyante ferma les yeux et suçota négligemment son stylo…

 

Cette expérience n’est pas une expérience parce qu’en réalité, les choses se passent tout autrement. En outre, curieusement, le biologiste n’envisage pas un instant ce que ce geste peut avoir d’extraordinaire, de fabuleux, de fascinant, de mystérieux… En effet, “ La rencontre de l’objet et du besoin est un moment extraordinaire. ”[141] Qu’y a-t-il d’extraordinaire ? On n’y pourra répondre qu’après avoir posé et résolu les questions suivantes : a) Mais d’où vient cette cuillère ? b) Qui l’a mise dans la main du bébé ? c) Qui a mis sa bouillie près de lui ? d) Qu’est-ce qui assure le lien bouillie-cuillère ?

 

A priori, il n’y a aucune espèce de chance que, placé dans un champ expérimental où se trouvent une bouillie et une cuillère, un enfant fasse le lien (à moins qu’il ne dispose déjà du schème transcendantal de petite cuillère !). Comment pourrait-il conduire l’expérience de manger avec une cuillère plus avant puisque, comme le savent chaque papa ou chaque maman, même (ou bien parce que ?) ceux qui n’ont pas fait d’études de biologie, il est beaucoup plus facile et beaucoup plus rigolo pour un tout petit enfant de manger avec ses mains que de manger avec une cuillère. Il n’a absolument aucune raison d’utiliser une cuillère, parce qu’il n’a aucune idée de ce qu’est une cuillère ! Et il est aberrant d’affirmer, comme le fait le biologiste, qu’il sait ce qu’est une cuillère ! Ou alors, il faut affirmer qu’il existe a priori une “ [...] capacité de l’homme de prendre ses distances vis-à-vis de l’objet, de le transformer, de le déplacer et de se l’approprier. ”[142] mais cette deuxième supposition est, elle aussi, purement abstraite, voire fantaisiste. Il faudrait admettre qu’une telle capacité se trouve dans je ne sais quelle glande endocrine et se propagerait à la main par l’intermédiaire de neurotransmetteurs, sérotonine, dopamine… Elle a la valeur d’une robinsonnade, d’une pure fiction. Et même à supposer que ce jeune enfant soit obligé d’élaborer seul tel ou tel geste, il pourrait bien atteindre quelque résultat, mais au bout de combien de temps , et avec quel retard sur ceux, plus heureux, dont on[143] aura intelligemment guidé la main ?

 

“ Voyons maintenant comment un petit enfant s’approprie[144] une chose aussi simple qu’une cuillère, par exemple. (C’est moi qui souligne. G.M.) L’enfant n’a jamais vu une cuillère, et on lui en met une entre les mains. Que va-t-il en faire ? Il commencera par la manipuler, la déplacer, la cogner, essayer de la mettre dans sa bouche, etc. En d’autres termes, il ne la verra pas du point de vue de ses modes d’utilisation élaborés par la société, qui sont concrétisés dans ses caractéristiques extérieures, mais du point de vue de ses propriétés physiques, ‘naturelles’, non spécifiques. ” [145] En d’autres termes, à strictement parler, l’enfant ne voit pas une cuillère, on peut même dire qu’il ne voit pas, mais qu’il a une perception sensible de quelque chose (C’est-à-dire d’une chose quelconque qui n’est même pas une chose). Encore moins voit-il cette chose comme rapport, ou comme rapport de rapports.

 

“ Passons maintenant à une situation réelle. La mère nourrit l’enfant à la cuillère ; puis elle lui met la cuillère dans la main, et il tente de manger seul. Au début, on observe que ses gestes suivent le procédé naturel par lequel ‘on porte à sa bouche ce qu’on tient dans la main’. La cuillère ne reste pas horizontale dans sa main, et la nourriture tombe sur sa serviette. Mais la mère aide l’enfant, intervient dans ses actions ; dans l’action commune qui en résulte, il se forme chez l’enfant l’habitude d’utiliser la cuillère. Il sait désormais manier la cuillère comme un objet humain. ”[146] La cuillère n’est plus alors une chose, mais elle définit des rapports, elle est médiatrice entre lui et le pot de bouillie, médiatrice entre lui et sa mère. Ainsi, par la médiation nécessaire d’un autre, l’enfant s’approprie les qualités d’un objet social… Ces rapports en mouvement ont quelques conséquences : ils modifient les caractéristiques de la main de l’enfant pour en faire une main humaine ; ils modifient le schème corporel de l’enfant, le lien œil/main ; il construit sa perception des distances, sa perception de l’objet et, comme disent nos petits pédagogues, la cuillère acquiert ainsi un sens. Mais celui qui l’introduit à ses rapports, c’est bien l’adulte, maman ou papa que notre génial expérimentateur du ministère a tout simplement oublié ! … Il est évident que ce qui vaut pour les gestes concrets vaut davantage encore pour l’apprentissage d’actions mentales comme le calcul, la lecture ou l’écriture. La formation de ces actions constitue un procès d’appropriation sociale et historique d’opérations formées laborieusement par les générations précédentes. Elles ne peuvent se former chez l’enfant que si on le lui enseigne, que si l’on oriente son activité et que l’on construit son action, ce qui est tout autre chose que de lui demander de construire son propre savoir.

 

Que penser d’un président du CNP qui invente de toute pièce un bébé sachant déjà/toujours raisonner et monte des expériences d’apprentissage fantaisistes d’où les éducateurs sont absents, sinon qu’il pourrait et devrait occuper la place d’économe au ministère ! Il est malheureusement inutile de s’appesantir sur les difficiles questions des niveaux de l’étude de l’homme et de la recherche interniveau ; ce serait vraiment perdre son temps. Indiquons seulement le point d’échec du biologiste à son endroit philosophique. C’est bien sur cette question philosophique pour débutant que le biologiste échoue. Il confond “ sensible ” et “ matériel ”, ce qui ne serait pas si grave s’il n’avait pas la prétention de fonder un “ nouveau matérialisme ”. Notre génial biologiste n’a absolument aucune idée de ce qu’est un objet, une chose, ce pour quoi nous avons une kyrielle de mots : truc, machin, bidule… ; et, ce pour quoi les Allemands, plus sérieux, ont une palette impressionnante de concepts : das Ding, das Objekt, der Gegenstand, die Sache, das Zeug … introduisant autant de subtilités que ni les glandes surrénales, ni les noyau gris, corps strié, thalamus et ris de veau réunis ne peuvent différencier. L’étudiante à la chevelure flamboyante regarda sa montre ; elle ne voulait pas arriver en retard à son cours de danse. Et cette phrase, qu’elle avait aussi apprise par cœur à cause de sa valeur littéraire et modifia à peine, lui revint : “ Une [petite cuillère] paraît au premier coup d’œil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. […] Il est évident que l’activité de l’homme transforme les matières fournies par la nature de façon à les rendre utiles. La forme du [fer], par exemple, est changée, si l’on en fait une [petite cuillère]. Néanmoins, la petite cuillère reste [fer], une chose ordinaire qui tombe sous les sens. Mais dès qu’elle se présente [au petit enfant], c’est une tout autre affaire. A la fois saisissable et insaisissable, il ne lui suffit pas de [s’accrocher à sa main] ; [elle tombe dans sa bouche] ; se dresse, pour ainsi dire, sur sa [queue de petite cuillère] en face de [l’enfant ébahi] et se livre à des caprices plus bizarres que si elle se mettait à danser. ”[147] Elle eut l’impression fugitive qu’un monde nouveau s’ouvrait devant elle, mais elle n’osa pas y croire.

 

Le matérialisme du biologiste est aussi nouveau que son spiritualisme. Le premier est, dans le meilleur des cas, le matérialisme des lumières fabriqué sur le modèle physique de la mécanique et, dans le cas le plus fréquent, un empirisme assez plat. Sa “ modernité ” consiste, de temps en temps, à la teinter de cybernétique. Son spiritualisme est celui de son maître en philosophie, plus proche de Victor Cousin que de Bergson. En basses eaux, il reprend tout le fatras spiritualiste, des dons aux capacités, des capacités aux aptitudes ; lorsqu’il s’enflamme, il vogue sur les eaux troubles d’une sorte de monde de Peter Pan où vivent lutins et diablotins. Pour le jeune étudiant, la difficulté principale tient en ce qu’il est toujours inconséquent. Mais alors, qu’est-ce qu’un matérialisme conséquent ? Ceci, par exemple : “ Dans les arbres – un cerisier par exemple – [Marx] voit les hommes qui les ont plantés et parfois acclimatés de régions lointaines, qui les ont entretenus, qui, peut-être, en récolteront les fruits pour satisfaire leur faim ou les transforment en planches pour les poutres de leurs maisons et les pieds de leurs chaises. Les arbres, ce sont aussi les nombreux outils du jardinier, du cultivateur et du menuisier – la charrue, le sécateur, la varlope, la brouette, etc. - ; des techniques venues des âges ; des besoins et des projets – cette maison ou ce meuble qui sont d’abord dans la tête - ; du travail et de l’imagination, qui renvoient à une économie, à une culture, à une histoire, c’est-à-dire à une société déterminée. ”[148] J’ajouterai que, sans aucun doute, Marx vit aussi Une jeune fille sur une balançoire.

 

 

LE GRAND PENIS

 

 

« La folie est vécue toute dans le registre du sens […]

cette folie par quoi l’homme se croit un homme. »[149]

 

 

Rangeons la petite cuillère de sa majesty the baby[150] dans son écrin de velours pourpre et sortons quelques instants le grand[151] pénis de son étui. Passons aux choses sérieuses : la sexualité. Le grand maître es biologie rappelle son point de vue : « Nous ne saurions oublier que notre langage est celui d’un biologiste et que, faute d’avoir accès à l’homme, il nous faudra souvent nous contenter de crevettes et de rats. »[152], ou, pour préciser : « Pour un biologiste le doute n’existe pas : l’homme est un animal. »[153] Puis, il expose sa thèse principale : « Est-il meilleur moyen pour l’amante de s’assurer du désir de l’amant que de constater l’état de son pénis ? L’érection l’emporte en précision sur le discours. »[154]… Puisque ni la crevette ni le rat n’ont de mains, il faut donc supposer que cette thèse se réfère à une expérience conduite (en laboratoire ?) sur l’homme.

