Lettre ouverte au camarade rédacteur en chef du

Bulletin municipal

à Saint-Ouen

dimanche, le 18 mai 2003

 

 La prostitution du corps partage

avec le journalisme la capacité de

 ne pas devoir ressentir, mais possède

 sur lui la capacité de pouvoir ressentir.

K. Kraus, Aphorismes

 

 

 

Cher camarade,

 

Ces quelques lignes sont écrites in memoriam, mais sans nostalgie aucune, sans regret aucun,  du temps où nous étions tous deux membres du PCF, Place des Fêtes, Paris XIXème arrondissement. Plus de vingt ans déjà sont passés… Que de changements ! Que reste-t-il ? Nous nous retrouvons au même endroit géographique et nous y voyons les choses politiques de façon radicalement différente. Il semble que, étant donné le nombre d’articles que le bulletin municipal consacre à l’école, aux écoles de Saint-Ouen, le nombre d’articles que tu signes, on y considère les questions de l’école avec grand intérêt. De mon côté, j’ai été tellement été éprouvé par tous ces bouleversements des vingt dernières années que j’ai dû écrire deux ou trois choses pour y voir un peu plus clair.

 

D’un point de vue politique, comme d’un point de vue psychologique, ce qui se passe au lycée Auguste Blanqui me semble tout à fait intéressant et passionnant. Celui-ci a valeur monadique : il s’y passe exactement ce qui se passe dans la société française mais, pour des raisons tenant aux particularités locales, tout y prend une forme caricaturale[1], voire grotesque. C’est d’ailleurs la seule raison pour laquelle j’y reste ; je suis persuadé que ce lycée est considéré en haut lieu comme centre d’expérimentation ; il bénéficie donc de tous les soins qu’on accorde à un animal de laboratoire. Pour moi, il est donc devenu un lieu d’observation privilégié[2]. L’observateur observé… situation aussi amusante qu’insupportable. La question, la seule question qui y est posée est la même que celle qui a hanté la bourgeoisie pendant tout le XIXème et le XXème siècles : « Que faire des pauvres ? » « Comment contenir la colère des pauvres ? » « Que faire des enfants de pauvres ? » Tout ce qui se fait ici, absolument tout, s’organise autour de cette seule et unique question, mais dans des conditions et une situation nouvelles. Le plus spectaculaire tient en ce que le zèle, voire la servilité de fonctionnaires de l’Education nationale y atteignent des sommets. Par exemple, on trouve ces constantes : l’indécrottable racisme comme la haine de classe y sont invariablement présents et suent par tous les pores de ce lycée, mais ils apparaissent sous des formes nouvelles, sous une forme inversée : la haine de classe y prend massivement la forme de l’amour de l’autre, le racisme y prend la forme de la lutte contre le racisme. Tout s’y passe, et ce n’est pas le moins émouvant, dans la plus parfaite inconscience. Mais, de toute certitude, au bout de ce chemin il y a la mort. Il y a vraiment de quoi faire pour qui s’intéresse à la production de l’idéologie... Les élèves le savent, les élèves le sentent, mais tout est fait pour les empêcher de penser leur situation objective. A cet endroit, et pas seulement en regard des responsabilités politiques, il se joue des questions d’une importance capitale.

 

Il reste, autant que je puisse en juger de ce qui est écrit, dit ou fait relativement à la question de l’enseignement, que nous avons des désaccords politiques pyramidaux dont je tiens à te faire part publiquement. Comme tu le sais depuis longtemps, « J’appelle un chat, un chat [3]» alors, sans détour, j’irai au fait. D’abord, tu mérites un vrai compliment. Comment te remercier pour tous ces articles pleins de vérité, de science et d’humour qui occupent régulièrement les pages du Bulletin municipal dont tu es le rédacteur en chef ? Tout y est propre, beau, lisse : platitude soviétique pour les textes, américanisme bêlant pour les images. De la pure glu consensuelle.