 

J’ai toujours été très curieux des choses sexuelles. Chez moi, cet intérêt ne s’est jamais démenti. D’ailleurs, quand j’étais enfant, je voulais déjà être sexologue. Dans une ferme où je passais mes vacances, j’avais reconduit avec succès les grandes expériences de Bouvard et Pécuchet sur les gallinacés. Résultat : nous avons mangé du coq au vin et de la poule au pot pendant quinze jours ! A la ville, dans mes cabinets, je recevais des reines, des duchesses et des grandes artistes de cinéma pour les conseiller. Je racontais n’importe quoi et gagnais ainsi beaucoup d’argent. Je me voyais déjà sur les traces de Freud, lisant et annotant les Trois essais sur la sexualité. Je complétais l’analyse de Dora par une brillante réussite… Dans un grand geste d’amour, elle me sautait au cou. Je ne sais plus si je sus résister… Mon expérience princeps du thermomètre dans le cul plus connue sous le nom de le cul dans la bassine est historiquement, bien plus importante que celles de Breuer et de son chimney sweeping[155]. Mon essai La chair et le diable va bien plus loin que toutes les fantaisies de Freud sur son Dukatenscheisser et ses sorcières au « grand balai [qui] est probablement le grand seigneur Pénis. »[156]

 

Pour le biologiste, la petite cuillère, nous venons de le voir, est un objet insaisissable. Il n’a même pas entrevu ce que Lewin nomme l’Aufforderungscharakter de l’objet, la force motivante de l’objet. Il ne se laisse pourtant pas décourager et aborde des questions autrement difficiles, dont il n’a absolument aucune idée. Malgré les apparences, la saisie du grand pénis par une main amie est un geste d’une autre nature que la saisie d’une cuillère par un enfant. Et pourtant, pour qui fait les yeux ronds, le dispositif sensible observable, constatable est le même : la saisie d’un objet par une main mobilise les mêmes masses musculaires, excite les mêmes circuits nerveux : tendre le bras, ouvrir la main, saisir l’objet, refermer la main, l’apporter à sa bouche… Mais la structure matérielle n’est pas du tout la même. Pour observer la main qui prend une petite cuillère, le regard du psychologue suffit pour peu qu’il ait à sa disposition les concepts adéquats conférant à son œil le statut d’organe « devenu […] directement dans [sa] praxis [un] théoricien. »[157].

 

Pour « observer » le grand pénis en érection, pour constater le désir, il faut une oreille qui « derrière les oreilles, possède d’autres oreilles… »[158]. Il faut, chaque fois, refaire le geste inaugural du docteur Joseph Breuer qui fut sans doute le premier homme qui, mais sans le savoir, sans comprendre ce qu’il faisait, écouta le désir d’une femme. Pour le savoir, il fallut attendre l’arrivée de Freud. Pour ma part, modeste et obscur tâcheron de l’enseignement de la philosophie en terminale, j’essaie de suivre les recommandations de celui qui reste pour tous les professeurs de philosophie, un maître de rigueur, Georges Canguilhem. Comment aborder le grand pénis ? Comment aborder le concept du grand pénis ? « Travailler un concept, c’est en faire varier l’extension et la compréhension, le généraliser par l’incorporation des traits d’exception, l’exporter hors de sa région d’origine, le prendre comme modèle ou inversement lui chercher un modèle, bref lui conférer progressivement, par des transformations réglées, la fonction d’une forme. »[159] Le pénis est un objet tout à fait intéressant, il est aussi digne d’être étudié par l’urologue que l’oreille et le nez le sont par l’ORL, l’intestin par le proctologue...

 

Cela dit, au bout de quelques années d’exercice, l’un comme les autres savent, qu’à certains égards, le pénis, l’oreille, le nez, les intestins … sont des objets assez mystérieux. Tout se passe comme si quelque chose débordait de chaque organe, comme si chaque organe était dépassé par d’insignifiants petits événements, laissant le spécialiste voguer en mer d’incertitude. A chaque fois, il doit refaire l’expérience que « l’homme est bien plus que son corps, tout en ne pouvant rien savoir de plus de son être. »[160] A ce moment, le nez comme le pénis ne sont plus de simples appendices dépassant du corps. Prévenons le lecteur : « L’intervention de la philosophie se fait ici dangereuse pour la rigueur d’une théorie biologique. »[161] Le pénis semble si embarrassant qu’on essaie de le cacher (ou de le montrer) par tous les moyens. Tant qu’il ne sert qu’à pisser, aucun Cyrano ne peut lui rendre hommage. Il ne devient objet passionnant que lorsqu’il s’émeut en devenant le grand pénis (ce que les spécialistes des sciences de l’éducation nomment référentiel bondissant). Alors, il échappe à toute maîtrise consciente, c’est pourquoi, bien que cela aussi reste inaperçu et refoulé jusqu’à Nietzsche, il taraude l’histoire entière de la philosophie (exceptées les notables textes de Platon ou Diderot). Le grand pénis ne devient énigmatique qu’à ses limites, lorsqu’il est en rupture de ban, lorsque ses cavernes se gonflent de sang. Mou, le pénis semble plus fort parce qu’il est souple, mais il n’intéresse personne. Devenu dur, se dressant sur la pointe des pieds, comme partant à l’assaut du ciel, le grand pénis semble invincible et devient objet d’admiration. Mais, en même temps, il devient cassant comme du verre... Parfois, à sa grande honte, la peur l’envahit et il se dégonfle.

 

Le grand pénis est fier comme Artaban ; mais, en même temps, sa fierté cache mal son angoisse. « Le désir s’ébauche dans la marge où la demande se déchire du besoin : cette marge étant celle que la demande, dont l’appel ne peut être inconditionnel qu’à l’endroit de l’Autre, ouvre sous la forme du défaut possible qu’y peut apporter le besoin, de n’avoir pas de satisfaction universelle (ce qu’on appelle angoisse)… »[162] Cette érection, état dans lequel il aime se présenter en public sous toutes les formes iconographiques, lui joue des tours épouvantables, toujours à son grand désespoir, en toute occasion. Alors, il se présente, en privé, et bien plus fréquemment qu’on ne le croit[163], sous des formes paradoxales : fantasme du petit pénis, tragédie de l’impuissance, drame de l’éjaculation précoce, mystères du fétichisme en sont les formes cliniques les plus classiques. Si, comme le biologiste nous invite à le penser, le désir est constatable, alors comment aborder ces accidents de l’existence ? Comment peut-on sérieusement affirmer qu’il existe un « instinct aveugle des organes [qui] est une composante du désir »[164] ? Le fétichiste, par définition, a l’air de se foutre complètement des femmes, et si ses sens s’affolent souvent, c’est d’abord parce qu’il voit quelque chose. Une chaussure, un petite culotte suffisent à sa joie (voir, par exemple, le petit Hans[165] et le mystère de la petite culotte noire de maman.). Et, si ce qu’il voit peut apparaître comme une sorte d’aveuglement, il s’agit d’une métaphore, soit une sorte de transport… amoureux (Ce qui l’intéresse au plus haut point, c’est la caverne de maman). Plus encore, si « L’instinct est une capacité innée d’un animal à acquérir un comportement typique de l’espèce dans des conditions appropriées de milieu et notamment au contact des congénères. », comment expliquer les impasses de l’existence de l’homme aux loups dont le nez autant que le grand pénis ne sont pas exactement placés au bon endroit. Si « l’instinct est un acte si stéréotypé »[166], comment se fait-il que le grand pénis déçoive si souvent toute certitude ?

 

Ici, je suivrai les recommandations du professeur Porchet qui, dans le rapport sur l’enseignement des sciences à l’université qu’il présentait récemment, recommandait « […] qu’on sensibilise les élèves du secondaire à la pratique des sciences en leur expliquant de manière simple et ludique leurs applications dans la vie quotidienne au travers d’expériences spectaculaires. »[167] Nous allons donc jouer sérieusement avec le grand pénis. Chacun pourra refaire chez lui, au lycée, à la télévision, à l’Assemblée nationale, à Toulouse, à l’université ou ailleurs, les mêmes expériences spectaculaires.

 

 

La jeune étudiante en difficulté n’entendit que ces mots : « […] moyen […] l’amante […] désir […] amant […] pénis ? […] érection […] discours ». Elle ramassa sa règle réelle qu’elle tint fermement en sa main. Elle la serra très fort entre ses cuisses. L’image de son père lui offrant un billet de 500 euros s’imposa. Elle se sentit alors parcourue d’une sorte de langueur puis, brusquement, se ravisa. Elle n’aimait pas du tout les façons qu’il avait de la regarder ; elle sentait son regard posé sur ses fesses lorsqu’elle marchait, ce qui la dégoûtait et la révoltait. Pour un tel affront, elle aurait avec un plaisir sadique volé tout son fric. Elle aimait beaucoup avoir beaucoup d’argent dans son sac. Elle aimait aussi le dépenser aussi vite comme elle aimait que des hommes beaucoup plus vieux qu’elle l’invitent au restaurant. Elle avait déjà fait plus de deux fois le tour de tous les restaurants les plus chers de Paris. Elle méprisait ces hommes qui croyaient l’acheter, cela se voyait presque trop, ce qui ne faisait qu’augmenter son plaisir.

 

Elle entendit : « Chez la femme […] le sexe se fait caverne qu’un buisson de poils pubiens achève de dissimuler. »[168]. En elle, ça répondit : « Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte vers la lumière. »[169] Sa caverne lui plaisait beaucoup. Seule chez elle, elle la visitait chaque soir. Elle avait remarqué que son plaisir à visiter sa caverne avec ses doigts et toutes sortes d’objets avait mystérieusement augmenté depuis que le professeur de philosophie avait dessiné la caverne de Platon au tableau. Elle pensa qu’il s’agissait d’une sorte de retour de la Wissensdrang produit du Lebensnot[170] (poussée de savoir produit de l’urgence de la vie). Qu’est-ce que c’était que ce « Dunkel Kontinent » ? Pourquoi les auteurs français avaient-ils traduit cette célèbre expression par « Continent noir » ? Avaient-ils été aveuglés par leur peur des femmes ? Pourquoi les auteurs anglais avaient-ils préféré le « Dark continent » ? Pourquoi était-elle, femme à la grande caverne, contenue dans le « continent » ? Chez elle, le liquide débordait de partout. Elle était plutôt la caverne incontinente.

 

Elle était moule, elle était huître, creuse et plate : « J.-D. V. : Dès qu’il y a de la vie, dès qu’il y a des relations, entre un être et son milieu, il y a des échanges que j’appelle pensée.’ Le Point[171] : Entre une huître et la mer…’ ‘Oui, il y a de la pensée. ». L’idée que sa moule puisse penser la ravit. Pourquoi la lumière était-elle dehors, en dehors d’elle ? Il fallait bien que sa chose sombre, obscure, ténébreuse soit là pour donner à la lumière sa clarté et son éclat ! Son destin était-il de donner par contraste, comme en négatif, une certaine grandeur à la lumière ? N’était-elle que le faire valoir de la lumière ? Elle n’aimait pas les platitudes comme : « On dit que la femme est profonde – pourquoi ? puisque chez elle on n’arrive jamais jusqu’au fond. ». Mais elle ne demandait rien d’autre au plongeur qu’il atteigne son fond ! Cette pointe la bouleversait : « La femme n’est pas même encore plate. »[172] . Depuis longtemps déjà, elle s’était mise tout à plat.

 

Pourquoi valait-il mieux aller dehors alors qu’il faisait si chaud en sa caverne ? Elle se foutait pas mal du siècle des lumières. Il ne lui avait apporté aucun éclaircissement sur la nature de sa caverne obscure. Etait-ce la raison pour laquelle ce rationalisme était en bout de course ? Tout ce qui s’exprimait comme empirisme, mécanisme, même si elle ne savait pas très bien ce que cela signifiait, l’ennuyait. Elle n’avait pas plus de respect pour une certaine métaphysique, trop propre. Elle était matérialiste, résolument matérialiste, mais elle croyait aussi qu’elle ne le savait pas encore. Soudain, elle se réveilla de son ennui. Eut-elle alors confirmation de son soupçon lorsqu’elle entendit le professeur dire : « La station debout de l’Homme mâle[173] offre au regard fasciné de la femme la présence insistante du pénis… »[174] Certes, tel ou tel homme particulier trimballe son pénis avec lui, mou ou dur. Mais l’Homme ? L’Homme, c’est l’homme de la philosophie classique, universel abstrait. Celui-là n’ a pas de pénis ! Il n’a même pas de corps ! Admettons qu’une femme puisse être fascinée par tel ou tel homme, à cause de son pénis (proposition hautement problématique), il faudrait au moins qu’il y ait quelque chose à voir ! Or, l’Homme n’a rien à montrer ! Ainsi, le professeur supprime, à cause son spiritualisme philosophique, l’essence même de la fascination, l’angle mort, et rend absolument incompréhensible ce qu’elle sent depuis longtemps déjà. Il l’empêche de conceptualiser ! « La fascination est la perception de l’angle mort du langage. »[175] Plus de langage. Plus de grand pénis. Plus d’angle. Plus rien. Le monde du biologiste n’est-il pas un monde de désolation ?

 

Elle sentait qu’elle tenait le grand professeur dans ses filets, mais elle voulut prendre son temps avant de le ratatiner. Une joueuse redoutable. Malheureusement, avec lui, c’était vraiment trop facile : « Grattez l’homme, vous verrez l’enfant »[176]. Elle voulut l’écouter bavarder. « L’absence de matérialité n’a d’ailleurs jamais rien enlevé au pouvoir explicatif et opératif d’un mot. Sinon, qu’en serait-il des refoulements, déplacements, condensations et autres manœuvres de l’inconscient dont parlent encore les disciples de Freud ? »[177] A-t-il dit apéritif ? Et pourquoi ne pas dire, comme on dit en français, opérant ? Elle tenait à lui donner encore une chance ; il est vrai qu’il est presque impossible de traduire Verwirklichung en français à cause des connotations sémantiques de la Verwirklichung, hésitant entre vérité, réalité… Et puis Hegel était passé par là. Elle avait l’eau à la bouche. « La parole en effet est un don de langage, et la langue n’est pas immatérielle. Il est un corps subtil, mais il est corps. Les mots sont pris dans toutes les images corporelles qui captivent le sujet ; ils peuvent (…) représenter le flot d’urine de l’ambition urétrale… »[178]

 

Le professeur enchaîna, à propos de l’érotomane : «Ces athlètes sexuels dont on célèbre les exploits dans les banquets de garçons ne sont que des toxicomanes dont le pénis inépuisable fait office de seringue. »[179] Elle reprit alors pour elle-même : Comment est-il possible de constater le désir ? Nouveau mystère. L’amante peut bien constater une érection, mais non un désir ! Le doute peut s’installer très vite : A qui pense-t-il ? Sait-il lui-même à qui ou à quoi il pense ? Elle se souvint avoir rencontré un tel athlète, à qui, par amusement, elle se mit à parler : « Oh, qu’il est beau, ton grand pénis. Dommage qu’il soit si petit ! » Et elle rit. Que femme se mette à parler, et le grand pénis peut être en grand danger. Qu’elle se mette à rire, de ce rire moqueur, et c’en est fini de l’athlète. Alors, le professeur fit marche arrière et chercha à s’aventurer sur les sentiers moins escarpés de la pastourelle : « S’agissant des humains, nous n’aurons garde d’oublier qu’une des fonctions principales de l’amour réside dans la découverte de l’autre. Dès lors, le visage, élément majeur d’identification, prend une importance singulière. »[180] Cette remarque lui sembla ri-di-cu-le. La suivante l’acheva : «  Qui oserait prétendre que l’amour se réduit à une gymnastique copulatoire et à quelques grimaces préliminaires ? Mais ce sont les seuls phénomènes observables et – il faut bien nous y résoudre -, d’amour, il sera moins question [...] que de comportement sexuel. »[181]

 

Bien qu’elle regrettât sincèrement devoir vaincre sans péril, elle conclut ainsi : « Mais pourquoi le professeur tenait-il tant à se présenter en ‘homme’ en proie à ‘sa névrose’ devant les étudiant(e)s ? Cherchait-il une consolatrice ? Etait-ce une manœuvre de séduction ? Pourquoi voulait-il montrer ses blessures ? »… Ah, Petit homme, disait Wilhelm Reich !.. « A casser l’homme, on fait l’hommelette »[182] Elle rit.

 

 

« Voici donc l’homme et la femme face à face dans leur différence… »[183] Brusquement, alors qu’il dessinait un énorme pénis sur sa feuille de notes, le jeune homme rougissant, à la fois gêné et heureux, eut une érection. Les femmes ne l’avaient jamais fait bander L’éminent professeur voulait-il dire que lui, n’avait pas de désir ? Pas de désir constatable ? Qu’il avait un désir au négatif, en creux ? Il eut comme une réminiscence : « Pour la psychanalyse, l’intérêt sexuel exclusif de l’homme pour la femme n’est pas une chose qui va de soi et se réduisant en quelque sorte à une attirance d’ordre chimique, mais bien un problème qui a besoin d’être éclairci. »[184] maintenant, le professeur lui faisait peur. Et pourtant, il le savait, son désir était bien là. Les images se télescopaient dans son cerveau préfrontal. Il n’en revint pas de voir passer l’image de sa mère dont la robe était battue par un vent d’automne. Il pensa à son éreutophobie et aux géniales théories du Maître. Il faut dire que la lecture de ses œuvres l’inquiétait : « Une glande est à la fonction d’adaptation ce que le visage est à la fonction de communication : la glande surrénale, face cachée des émotions. »[185] A l’idée qu’il pût avoir une tumeur des glandes surrénales, il fut pris d’angoisse et les plaques rouges apparurent… Ce rougissement n’était-il pas plutôt une expression métaphorique, à la fois onirique et poétique, de son désir ? L’idée que son visage puisse être une tête de gland, lui plut. Mais il aurait aussi bien pu être une tête de con. Etait-il femme ? Etait-il homme ? Il se représenta son visage comme grande caverne dans laquelle le sang montait et descendait au gré des circonstances. Mais qui donc, quoi donc ouvrait et fermait les vannes des grandes écluses de son désir ? Et pourquoi ? Pour quoi ? Enfant perdu, il voguait comme une bouteille dans la mère. Il recevait les couleurs du monde dans un miroir qui tordait verts, bleus, jaunes, ocres… en rouge, entre rouge vermillon et rouge pivoine. Il était le grand pénis qui, la nuit, hantait les rues de Paris. Sur la place du Palais, il rencontrait une troupe triste où le professeur était déguisé en « recteur, qui marchait en tête de sa compagnie. […] Comme il trotte sur sa mule ! elle a les oreilles moins longues que lui. »[186]

 

Il se souvint alors de ce texte de Roland Barthes, son auteur préféré, qu’il avait lu et relu cent fois : « Qu’est-ce donc que notre visage, sinon une citation ? » Il découvrit sa bisexualité littéraire. De quel texte était-il l’enfant ? Ces plaques rouges qui se formaient sur son visage, sans qu’il y soit pour rien, n’étaient-elles pas comme les plaques tectoniques traduisant la dérive de l’incontinent ? Etaient-elles, en fin de course, la face visible de violentes secousses des tourments de son âme  ? Mais pourtant, cette peau était sa peau, ces oreilles qui transformaient toute phrase en cataclysme étaient ses oreilles. Son âme était-elle bloquée et il débloquait. L’idée qu’il exhibait son désir nu à la face du monde cent fois par jour le mit mal à l’aise. Etait-il donc impossible de se taire ? Il eut une réminiscence littéraire : « Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre constate que les mortels ne peuvent cacher aucun secret. Celui dont les lèvres se taisent bavarde avec le bout des doigts ; il se trahit par tous les pores. »[187] Tout se mélangeait. Comment, en toute rigueur, était-il possible de « […] constater l’état de … » ? Il avait la confuse impression de comprendre après-coup ce que son professeur de philosophie avait essayé d’expliquer à partir de Lénine : « Les faits sont têtus » : « Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d’être tiré de la ruche […] il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son. […] on l’approche du feu […] il devient liquide… »[188]. L’étudiant ouvrit sa main et, tenant un imaginaire morceau de cire, le serra doucement. Sa main s’anima très lentement comme si elle pétrissait la cire. Deux grands yeux apparurent sur le morceau de cire dépassant de sa main. Il eut envie de l’étrangler. La cire fondit en se métamorphosant en sperme qui coula entre ses doigts. Un sentiment de bien-être l’envahit.