 

Par exemple, dans sa dernière livraison, à Saint-Ouen pose « 3 questions à… Françoise Aumont Proviseur du lycée Blanqui [qui] explique les ambitions nouvelles des lycéens et de l’équipe enseignante » (p.4). Les réponses y sont aussi extraordinaires que les trois petites questions. C’est beau comme de l’antique, l’idéologie dominante à l’état pur. Le titre est déjà programmatique : « ambitions nouvelles de l’équipe enseignante » ? De quoi s’agit-il ? Quelle équipe ? Quelles ambitions nouvelles ? Je ne fais pas partie de ce machin ! Je ne veux pas être embarqué dans cette couche de colle visqueuse. En tant qu’enseignant en poste au lycée Auguste Blanqui, je n’ai pas d’ambition, fût-elle nouvelle, mais une fonction, définie par la Constitution : celle d’instruire (article 13 du Préambule de 1946 : « La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture »). En quoi cette fonction est-elle nouvelle, puisqu’elle est au cœur du programme des révolutionnaires de 1789[4] ? Il faut donc convenir, comme c’est écrit, que l’équipe pédagogique consacre ses efforts à autre chose qu’à instruire, c’est-à-dire que ses membres, en toute connaissance de cause, ont décidé de se placer hors-la-loi, ont décidé de faire autre chose que ce que leur enjoint la Constitution. Mais quoi donc ?

 

 

L’INTERÊT DES ELEVES… FACE A LA CORRUPTION GENERALISEE

 

La réponse de madame le proviseur est la suivante : « Nous avons des projets d’établissement… ». Par exemple, et comme tu le sais pour en avoir été informé par moi, on y apprend aux élèves à jouer à la bourse (Masters de l’économie)[5]. Gagner de l’argent sans travailler en spéculant sur la bêtise du voisin… une vraie ambition nouvelle correspondant à un programme d’instruction nul ! Comment se fait-il qu’un communiste[6], sachant que près de 50% des élèves de ce lycée sont boursiers, ne s’interroge pas sur ce qu’on y fait vraiment ? Comment se fait-il qu’une administration, des professeurs s’excitent là-dessus ? Madame le proviseur indique elle-même dans un courrier adressé au tribunal administratif[7] que des professeurs (sic !) ont proposé « […] à des élèves de participer à ce jeu-concours organisé par le CIC sans qu’il y ait un projet pédagogique impliquant écriture de projet, bilan pédagogique… (C’est moi qui souligne, G.M.)». En même temps, on continue de me bassiner avec l’INTERÊT DES ELEVES.

 

Qu’en est-il, en réalité, de l’intérêt des élèves ? L’intérêt des élèves, c’est exactement ceci : la transmutation de l’intérêt personnel en bonne conscience ou amour de l’autre. J’ai quasiment reconstitué tout le circuit de l’intérêt des élèves, et je peux déjà en présenter quelques aspects. Les contribuables de Saint-Ouen, les parents qui confient leurs enfants en toute confiance à l’école publique, ceux à qui tu essaies de vendre ta soupe dans le cadre de la préparation des prochaines élections pour que tu puisses garder ton poste de rédacteur en chef du bulletin municipal, sans qu’on leur demande leur avis, financent, à leur insu, une campagne publicitaire lancée par un groupe bancaire privé. Le lycée imprime un cachet officiel de sérieux à cette imposture et « de nombreux professeurs » y collaborent. Ceux-là sont payés en heures supplémentaires, grassement payées parce qu’elles sont brutes, pas de préparation, pas de correction (c’est l’équivalent réel de l’intérêt des élèves). Ils ont en plus le droit de rêver : faire un voyage payé de cinq jours et sept nuits à New-York (Valeur 15 000 francs. Cela aussi dans l’intérêt des élèves). Ces nouvelles miettes enrichissent à leur tour les caisses de la CAMIF (Crédits à la consommation dans l’intérêt des élèves…) ou des agences de voyages (Les professeurs partent en vacances dans l’intérêt des élèves). Tout cela n’est-il pas contradictoire avec la vieille ambition des révolutionnaires de 1789 ? Je lis, article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leur VERTU et de leurs talents ». (C’est moi qui souligne, G.M.).  Le désintéressement n’est-il pas une vertu ? En l’occurrence, le désintéressement, au principe de la fonction publique, n’en prend-il pas un sérieux coup sur la tronche ? Que peut-on dire d’autre que ceci : ces professeurs ne sont-ils pas des professeurs corrompus vivant dans un Etat où règne la « corruption généralisée »[8]. Ils sont petits et font en très petit ce que la banque fait en grand, très grand car, à la fin, l’ambition nouvelle montre son vrai visage, celui de l’encaissement au comptant : les professeurs usurpent leur ancienne fonction d’enseignant, pour celle, nouvelle, de rabatteur au moment où la banque ramasse la mise et transforme les élèves en clients. N’est-ce pas une forme de détournement de mineurs entrée dans les mœurs du  postmodernisme ? Le circuit de l’argent n’est-il pas passionnant ?