 

Etait-ce bien ou voulait-il se persuader que c’était bien ? Ces traces de pas qui revenaient sans cesse envahir son visage étaient-ils les restes des caresses empoisonnées de sa mère ? Femme aussi énigmatique que diabolique[189]. Destin ordinaire de petit enfant. Mais cet autre n’était-il pas deux ? Deux du même sexe et pas la troisième ; deux de la même génération et pas le troisième. A cette table des ogres, quelle place occupait son père ? Quels accidents de parcours produisaient et reproduisaient sans cesse ce tremblement de terre sur son visage ? Quelles complications l’avaient conduit dans ces impasses ? Etait-il encore un primitif[190] ? Quelle que soit sa souffrance actuelle et ses souffrances à venir, il commençait à entrevoir l’ampleur de la question de la négation au travers de la question de la négation de la femme. Il tint la Bible dans ses mains et vit la femme piégée dans sa fonction maternelle ; il pensa aux salauds qui ne supportaient pas qu’une femme soit ministre, dépersonnalisation politique ; aux innombrables coupeurs de clitoris ; aux femmes-grands-pénis affichées dans les rues de partout par banquiers et marchands, exclusion de la femme par exhibition… Alors, c’était vrai ? Sa folie n’avait rien que de très ordinaire ! Une voix lui dit : « La psychanalyse se refuse absolument à admettre que les homosexuels constituent un groupe ayant des caractères particuliers, que l’on pourrait séparer de ceux des autres individus. »[191] Il devint blême. Maintenant, le professeur lui apparut comme quelqu’un de très dangereux. Son corps devint si froid que la cire se métamorphosa aussitôt en glace. Sa main était collée au pupitre, comme prisonnière.

 

Ce cours fondamental l’emmerdait de plus en plus. Il pensa à ce profond ennui qui inonde. Il pensa à son ami et sentit une grande colère monter en lui. Une petite voix intérieure ajouta : « De l’ennui. Exclamation de quelqu’un qui s’ennuie à mourir : ‘Everything is lost, except killing. »[192]

 

 

La jeune étudiante à la chevelure de feu ne retint que les derniers mots du Maître « l’emporte en précision sur le discours. ». En suçotant son stylo, grand pénis symbolique, elle rêvait : « Je l’ai dans la bouche / Lait dans la bouche / Gelait dans la bouche / Les dents/ la bouche / Les dents dans la bouche…Elle vit passer devant ses yeux la figure de la Tête de Méduse. En elle, des phrases s’imposaient, mais d’où cela venait-il ? Des glandes surrénales ? Du système limbique ? Du gyrus hyppocampique ? De la glande pinéale ? Le sexe à main / Le sac à main / Les sexes à main / Les examens / Les Sexes à mine / Les sexes s’examinent . Le sexe devenait-il matière à examen ?

 

Tu sais que c’est bien / Tu sexe est bien / Tu sais que sexe est bien. Tous ces jeux de langue l’enchantait. Qu’est-ce que c’est que ça ? / Qu’est-ce que sexe a ? Elle revit son professeur de philosophie qui essaya d’expliquer la différence entre connaître et savoir en commençant par cette remarque écrite au tableau : « Lorsqu’ Adam connut Eve… »[193]. Elle chantonna : « Aux marches du palais / Aux marches du palais… »[194]

 

Elle eut envie d’engloutir un éclair au chocolat. Elle relut ses notes de cours fondamental  « L’animal privé de nourriture pendant plusieurs heures se met en quête d’aliments. […] Lorsque l’animal mange, la tendance de faim se trouve réduite, ce qui réduit le besoin de nourriture. »[195] Ri-di-cu-le. Elle n’avait pas faim, elle voulait simplement engloutir l’éclair en un éclair, être plus forte que l’éclair. Elle se pensait animale : « le désir n’est pas identifiable au besoin. »[196] ; « une autre composante du désir est le besoin. »[197]. Ri-di-cu-le. Le professeur devait être un social-démocrate : il disait tout et le contraire en même temps avec la plus grande assurance. « La chatte en chaleur ou ayant reçu des hormones accepte au contraire l’hommage de l’expérimentateur par un comportement d’élévation de l’arrière-train, de flexion extension des membres postérieurs. »[198] Pauvre petite chatte ! Elle, n’avait vraiment pas besoin d’hormones ! Elle devint lionne et eut envie de dévoration… Elle avait « le charme de certains animaux […] comme les chats et les grands animaux de proie… »[199] Elle ferma les yeux. Elle eut le temps de revoir quelques scènes du drame de Tennessee Williams, La chatte sur un toit brûlant. Pitoyable et émouvant Paul Newman, magnifique et tragique Liz Taylor. Elle en conclut que si elle voulait en savoir « davantage sur la féminité, elle [continuerait] d’interroger [sa] propre expérience et elle [s’adresserait] aux poètes… »[200]

 

Elle savait que les hommes avaient peur d’elle, jusqu’à l’effroi... Elle ne savait pas si elle devait attribuer cette peur à sa grande chevelure flamboyante ou à sa bouche gourmande qu’elle peignait toujours en rouge comme ses cheveux. Elle se souvint de l’homme qui lui avait juré que pourtant, il l’aimait. Et puis, de cette fois où elle l’avait emmené chez elle. « Labouré par la peur et par l’étonnement »[201], il ne put lui offrir que sa débandade en lui jurant les larmes aux yeux qu’il l’aimait, or… le sceptre jamais en elle n’entra ! De cette nuit, elle ne savait que penser… « l’angoisse d’être dévoré »[202] ? Elle crut que sa compréhension de la peur des hommes devant les femmes augmentait. Cette peur était-elle à l’origine de ces obscurs et inconsistants échafaudages de la biologie ? « Considérons […] le regard qui se pose sur une terrine de foie gras aux ocres ruisselantes de gelée parfumée, les cartes cognitives dessinées dans le cerveau câblé par des années de gastronomie s’affairent dans un duo complice avec le cerveau flou venu de l’hypothalamus latéral. »[203] L’exhibition des effets de l’hypothalamus latéral n’exprimait-il pas le refoulement d’une inhibition ? La science marquait des points, les hommes perdaient pied ! Elle ne put retenir un grand éclat de rire. Le professeur, de plus en plus agacé, en conclut qu’elle était folle. Il retrouva son calme en appelant le cerveau à la rescousse : « la stimulation électrique […] d’une zone du cerveau située à la face interne de l’hémisphère gauche dans la partie antérieure de l’aire dite motrice supplémentaire […] déclenche un rire associé à un état joyeux du sujet. »[204]

 

Tous trois parvinrent presque en même temps à la même conclusion : le niveau de réflexion critique du professeur n’était-il pas encore inférieur à celui d’un shérif texan ? Deux shérifs, Ken et Buck, discutent sec sur la possibilité juridique d’inculper un homme du viol d’une truie. Ils tombent inévitablement devant une question philosophique. Les animaux ont-ils un langage ?

 

« Tu ne vas pas me raconter que les bêtes, elles sont pas capables de comprendre ce que tu leur dis. Enfin quoi, sacré vain dieu, j’ai chez moi un petit terrier bigleux, j’ai qu’à y dire : ‘Tu veux qu’on aille chasser Loulou ?’ et faut voir comme il me saute dessus en aboyant, en couinant et en me léchant la figure. Voulait dire, naturellement que bien sûr, il a envie de chasser les rats. »

« Le gars en question, il a dû dire à la truie : ‘Tu veux qu’on joue à cache-tampon, ma mignonne ?’ Et la voilà qui se met à grogner et à frétiller de la queue, voulant dire par là que, si lui s’en ressentait, elle demanderait pas mieux. »[205]

 

Une jeune étudiante fut si bouleversée par tous ces cours qu’elle écrivit une lettre au professeur pour le remercier. En voici un résumé : « Cette conférence de Jean-Didier Vincent a été très instructive tout en étant simple à comprendre. J’ai adoré cette conférence qui m’a réellement fait réfléchir. Jamais je n’aurais pensé que le champignon nous ressemble par quelque manière que ce soit. L’odorat est très important et est relié au goût. Il est intéressant de voir qu’on est pas porté à manger un aliment qui sent mauvais. La vue est aussi importante. Par exemple, si un élève arrive tous les matins avec les cheveux dépeignés, soit qu’il n’est pas ponctuel parce qu’il se lève toujours en retard donc n’a pas le temps de soigner son apparence, soit qu’il s’en balance complètement. La contemplation d’un coucher de soleil ou la puissance d’une tempête qui souffle à l’extérieur lorsque nous sommes bien au chaud à l’intérieur, nous permet de démontrer comment la vue nous donne l’occasion d’apprécier ce monde dans lequel nous vivons. Un aveugle est donc fortement désavantagé. L’ouïe est très importante. Je me demande que serait notre monde si notre cerveau n’était pas là pour l’analyser ? Une jeune étudiante fut si bouleversée par tous ces cours qu’elle écrivit une lettre au professeur pour le remercier. En voici un résumé : « Cette conférence de Jean-Didier Vincent a été très instructive tout en étant simple à comprendre. J’ai adoré cette conférence qui m’a réellement fait réfléchir. Jamais je n’aurais pensé que le champignon nous ressemble par quelque manière que ce soit. L’odorat est très important et est relié au goût. Il est intéressant de voir qu’on est pas porté à manger un aliment qui sent mauvais. La vue est aussi importante. Par exemple, si un élève arrive tous les matins avec les cheveux dépeignés, soit qu’il n’est pas ponctuel parce qu’il se lève toujours en retard donc n’a pas le temps de soigner son apparence, soit qu’il s’en balance complètement. La contemplation d’un coucher de soleil ou la puissance d’une tempête qui souffle à l’extérieur lorsque nous sommes bien au chaud à l’intérieur, nous permet de démontrer comment la vue nous donne l’occasion d’apprécier ce monde dans lequel nous vivons. Un aveugle est donc fortement désavantagé. L’ouïe est très importante. Même si l’homme ressemble étrangement à l’animal, de par son côté biologique, il lui est fondamentalement opposé par toute sa dimension spirituelle (intelligence). Cette distinction essentielle rend l’homme respon,sable de la nature et de tout ce l’habite. Je me demande que serait notre monde si notre cerveau n’était pas là pour l’analyser ? Les jeunes ne savent même pas ce qui se passe parfois à l’intérieur d’eux, et la philosophie peut les aider. Elle nous donne des conseils pour pouvoir réussir notre vie. La philosophie nous apporte aussi la vérité de l’amour. »[206] Le grand professeur fut si ému qu’il lui proposa de la rencontrer pour s’entretenir avec elle des différentes sortes de champignons qu’il avait dans son jardin. Il jura que, si elle en avait, il lui presserait tous ses boutons d’acmé, qu’il lui tripoterait toutes ses glandes sudoripares...

 

BASTA ! Le professeur fut baptisé Monsieur le professeur Dugland. Les étudiants parlaient du gland plof, de Herrn Professor Lewis Un-Rat. L’étudiante aux cheveux flamboyants serait Die fesche Lola, le jeune étudiant Hamlet, « vieux psychologue et attrapeur de rats »[207] et la jeune étudiante triompherait en Judith. Ils décidèrent de faire grève et de refuser de se soumettre à un quelconque examen avant d’avoir reçu un vrai cours. Ils décidèrent tous les trois de renouer avec le 6 janvier 1482. « Je vous le dis, monsieur, c’est la fin du monde. On n’a jamais vu pareils débordements de l’écolerie. Ce sont les maudites inventions du siècle qui perdent tout. Les artilleries, les serpentines, les bombardes, et surtout l’impression, cette autre peste d’Allemagne !  Plus de manuscrits, plus de livres ! L’impression tue la librairie. C’est la fin du monde qui vient.» Ils écriraient un tract qu’ils enverraient partout où ils le pouvaient par le chemin des électrons. Il devenait urgent de donner un grand Coup de torchon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE “ PIVOT DE LA PENSEE ”

 

 

ENVOI

 

Monsieur le ministre, il est temps d’examiner la consistance et l’intérêt pédagogiques de ce que vous présentez comme ayant valeur de modèle de cours de culture générale. Rappelons que votre intention consiste à remédier à certaines difficultés intellectuelles rencontrées par de jeunes étudiants. Rappelons également que vous aviez écrit avec votre collègue le projet suivant : “ Une idée a guidé [...] ce travail souvent délicat : nous avons souhaité, dès l’origine, inciter nos collègues rédacteurs de programmes à centrer autant qu’il est possible notre culture scolaire sur les éléments les plus fondamentaux de chaque discipline. ”[208] “ Ne sois pas poli. / La politesse, on doit pouvoir se l’offrir. / Ta politesse, elle me coûte trop cher. ” [209]  En un mot, je dirais : “ Ce cours de culture générale que vous proposez aux jeunes étudiants en difficulté est vraiment merveilleux, extraordinaire, fascinant, horrible, fabuleux, prodigieux, c’est-à-dire, nul à chier ”.

 

Tant elles sont engluées dans le “ tapage gestionnaire ” d’un “ scientisme dévastateur ”[210], les positions scientifiques comme les thèses “ philosophiques ” du biologiste Jean-Didier Vincent n’auraient pas mérité d’être examinées plus avant si le même n’occupait un poste politique de premier plan dans la hiérarchie du Ministère de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche, celui de Président du Conseil national des programmes. Cette première présentation du cours de culture générale ne présenterait absolument aucun intérêt si elle n’était l’œuvre conjointe du ministre et du plus haut responsable de la réforme des programmes au ministère. Accompagnée et soutenue par vous-même, cette nouvelle révolution pédagogique confère à l’entreprise un certain cachet officiel. Lorsqu’on sait que le président du CNP a pour mission “ de concevoir les grandes lignes de ce que devraient être nos programmes, depuis l’école primaire jusqu’à la classe de terminale, et ce dans toutes les matières... ”[211], on ne peut pas ne pas s’interroger. Celui-ci peut si savamment et si brillamment parler de toute chose (biologie, art, philosophie, mort, amour, langage, plaisir, petite cuillère, grand pénis…), qu’il était logique, normal que vous le choisissiez vous-même pour occuper le poste que vous occupâtes naguère. Une si longue amitié, une si longue collaboration méritaient bien cette petite récompense…

 

Tout cela n’est possible que dans un pays où chaque jour je peux constater l’état de pourrissement des élites politiques (voir Toulouse…), où chaque jour je peux observer l’état de pourrissement des élites économiques (affaire Elf…). Qu’en est-il des élites officiant dans ce grand ministère de l’Education nationale ? Pouvez-vous imaginer ce que je vais penser lorsque je serai inspecté par un inspecteur général de philosophie, voire un doyen ? Pouvez-vous imaginer ce que pourra penser un professeur de biologie lorsqu’il sera inspecté ? Pouvez-vous imaginer ce qui pourrait se passer si, quelque professeur que ce soit, enseignant quelque matière que ce soit… Parce qu’il faut bien que je suppose que les corps d’inspection sont plus ou moins consultés pour élaborer les programmes ! Il semble qu’ils restent, sinon muets, du moins d’une discrétion qui frise la trop bonne éducation[212]. Puisqu’aujourd’hui, c’est le Conseil national des programmes qui élabore les programmes, est-ce que la cohorte de concepteurs des programmes pour l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire, l’enseignement supérieur, chargés de mission, spécialistes en tout genre sont choisis, élus ou cooptés sur les même critères d’excellence ? Est-ce que, dans ce grand ministère, chacun et tous sont arrivés à un tel point d’aveuglement intéressé[213] que plus personne ne puisse élever la voix ?

 

Et pourtant, votre valeur intellectuelle n’est pas en cause puisqu’elle a acquis une reconnaissance quasiment universelle : une invitation au Trophée Lancôme, une autre chez le plus redouté des animateurs TV du dimanche, ce n’est pas rien. Aussi bien les journalistes, dont le pouvoir de discrimination est légendaire, que les hommes politiques dont le désintéressement est proverbial, vous ont assuré, à tous deux, une solide réputation d’intellectuels brillants, de professeurs-chercheurs de haut vol. Lors de votre nomination au ministère, aucun journaliste n’a manqué de rappeler que le “ brillant intellectuel ” était “ deux fois titulaire d’une agrégation ”, “ traducteur et spécialiste de Kant ”, “ auteur de nombreux ouvrages ”… De vous, on dit récemment que vous êtes “ un pivot de pensée ”[214]. A votre place, je considérerais ce compliment comme exagéré, à moins que ce pivot soit Out of joints !

 

De l’autre, on nous dit qu’il est un “ biologiste de renommée internationale ”[215]. Présentant ses ouvrages, Le Point eut ce mot : “ Passionnant ” ; Le Monde, plus lyrique, écrivit : avec Jean-Didier Vincent “ La biologie a revêtu ses habits de lumière. C’est une fête galante. ”. Lors de la sortie de La chair et le diable, L’Express parla d’un « ouvrage tout à fait remarquable… »[216], Le magazine littéraire, d’un « essai riche et brillant ». En toute occasion, tous les laquais sont de sortie : ainsi, un incertain Roland Ernould écrit, à propos de La chair et le diable qu’il s’agit d’un « scoop scientifique de ce début de millénaire qui vaut un poids de soufre […] d’un livre passionnant [qui] a le grand mérite de s’appuyer sur des considérations biologiques, purement biologiques. ». Un autre salue la sortie d’un « livre magistral »[217]. Le Point n’est pas en reste, en donnant dans la psychologie politique : « Et Jean-Didier Vincent, il faut lui faire une place, parce que c’est un homme très important. »[218] Est-il si gros, si gras et si adipeux ? Qu’importe ! « C’est un personnage très étonnant. » Ainsi atteint-on les sommets de la critique mondaine. Ces journalistes ont-ils des enfants scolarisés dans l’enseignement public ? Pour ma part, je reprendrais volontiers l’apologue incisif de David Hilbert : “ Certains hommes ont un angle de vision de degré nul, ce qu’ils nomment leur point de vue. ”[219]

 

Et pourtant, toute une société loue, récompense, dispense gain et honneurs à la nullité intellectuelle. Du haut de votre autorité politique et intellectuelle, vous présentez un « cours de culture générale » qui est la destruction même du cours. Un cours sans intitulé, sans objet, sans point de vue, où vous traitez des concepts avec une légèreté indécente, où les notions d’observation, d’expérience, d’analyse sont maltraitées comme jamais. Votre collègue et ami propose un cours d’initiation de la philosophie où, même du point de vue de sa discipline, on ne lit qu’un chapelet d’incohérences, d’inconsistances et d’âneries. En outre, vous comme lui, avez la reconnaissance des éditeurs (Odile Jacob…), du Premier ministre, de l’Oréal, de l’ensemble de la presse et du public qui lit vos livres. Les journalistes qui vous encensent ont-ils lu vos livres respectifs ? Rien n’est moins sûr. Pis encore, s’ils les avaient lu, auraient-ils compris qu’ils sont nuls ? Rien n’est moins sûr. Et s’ils avaient compris, auraient-ils osé ou eu le pouvoir de les critiquer pour ce qu’ils sont ? Probablement pas. Alors, comment voulez-vous que les jeunes élèves ou les jeunes étudiants puissent avoir envie d’apprendre alors que règne une corruption généralisée ? Il savent très bien qu’aujourd’hui, tout ce petit monde et tout ce monde tient le travail pour méprisable et l’étude pour inutile, les deux pour indignes. N’est-ce pas ce que Nietzsche nommait barbarie ? « Nous avons ici comme but et fin de la culture l’utilité ou plus exactement le profit, le plus gros gain d’argent possible. »[220]

 

Le récent rapport Porchet, écrit d’une plume aussi alerte que celle du grand biologiste, remarque qu’: “ […] on relève chez les étudiants en sciences et en médecine une difficulté à mener une réflexion critique. Certains peinent à lire un texte et à s’immiscer dans un débat ‘philosophique’. ”[221] Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on sert une telle bouillie conceptuelle aux jeunes étudiants ? Et lorsque même rapport écrit : “ Nos enseignements sont devenus très denses et très arides[222]. Il n’est pas anormal que les jeunes aient des difficultés à les assimiler. ”[223], n’est-il pas très imprudent d’en attribuer la cause à la “ sociologie des élèves ” ? Ne faudrait-il pas plutôt en attribuer l’origine immédiate à l’incompétence calculée de ceux qui se prétendent enseignants ou éducateurs ?

 

Mais ce n’est pas tout. Pourquoi faire croire à des enfants de cinq ans et à leurs parents qui ont confié leurs enfants à l’école qu’ils « font de la science » alors qu’ils ne savent même pas lire ? Remarquer qu’une citrouille a grossi, cela peut être intéressant, mais ce n’est pas de la science. Et que cette escroquerie intellectuelle soit mise en scène médiatiquement par des acteurs employés comme utilités (les maîtres d’école), par des journalistes employés comme second rôle qui n’ont absolument aucune idée de ce qu’est une science (des boutiquiers) et par des scientifiques de renom tenant le rôle prétendument principal (des trafiquants), cela n’est-il pas particulièrement révoltant ? Comment et pourquoi les systèmes immunitaires du corps social contre la bêtise ont-ils pu s’affaiblir à ce point ? N’est-ce pas Rousseau qui écrivait : « Le spectacle du monde, disait Pythagore, ressemble à celui des jeux olympiques : les uns y tiennent boutique et ne songent qu’à leur profit ; les autres y payent de leur personne et y cherchent la gloire ; d’autres se contentent de voir les jeux, et ce ne sont pas les pires. »[224] Oui, chacun est responsable, nous sommes tous responsables, mais inégalement responsables.