 

 

SCIENCES-PO. : « … DISTRIBUER DES CACAHUETES AUX PAUVRES »

 

Deuxième question : Quel bilan tirer de la convention avec Sciences-Po. ?

Le bilan est tiré ainsi - Madame le proviseur répond - : « extrêmement positif ». J’ajouterai simplement, « MALHEUREUSEMENT ». Pourquoi ?  Il y a au moins trois raisons.

 

La première raison est politique. Malek Boutih, Président de SOS Racisme,  écrit : « […] la grande ‘pathologie’ des partis politiques est de ne plus former de militants. Aujourd’hui, les jeunes qui veulent faire de la politique font Sciences-Po.. Il n’y a plus d’apprentissage de terrain. »[9]  En clair, Sciences-Po fabrique des technocrates à la langue de bois rêvant de hanter les couloirs ministériels ou/et les bureaux des grandes entreprises. On sait aussi ce qui se passe lorsque la politique prétend devenir une « science ». Pouah ! C’est ce que Madame le proviseur appelle : « […] avoir de l’ambition pour les élèves ».

 

Le seconde raison est politique. Malek Boutih écrit encore : « Quant au débat sur Sciences-Po, reconnaissons au directeur le mérite de faire quelque chose. Maintenant, cela consiste un peu à distribuer des cacahuètes aux pauvres : quelques blacks ou beurs venus de quelques ZEP bénéficieront de son système. »[10] Enfin, pour citer le même, je reprendrais à mon compte : cette phrase :  « Il faut dire aux plus petits : ‘Ne vous laisser pas arnaquer par le modèle qu’on est en train de vous vendre. »[11] Eh oui !, ce genre de politique d’aide samaritaine a du mal à cacher son indécrottable racisme.

 

La troisième raison est politique. Comme tu le sais, lorsque les étudiants de Sciences-Po. ne rêvent pas de devenir homme politique professionnel genre Juppé ou Jospin, ils rêvent de devenir journaliste. Les Centres de formation de journalistes sont pleins d’étudiants de Sciences-Po. ! « […] au CFJ, dans la promotion 2002, 40% des étudiants sortaient de Sciences-Po. Paris… Un autre quart provenait des IEP de province. »[12]

 

Et qu’est-ce qu’on y apprend dans ces fameuses écoles de journalistes ? En quoi consiste l’instruction ? On y apprend la même chose qu’au lycée Auguste Blanqui : rien du tout. « De l’IUT de Bordeaux à celui de Tours, de l’IPJ au CFJ, dans les récits des étudiants l’ennui domine. Loin d’une émulation enthousiaste, la scolarité apparaît comme un tunnel de ‘temps morts’, de ‘pauses-café’, de ‘journées passées à glander’, où l’‘on recopie des dépêches sans rien apprendre’. »[13] Il semble même que le journaliste mette un point d’honneur à ne rien savoir. En somme, une sorte de Socrate… « Car, loin de handicaper le journaliste, une méconnaissance des sujets constitue un atout un savoir incongru risquerait de parasiter la synthèse… »[14]. Le journal a tué le livre : « Peut-on concevoir une ‘grande école’, qui plus est ‘de journalisme’, sans bibliothèque ? C’est pourtant possible, le CFJ l’atteste : en guise de rayonnages d’ouvrages, une très modeste ‘documentation’, avec des magazines, un Quid, quelques dictionnaires, un manuel de la ponctuation… une centaine d’usuels, à peine. »[15] L’école de journalisme, idéal de l’équipe enseignante du lycée Auguste Blanqui, est donc un lieu de prestige où trône la bêtise. Et c’est cela qui te fait baver ?! As-tu rêvé de sortir major d’une de ces écoles, seulement parce que, «[…] pour faire du journalisme, aucun savoir n’est requis… »[16] ?

 

Je laisse de côté l’aspect social de la question, parce que la question sociale, celle qui a hanté et travaillé le mouvement ouvrier pendant plus d’un siècle, a complètement disparu du vocabulaire des membres du PCF. « Si la profession se veut toujours ‘ouverte’, elle reste de plus en plus fermée aux classes populaires.»[17]

 

 

CLASSES PREPARATOIRES  … A RIEN

 

Troisième question : « Il existe aussi des classes préparatoires aux grandes écoles. En quoi cet atout est-il bénéfique ? »

 

A-t-on déjà entendu parler « d’atouts maléfiques » ? Je te livre un petit compte rendu indiscret de la visite d’un Inspecteur général de philosophie de l’Education nationale venu pour expliquer le projet et l’intention ministériels. Prenant ses invités à témoin, il dit en substance et presque sous la forme de la confidence, mais sur un ton tout à fait condescendant  : il n’est évidemment pas question qu’un de ces élèves intègre l’Ecole normale supérieure… 

 

Les mauvaises langues, dont je suis, disent qu’il s’agit de propagande gouvernementale visant à endormir les jeunes des banlieues pauvres. Quel est, dans le meilleur des cas, l’objectif poursuivi, la nouvelle ambition ? Madame le proviseur écrit : « A nous de leur […] faire comprendre qu’ils auront un meilleur salaire plus tard s’ils poussent leurs études. » Malheureusement, les élèves préfèrent encore le croire. Crois-tu qu’ils soient dupes de ce genre de propagande ? Cela dit, ce faisant, on leur explique quelque chose de faux. Pour avoir un meilleur salaire, il faut ne pas travailler, mais faire travailler les autres à son service, ce que sait tout PDG. Avoir un étal et vendre des pantalons ou des chaussures est d’un bien meilleur rapport que d’enseigner l’arithmétique en classe primaire. C’est la première leçon d’économie politique pour grands débutants. Pour ce faire, pas besoin de « pousser ses études ». Plus grave, au lieu de leur expliquer, avec l’espoir raisonnablement modeste d’être entendu, comme le faisait tout enseignant avant qu’il ne soit parasité par des ambitions nouvelles, qu’apprendre a pour principal objectif d’apprendre à mieux apprendre, qu’un élève peut mesurer sa joie ici et maintenant lorsqu’il a appris quelque chose, on lui fait espérer un hypothétique gain supplémentaire de fric, plus tard. Le maintenant, apprendre, n’est que source d’ennui ; ce qui compte, la seule chose qui compte, c’est l’argent. Le circuit de l’argent n’est-il pas passionnant ? N’est-ce pas ainsi qu’on décourage le plus sûrement chez un élève toute volonté d’apprendre ?

 

Ce découragement est à son tour officiellement encouragé. Cette année, la direction de l’établissement, toujours soutenue par les mêmes, a même usé de son autorité pour supprimer un cours de philosophie pour laisser causer le Directeur des ressources humaines de… L’Oréal ! As-tu déjà enquêté, en tant que journaliste, sur la fortune des Bettencourt ? Sur le passé et le présent politique des Bettencourt ? Sur les conditions de travail des ouvriers et ouvrières des usines l’Oréal ? Moi, oui ! Quand j’avais 5 ans, ma mère était ouvrière chez l’Oréal.

 

Qu’a-t-il bien pu raconter aux élèves, le sieur D.R.H., sinon recracher l’idéologie patronale sur la rentabilité et ressortir quelques clichés convenables sur la beauté, celle qui hante les magazines comme les rêves des jeunes filles ? A-ton besoin d’un Ministère de l’Instruction publique pour réaliser cette sorte d’exploit ? Ce genre de prestation ne fait qu’alimenter, en les légitimant, les rêves des jeunes filles. Être reine de beauté, comme celles-là : « Elles sont belles, divines, sublimes, voir les trois et plus encore. Elles seront à Cannes. Elles, ce sont les ambassadrices L’Oréal, partenaire officiel du Festival depuis quelques années, soit un casting de reines. Laetitia Casta, Noémie Lenoir, Andie Mac Dowell… toutes seront là. »[18] On pourrait alors imaginer qu’un club de rencontres s’organise entre les filles du lycée et les anciens élèves de Sciences Po., puis que les plus belles soient invitées au bal annuel de Sciences Po. etc.. La belle mais pauvre épousant le prince. Le circuit de l’argent n’est-il pas passionnant ?