 

N’est-ce pas le professeur Porchet qui rappelait que “ L’université doit surtout proposer à ses aux élèves une formation de grande qualité […] C’est l’image de marque de l’université qui devrait être ainsi modifiée. ”[225] ? Ne risque-t-on pas, avec de tels cours de culture générale, de déconsidérer à tout jamais la réputation de l’enseignement universitaire ? Ne risque-t-on pas, en même temps, de dégoûter à tout jamais, même des étudiants de bonne constitution, de toute espèce d’intérêt pour la biologie ? Le grand biologiste, si l’on suit ses pitreries pluridisciplinaires, ses jongleries transdisciplinaires, ses approximations biologiques, ne risque-t-il pas de déconsidérer la biologie elle-même ? Ne devrait-il pas relire avec attention ce qu'il écrit lui-même : “ [...] chaque biologiste porte en lui au moins un mauvais livre sur le comportement humain. [226].

 

N’est-ce pas le même professeur Porchet qui insiste sur ce fait “ […] qu’enseignant-chercheur est un métier et que tout métier nécessite un apprentissage. Il est donc devenu urgent de réhabiliter la mission d’enseignants à l’université. ”[227] Le président du CNP entendra-t-il ce conseil ? Et, dans les circonstances, on rappellera que “ […] l’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué. ”[228]

 

N’est-ce pas ce que propose le grand maître lui-même : « Il y a une façon discrète pour l’ennui de se manifester, c’est le désintérêt de l’élève qui est une conséquence de l’échec scolaire. » Que faire alors ? « Le remède, c’est d’aider le maître. Il faut une formation continuée qui soit très prégnante surtout aux débuts pour les jeunes professeurs. Le formation, les IUFM, leurs rapports avec les universités et surtout la formation continue sont des priorités […] Parler des rats pour des choses spécifiquement humaines est très mal perçu. L’ennui est cependant une dimension qui dépasse très largement l’humain. On sait que les animaux s’ennuient ?.. »[229] Que dieu et les laboratoires aident le grand professeur ! Et, si le professeur de philosophie rencontre encore des difficultés liées au maniement de sa (ses) matière(s), il pourra toujours consulter un site philosophique (Raphaël Einthoven), qui donne comme référence princeps pour l’étude de la notion de nature en terminale le fameux, fabuleux, merveilleux ouvrage de Luc Ferry et Jean-Didier Vincent, Qu’est-ce que l’homme ?.. Ce n’est plus le sommet qui est atteint de maladie, mais l’ensemble de la pyramide.

 

N’est-ce pas le même rapport Porchet qui “ […] relève chez les étudiants en sciences et en médecine une difficulté à mener une réflexion critique. Certains peinent à lire un texte et à s’immiscer dans un débat ‘philosophique’. ”[230] Mais comment pourrait-il en être autrement quand ils reçoivent de tels “ cours ” ?

 

N’est-ce pas l’auteur de la Lettre à tous ceux qui aiment l’école qui écrit : “ Impossible de parvenir à connaître le monde […] sans passer par une certaine […] rigueur intellectuelle, un effort de réflexion et de pensée… ”[231] ? L’intention d’initier les jeunes étudiants philosophes à la philosophie est touchante. Mais encore faudrait-il, pour ce faire, au moins avoir atteint un niveau philosophique d’un bon élève de terminale ! Qu’un professeur de philosophie, traducteur de Kant, pour qui la rigueur de pensée avait une certaine importance, apporte sa caution et participe à ce genre de mauvais gag, laisse perplexe. Qu’il soit cependant assuré d’avoir atteint son objectif principal : ce cours n’est pas un cours !

 

L’ensemble de ces incohérences de forme et de contenu ne sont-elles pas au principe des réformes programmatiques dont le Conseil national des programmes est le maître d’œuvre ? Ne constituent-elles pas, dans leur mise en acte, un modèle pour l’enseignement ?N’y a-t-il pas un paradoxe majeur à vouloir centrer les programmes sur les éléments les plus fondamentaux d’une discipline et en même temps à offrir à des “ innocente ”[232] un “ cours fondamental de biologie, ne présupposant si possible aucune connaissance préalable ”[233]

 

Ne proposent-elles pas, en même temps, un modèle pédagogique de ce que l’on appelle de toutes parts l’“ interdisciplinarité ”[234], consistant en un triste mélange des genres : “ Nous voulions [...] faciliter la coexistence des disciplines entre elles, faire en sorte qu’elles travaillent autant qu’il est possible de façon cohérente et harmonieuse... ”[235] Cette facilitation conduit les jeunes étudiants dans le brouillard !

 

Ne contiennent-elles pas en germe une sorte de philosophie officielle : “ Voici donc notre objectif tout à la fois limité et ambitieux : tenir le pari d’un cours d’initiation pure [...] tout en approchant pour elle-même l’une des questions les plus cruciales : celle du statut de l’humain au sein du règne de la nature. ”[236]

 

Quel est le modèle d’homme de cette philosophie officielle ? Exactement le modèle d’homme-machine de la cybernétique : “ Il est [...] fascinant d’observer que le principe fondamental de régulation des hormones est fondé sur la rétroaction [feed-back] qu’elles exercent sur leurs sécrétions... ”[237] Ou bien “ [...] la vie [n’est] qu’une circulation ininterrompue d’informations. ”[238]. Modèle ajusté aux normes du management, exactement aux antipodes de la philosophie kantienne : “ Dans la gestion de cette partie de cartes qu’est la vie, il faut tenir compte du jeu servi et de la façon de jouer.”[239]… et de la salle de jeu : “ dans les cultures qui entretiennent une pluralité de dieux, [...] la gestion du négatif donne prétexte à une organisation à la fois plus complexe et plus superficielle. Une société anonyme ou à responsabilité limitée est préférée au pouvoir maléfique d’un seul. ”[240] Dans le monde du biologiste, il n’est question que de gestion. L’amour et la haine sont eux-mêmes affaires de gestionnaires : “ les structures nerveuses et hormonales gèrent [l’amour et la haine] ”[241]

 

C’est dans ce cadre de cauchemar que les meilleurs d’entre les meilleurs, c’est-à-dire les bonimenteurs et trafiquants prennent le pouvoir : “ Les mots ne sont que des outils à manipuler le monde. ”[242] Le président du CNP ne devrait-il pas sa réputation à sa propension au bavardage ? Ne serait-il pas le meilleur d’entre ces “ hommes [qui] auraient donc eu la langue mieux pendue que d’autres ” [243] Quand je pense que ces cours de culture générale ont probablement été donnés à la Sorbonne… dans l’amphithéâtre Descartes ? Et peut-être dans la salle Cavaillès !

 

On dit que, ces derniers jours, “ [vous avez] pris dix ans ”[244]. Savez-vous, savent-ils, ceux qui s’inquiètent tant de votre santé, que nous, qui essayons de maintenir vivante la petite flamme en la transmettant à quelques élèves qui peuvent encore entendre, vous nous faites vieillir de deux ans chaque année depuis des décennies... En tant que ministre de l’Education nationale, vous êtes un des membres responsables de cette entreprise internationale, l’OCDE, de réduction de l’humanité à son expression computable. Ceci est très visible lorsqu’on prend connaissance des textes du président du CNP. Sa biologie procède d’un glissement de signifiant : le bios de la biologie fait une grande glissade dans le bios de mon ordinateur ! Mais il faut que vous sachiez qu’on n’empêche pas plus les hommes de penser que la mer de revenir au rivage “ car on rencontrera toujours quelques hommes qui pensent de leur propre chef et qui […] répandront l’esprit d’une estimation de sa valeur propre et de la vocation de chaque homme à penser par soi-même. ”[245]

 

Devant tant d’adversité, je laisserai parler le poète : “ Mit gerührtem Herzen werde ich ihnen vor ihrem Tode alle Unbill verzeihen, die sie mir im Leben zugefügt – ja, man muß seinen Feinden verzeihen, aber nicht früher, als bis sie gehenkt werden.”[246] “ D’un cœur ému, face à leur mort, je leur pardonnerai tout le mal qu’ils m’ont fait de leur vivant - oui, on doit pardonner à ses ennemis, mais pas avant qu’ils ne soient pendus. [247]

 

Gilbert Molinier

Professeur de philosophie

 



[1] L. Ferry, X. Darcos, C. Haigneré, Lettre à tous ceux qui aiment l’école, Paris, Odile Jacob, 2003, 181 pages.

[2] F. Nietzsche, Le crépuscule des idoles, Paris, Garnier-Flammarion, 1985, p. 69-70, traduction d’Henri Albert.

[3] M. Delord, professeur de mathématiques, défenseur infatigable de l’enseignement de l’arithmétique et de l’instruction. On peut consulter le site de Michel Delord sur : http://michel.delord.free.fr

[4] Rappelons que l’auteur, comme dans une certaine tradition marxiste, est un intellectuel-collectif : Luc Ferry, Xavier Darcos et Claudie Haigneré.

[5] L. Ferry, Lettre à tous ceux…, op. cit., p. 7.

[6] Ibid., p. 10.

[7] Nous ne sommes pas dupes. Il va de soi que ces demandes ne poursuivent qu’un seul objectif : l’intérêt des élèves.

[8] “ Xavier Darcos revient sur la violence à l’école ”, in Libération, 27 janvier 2003. “ Etre professeur, c’est accepter d’affronter les élèves tels qu’ils sont, ou alors il faut changer de métier. ”

[9] Ibid., p. 9.

[10] De source sûre, on affirme que le ministre, devenu insomniaque, fut si bien pris par sa “ fâcheuse manie de croquer des noisettes dans le grand lit du ministère ” que l’obésité le guetta. D. Dhombres, “ Télévision : les noisettes de Luc Ferry ”, in Le Monde, 13 janvier 2003.

[11] A ce jour, le fiasco du premier grand long métrage de Bernard-Henry Lévy fut relégué en deuxième place.

[12] Dans l’affolement général, Le Figaro engagea à la hâte un professeur de philosophie qui disserta gravement sur l’autodafé en défendant avec vaillance la liberté d’expression, les livres, les bibliothèques, etc.. Secrètement, il rêvait de gloire prochaine ; on lui assura que sa défense du ministre jouerait, dans l’histoire de la littérature, un rôle équivalent à celle de la préface de la première traduction française de La plaisanterie. Il songea même un moment  à Voltaire… D’habitude empêtré dans une métaphysique de potache, il dût assumer, pour la première fois de sa vie, une prise de position politique écrite. Même dieu et lui-même n’en revinrent pas.

[13] Il s’en est fallu de peu que cette amertume ne tournât à la mélancolie. On dit que c’est plus à un mystérieux sursaut de sa volonté bonne qu’aux remèdes prodigués par son grand ami grand spécialiste des glandes endocrines qu’il doit sa guérison.

[14] L. Bronner et A. Salles, “ Luc Ferry adresse son livre-programme à 800 000 enseignants ”, in Le Monde, 16 avril 2003

[15] L’un d’eux, pris de panique, s’enquit en secret de la façon d’effectuer la double opération auprès de la Société mathématique de France.

[16] L. Ferry, Lettre à..., p. 15.

[17] Ibid., p. 84.

[18] Ibid., p. 84-85.

[19] L. Ferry, J.-D. Vincent, Qu’est-ce que l’homme ? Sur les fondamentaux de la philosophie et de la biologie, Paris, Poche Odile Jacob, 1988, 286 p..

[20] Q.H., Ibid., p. 13. (Désormais, je noterai Qu’est-ce que l’homme ?, Q.H.).

[21] Q.H., Ibid.,  p. 13.

[22] Q.H, Ibid., p. 12.

[23] Q.H, Ibid., p. 13.

[24] Q.H., Ibid., p.14.

[25] Q.H., Ibid., p.14.

[26] Q.H., Ibid., p.9.

[27] Q.H., Ibid., p. 14.

[28] J’ai également repris deux autres ouvrages de Jean-Didier Vincent : La Chair et le Diable et Biologie des passions, tous deux parus chez Odile Jacob, respectivement en 2000 et 1986. Lectures à la fois intéressantes et déconcertantes. Intéressantes en ce sens où certaines thèses présentées sont celles-là même qui constituent les fondements biologiques des théories comportementalistes des spécialistes des sciences de l’éducation ; elles font en même temps office de philosophie officielle du Ministère. Déconcertantes en ce sens que d’un ouvrage à l’autre, l’auteur y applique avec un certain sans-gêne le principe de répétition jusqu’à recopier intégralement des pages entières, ce qui décourage d’en lire davantage (Voir, par exemple, Qu’est-ce que l’homme ?, p.153-154, La Chair et le diable, p. 79-81. Voir encore, Qu’est-ce que l’homme ?, p. 208-210 ; La Chair et le Diable, p.123-125... Mais sans doute applique-t-il le principe pédagogique selon lequel, “ si l’on ne se répète pas, on se contredit ”.

[29] Q.H., Ibid., p.139.

[30] Le correcteur est la bête noire de l’écrivain. On trouve dans la table des matière de la Lettre à tous ceux qui aiment l’école, p. 177 : “ Le scandale de l’illetrisme ”… Le diable est partout présent.

[31] Q.H., Ibid., p.10.

[32] Q.H., Ibid., p. 10.

[33] Q.H., Ibid., p.9.

[34] Q.H., Ibid., p.11.

[35] Q.H., Ibid., p.15.

[36] Q.H., Ibid., p.14.

[37] Q.H., Ibid., p.12.

[38] Q.H., Ibid., p.11.

[39] Q.H., Ibid., p.13.

[40] C.D., Ibid., p. 259.

[41] Q.H., Ibid., p. 266.

[42] Q.H., Ibid., p. 247.

[43] B.P., Ibid., p. 8.

[44] Q.H., Ibid., p. 10.

[45] Q.H., Ibid., p. 11.

[46] Q.H., Ibid., p.10.

[47] Q.H., Ibid., p. 10.

[48] Q.H., Ibid., p. 10.

[49] Q.H., Ibid., p.11.

[50] Q.H., Ibid., p. 11.

[51] C.D., Ibid., p. 56.

[52] C.D., Ibid., p. 52.

[53] C.D., Ibid., p. 50.

[54] Q.H., Ibid., p. 185.

[55] Q.H., Ibid., p. 185.

[56] Q.H., Ibid., p.181.

[57] Q.H., Ibid., p. 257.

[58] Q.H., Ibid., p. 153.

[59] C.D., Ibid., p. 50.

[60] C.D., Ibid., p. 38.

[61] Q.H., Ibid., p.163.

[62] Q.H., Ibid., p. 214.

[63] C.D., Ibid., p. 32.

[64] Q.H., Ibid., p. 156.

[65] Q.H., Ibid., p. 177.

[66] Q.H., Ibid., p. 226.

[67] Q.H., Ibid., p. 236.

[68] Q.H., Ibid., p. 222.

[69] B. Spinoza, Traité théologico-politique, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 19-20, traduction de Charles Appuhn.

[70] L. Ferry, Lettre à tous ceux…, opus cit., p . 50.

[71] Q.H., Ibid., p.142.

[72] Nous n’aurons pas l’outrecuidance de rappeler l’initiateur de la philosophie à Aristote et son “ animal parlant ”, à Kant, Marx… Ces auteurs n’ont, évidemment, rien à voir, ni avec le nouveau matérialisme, ni avec la philosophie. Et encore moins avec la pédagogie.

[73] Q.H., Ibid., p. 142.

[74] Q.H., Ibid., p. 188.

[75] Q.H., Ibid., p. 188.

[76] Q.H., Ibid., p.141.

[77] Q.H., Ibid., p. 220.

[78] C.D., Ibid., p.52.

[79] Q.H., Ibid., p. 191.

[80] Q.H., Ibid., p. 189.

[81] Comme chacun sait, le professeur est un grand spécialiste de l’ennui, des rats, rats Wilson et rats Lewis, et des jeunes de la Seine-Saint-Denis. Il est l’auteur d’un aphorisme célèbre dont Kraus, Lichtenberg et Nietzsche eussent été jaloux : “ C’est l’ennui qui pousse les enfants des banlieues dans la violence et le crime , c’est l’ennui qui achète la drogue aux débitants de malheur ; l’ennui qui détruit les foyers, l’ennui qui transforme un paisible voisin en assassin. Si l’ennui est l’expression même de la vie, alors la vie est diabolique. ” C. D., Ibid., p. 177.

[82] C. D., Ibid., p. 239-240.

[83] Q.H., Ibid., p. 215.

[84] Q.H., Ibid., p. 189.

[85] Q.H., Ibid., p. 248.

[86] Q.H., Ibid., p. 200.

[87] Q.H., Ibid., p. 155.

[88] Q.H., Ibid., p. 180.

[89] Q.H., Ibid., p. 179.

[90] Q.H., Ibid., p. 181.

[91] http://www.education.gouv.fr/rapport/porchet0303.pdf. Maurice Porchet, Professeur de biologie à l’Université de Lille 1.

[92] Ici, nous revenons aux mamelles.

[93] Q.H., Ibid., p.181.

[94] Q.H., Ibid., p. 185.

[95] J.-D. Vincent, “ L’enseignant doit savoir se vendre ”, in Le Monde de l’éducation, janvier 2003.

[96] Q.H., Ibid., p. 187.

[97] Q.H., Ibid., p. 216. Bien que celle-ci transpire à chaque page, je resterai discret sur la psychologie de l’auteur. Je ne peux que lui conseiller de continuer à nager, cela ne réduit pas la névrose, mais ça calme. Sinon, il trouvera bien quelque potion pharmacologique pour réguler ses dérégulations.

[98] Q.H., Ibid., p. 155.

[99] Le Point, n° 1292, avril 1997.

[100] J. Lacan, Télévision, Paris, Editions du Seuil, 1973,, p.15-16.

[101] J. Lacan, “ Fonction et champ de la parole et du langage dans la psychanalyse ”, in Ecrits II, Paris, Seuil, 1966, p. 140.

[102] Q.H., Ibid., p. 201.

[103] J.-D. Vincent, La Chair et le Diable, Paris, Poches Odile Jacob, 2000, p. 16.

[104] B.P., Ibid., p. 169.

[105] K. Marx, La Sainte Famille, Chapitre V, 2ème partie.

[106] R. Descartes, Méditations métaphysiques, Première partie, paragraphe 3.

[107] R. Descartes, Discours de la méthode, Première partie, paragraphe 13.

[108] Q.H., Ibid., p.181.

[109] Q.H., Ibid., p. 187.

[110] C.D., Ibid., p.119.

[111] B. P., Ibid., p. 221.

[112] B. Granger, “ La dépression est-elle une mode ? ”, in La Recherche, n° 363, avril 2003.

[113] P. Legendre, Leçons VII, le désir politique de Dieu, Etude sur les montages de l’Etat et du Droit, Paris, Fayard, 1988, p.95.

[114] Q.H., Ibid., p. 161.

[115] Aristote, Les politiques, Paris, Garnier-Flammarion, 1993, p. 91-92, I, 2, 1253 a.

[116] Q.H., Ibid., p. 165.

[117] Q.H., Ibid., p. 165.

[118] C.D., Ibid., p. 61.

[119] Q.H., Ibid., p. 173.

[120] Op. cit., p. 8.

[121] C. Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 352-353.

[122] Q.H., Ibid., p.153.

[123] Q.H., Ibid., p. 161.

[124] Voir aussi l’interview d’Elisabeth Tessier in Cosmopolitan, n° double, été 2005.

[125] Q.H., Ibid., p. 185.

[126] Q.H., Ibid., p. 152.

[127] E. Triolet, La mise en mots, Genève, Albert Skira éditeur, 1969, p.7-8.

[128] Rapport Porchet, ouvr. cit., p. 8.

[129] J.-D. Vincent, « L’enseignant doit savoir vendre le savoir », in Le Monde de l’éducation, janvier 2003.

[130] F. Nietzsche, Le crépuscule des idoles, op. cit., p. 70.

[131] K. Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, Paris, Editions sociales, 1972, p. 157, traduction de Maurice Husson et Gilbert Badia.

[132] http://www.viamichelin.com/viamichelin/fra/jsp/mag3/art20030401/html/int_vincent.jsp

[133] Q.H., Ibid., p. 165.

[134] Q.H., Ibid., p. 161.

[135] Rapport Porchet, opus. cit., p. 18.

[136] C.D., Ibid., p.133.

[137] C.D., Ibid., p. 134.

[138] F. Nietzsche, Sur l’avenir de nos établissements scolaires, Paris, Gallimard, Idées, p. 46, traduction de Jean-Louis Backès

[139] Rapport Porchet, opus. cit., p. 8.

[140] C.D., Ibid., p. 61.

[141] A. Léontiev, Activité Conscience Personnalité, Moscou, Editions du Progrès, 1984, p. 97, traduction de Geneviève Dupont avec la collaboration de Gilbert Molinier.

[142] Q.H., Ibid., p. 272.

[143] Ici, nous sommes exactement au cœur des réformes pédagogiques actuelles. A partir de cet exemple, peut-être verra-t-on mieux les raisons de l’ampleur du désastre programmé par les gardes rouges du ministère de l’Education nationale. 

[144] Chez Léontiev, le concept d’appropriation s’oppose à celui d’adaptation. Le second est le concept central du biologisme et du comportementalisme.

[145] A. Léontiev, Le développement du psychisme, Paris, Editions sociales, 1976, p. 313, traduction d’après A. N. Léontiev.

[146] Ibid., p. 314.

[147] K. Marx, Le Capital, Livre premier, Première section, Chapitre premier, “ Le fétichisme de la marchandise. ”

[148] G.Labica, Karl Marx, Les thèses sur Feuerbach, Paris, PUF, 1987, p. 128.

[149] J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique », in Le problème de la psychogenèse des névroses et des psychoses, Paris, Desclée de Brouwer, 1977, p. 34-50.

[150] S. Freud, « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 197.

[151] Nous ne parlerons que du grand pénis. Chacun sait que la simple évocation du petit pénis introduit un biais et rend toute expérience (quotidienne ou de laboratoire) problématique, voire impossible. Ce qui est déjà un signe. Cette aventure est connue sous le nom de fantasme du petit pénis. Sur l’étui, on avait écrit : Vorsicht. Zerbrechlich. Mais le biologiste n’a rien vu.

[152] B.P., Ibid., p. 212.

[153] Q.H., Ibid., p. 142.

[154] B.P., Ibid., p. 185.

[155] J. Breuer, S. Freud, Etudes sur l’hystérie, Paris, PUF, 1975, p. 22, traduction d’Anne Berman.

[156] S. Freud., La naissance de la psychanalyse, Lettre 57.

[157] K. Marx, Manuscrits de 1844, Paris, Editions sociales, 1972, p. 92, traduction d’Emile Bottigelli.

[158] F. Nietzsche, Le crépuscule des idoles, ouvr. cit., p. 70.

[159] G. Canguilhem, in exergue aux Cahiers pour l’Analyse, n° 4, Lévi-Strauss dans le XVIIIème siècle, Editions du Seuil, septembre-octobre 1966.

[160] J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique », in Le Problème de la psychogenèse des névroses et des psychoses, Paris, Desclée de Brouwer, 1977, p. 50.

[161] B. P., Ibid., p. 230.

[162] J. Lacan, « Subversion du sujet et dialectique du désir », in Ecrits II, Paris, Seuil, 1966, p. 174-175.

[163] S. Freud, « Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1977, p. 60, traduction de Jean Laplanche. L’ensemble des trois textes qui composent la « Psychologie de la vie amoureuse » restent indépassables.

[164] B. P., Ibid., p. 177. Je laisse de côté les nombreuses approximations sémantiques.

[165] S. Freud, « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans », in Cinq psychanalyses.

[166] B. P., Ibid., p. 183.

[167] http://www.education.gouv.fr/rapport/porchet0303.pdf. Maurice Porchet, Professeur de biologie à l’Université de Lille 1.

[168] Q. H., Ibid., p. 154.

[169] Platon, La République, Livre VII.

[170] S. Freud, « Les théories sexuelles infantiles », in La vie sexuelle, opus. cit., p.16-17.

[171] Le Point, n° 1292, avril 1997.

[172] F. Nietzsche, Le crépuscule des idoles, ouvr. cit., p. 76.

[173] (C’est moi qui souligne, G.M.)

[174] C.D., Ibid., p. 79.

[175] Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi, Paris, Gallimard, Folio, 1994, p. 11.

[176] S. Ferenczi, Journal clinique, Janvier-octobre, 1932, Paris, Payot, 1985.

[177] B.P., Ibid., p. 39.

[178] J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage dans la psychanalyse », in Ecrits, op. cit., p. 183.

[179] C.D., Ibid., p. 232.

[180] B.P., Ibid., p. 327.

[181] B.P., Ibid., p. 304-305.

[182] J. Lacan, in Ecrits II, Paris, Seuil, 1966.

[183] Q. H., Ibid., p. 154.

[184] S. Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard, Idées, 1967, p. 168.

[185] Q.H., Ibid., p. 196.

[186] V. Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre premier, La grand’salle.

[187] S. Freud, Cinq psychanalyses, Fragment d’une analyse d’hystérie, Dora.

[188] R. Descartes, Méditations métaphysiques, Méditation 2.

[189] S. Freud, « Le tabou de la virginité », in La vie sexuelle, opus. cit., p. 71.

[190] Ibid., p. 71.

[191] S. Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard, Idées, 1967, p. 168. Ces deux passages font partie de l’importante note rajoutée dans l’édition de 1915.

[192] S. Ferenczi, Journal clinique, Janvier-octobre, 1932, Paris, Payot, 1985, p. 64. « Tout est perdu, sauf de tuer. »

[193] F. Perrier, La chaussée d’Antin, Paris, Albin Michel, 1994.

[194] B. P., Ibid., p. 273.

[195] B. P., Ibid., p. 177.

[196] B. P., Ibid., p. 178.

[197] B. P., Ibid., p. 177.

[198] B. P., Ibid., p. 180.

[199] S. Freud, « Pour introduire le narcissisme », in La vie sexuelle, Paris, PUF, 1977, p. 94, traduction de J. Laplanche.

[200] S. Freud, « La féminité », in Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1975, p. 178, traduction d’Anne Berman.

[201] Shakespeare, Hamlet, Acte I, scène 1, « Le spectre entre ».

[202] S. Freud, « Sur la sexualité féminine », in La vie sexuelle, p. 150.

[203] B.P., Ibid., p. 234.

[204] Q.H., Ibid., p. 174

[205] J. Thompson, 1275 âmes, Paris, Gallimard, Série noire n° 1000, 1966, traduction de Marcel Duhamel.

[206] Marie-Pier Poulin, étudiante de deuxième année du programme de sciences de la nature au Campus de Charlesbourg du Cégep de Limoilou, 17 janvier 2003. http://www.climoilou.qc.ca/fr/fs0905/pvincent.html

[207] F. Nietzsche, Le crépuscule des idoles, op. cit., p. 70.

[208] Q.H., Ibid., p.13.

[209] H. Müller, Germania 3 Gespenster am Toten Mann, Köln, Kiepenheuer & Witsch, 1996, p. 53. “ Sei nicht höflich./ “ Die Höflichkeit muss man sich leisten können. / “ Ich kann mir deine Höflichkeit nicht leisten. ”

[210] P. Legendre, Dieu au miroir, Etude sur l’institution des images, Leçons III, Paris, Fayard, 1994, p. 37.

[211] Q.H., Ibid, p.12.

[212] A moins que ce ne soit, comme d’habitude, dans l’intérêt des élèves.

[213] Il s’agit bien sûr, comme toujours et encore une fois, de l’intérêt des élèves, du sacro-saint intérêt des élèves. On parle de l’intérêt des élèves comme Pétain parlait de l’intérêt de la France.

[214] J.-L. Raffarin, in Le Monde, 20 mai 2003.

[215] C. Bonrepaux, “ L’enseignant doit savoir vendre le savoir ”, in Le Monde de l’éducation, janvier 2003.

[216] J.-S. Stehli, « Les nouveaux rituels », in L’Express, 18 mai 2000.

[217] http://www.holybuzz.com/article.php3?sid=6

[218] C. Golliau, « L’homme est l’avenir de… l’homme » , in Le Point, n° 1377, 06 février 1999.

[219] .(Traduction de l’auteur, G.M.) “ Manche Menschen haben einen Gesichtskreis vom Gradus Null und nennen das ihren Standtpunkt. ”

[220] F. Nietzsche, Sur l’avenir de nos établissements scolaires, Paris, Gallimard, Idées, 1973, Première conférence, traduction de Jean-Louis Backès.

[221] Rapport Porchet, op. cit., p. 8.

[222] Voulait-il dire “ à rides ” ? C’est-à-dire, vermoulu, piqué aux vers…

[223] Rapport Porchet, op. cit., p. 17.

[224] J.-J. Rousseau, L’Emile, Paris, GF Flammarion, Paris, 1966, Livre quatrième, p. 307-308.

[225] Rapport Porchet, opus. cit., p. 15.

[226] C.D., Ibid., p. 91. Alors, qu’en est-t-il de l’œuvre complète lorsqu’on écrit plusieurs fois le même livre ?

[227] Rapport Porchet, opus. cit., p. 18.

[228] K. Marx, “ Thèses sur Feuerbach ”, in L’idéologie allemande, Paris, Editions sociales, 1968, p. 32, traduction de Gilbert Badia.

[229] http://www.snuipp.fr/article964.html

[230] Rapport Porchet, ouvr. cit., p. 8.

[231] L. Ferry, Lettre à tous ceux..., opus. cit., p. 48.

[232] Q.H., Ibid., p.13.

[233] Q.H., Ibid., p.14.

[234] Q.H., Ibid., p.13.

[235] Q.H., Ibid., p.13.

[236] Q.H., Ibid., p. 15.

[237] B.P., Ibid., p. 63.

[238] B.P., Ibid., p. 63.

[239] Q.H., Ibid., p. 215.

[240] C.D., Ibid., p. 264.

[241] C.D., Ibid., p. 195.

[242] C.D., Ibid., p. 57.

[243] Q.H., Ibid., p. 173.

[244] “ Un ministre déjà condamné par les pros de la politique ”, in Le Monde, 02 juin 2003.

[245] E. Kant, « Réponse à la question : Qu’est-ce que ‘les lumières’ » ?

[246] H. Heine, Gedanken und Einfälle, in H. Heine, Sämtliche Werke, hg. v. O. Walzel, Leipzig 1915, Band 10, S. 235.(Traduction de l’auteur, G.M.)

[247] .(Traduction de l’auteur, G.M.)