 

Moi, quand j’avais 5 ans, j’allais dans une école primaire où les instituteurs apprenaient à lire à compter et à écrire aussi aux petits enfants de pauvres. Ceux-là avaient une tout autre idée de l’école que ces prétentieux nouveaux venus avec leurs ambitions nouvelles. Ils n’étaient pas animés par cette espèce de délire des grandeurs, celui de vouloir que les élèves soient heureux. Ils n’étaient pas habités par ce fantasme de folle maîtrise gestionnaire de la jeunesse, jusqu’à vouloir dicter leurs rêves. Ils étaient bien plus modestes, ils n’avaient que le goût d’instruire. Et les journalistes communistes de l’époque, pour la plupart, ne servaient pas de laquais à ce genre d’entreprise. Au moins avaient-ils pris parti[19] pour les pauvres ! Qui, mieux que Nietzsche, a su marquer cette césure : « […] raconter aux enfants des balivernes, et non la vérité, dire des gentillesses aux femmes qui doivent plus tard être mères, et non la vérité, parler avec les jeunes gens de leur avenir et de leurs plaisirs, et non la vérité, - cela, on en a toujours le temps et l’envie ! – »[20] 

 

LA DISTRIBUTION DES PRIX

 

Un tel tableau d’excellence  méritait d’être récompensé. Le lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen, dont l’équipe pédagogique peut probablement se prévaloir d’être à la pointe du progrès, au moins d’un point de vue gouvernemental sait, comme jadis, récompenser ses élèves méritants. C’est sa façon moderne de renouer avec la tradition : chaque année, le GISO, organise une distribution des prix sous la forme de chèques attribués aux élèves méritants. Le chèque est la forme nouvelle, ambitieuse du livre ; le GISO est le Groupement interentreprises de Saint-Ouen, adhérent du MEDEF. Mais qui sont donc les membres de ce jury ? Les professeurs, évidemment !, qui, en toute indépendance, entendent par élève méritant la préfiguration en plus pubère de ce qu’ils sont : le modèle du professeur-animateur, délateur, corrompu, flexible et servile, aimant l’autre. Il est à l’image de l’employé modèle des entreprises du GISO, déjà l’employé flexible et servile dont le patronat a besoin. La distribution des prix a valeur symbolique[21]. Mais je crains que la valeur symbolique (ce qui sépare pour réunir) de la distribution des prix sous la forme de livres ne soit devenu diabolique (ce qui divise en confondant) lorsqu’elle se négocie au chèque.

 

L’élève méritant est celui qui pense déjà, comme le président du GISO, comme les professeurs de l’équipe pédagogique, que «[…] la réforme de la retraite est absolument nécessaire [et que] ce serait une erreur de penser que tout le monde peut conserver ses avantages sans mettre en danger les générations futures. » Il est déjà « […] opposé au fait que les salariés du public soient plus favorisés que ceux du privé. »[22]  Bouclons la boucle. La réforme de la retraite procède d’une brutale dévalorisation de la force de travail en tant que valeur d’échange comme elle procède d’une brutale dévalorisation du travail comme valeur d’usage. Mais à partir du moment où les professeurs eux-mêmes, en tant que personne ou en tant que corps, sont d’accord pour apprendre aux élèves à faire des crêpes plutôt que de les instruire à la grammaire, à l’arithmétique ou la géométrie, ils acceptent de fait cette double dévalorisation. Et, là encore, le fait précède le droit. L’homme jeune qui apprend à faire des crêpes aux enfants est le grand frère, le septuagénaire qui fait la même chose est le grand-père. Chaque temps, celui du grand frère comme celui du grand-père, transporte ses charmes. Les deux fabricants de crêpes sont socialement utiles à l’éducation des enfants, mais aucun d’eux ne mérite un salaire de professeur chargé de l’instruction des élèves. Le grand circuit de l’argent n’est-il pas passionnant ?

 

Aujourd’hui, tout ce système d’oppression pourrait bien être en train de commencer à craquer. Les professeurs sont dans la rue. Les luttes actuelles des enseignants dirigées sur des questions précises, retraites, décentralisation, ne prendront leur force réelle que si elles posent la question essentielle de ce que l’on entend apprendre à l’école. Parce que, décentralisée ou non, si l’école continue d’organiser le massacre intellectuel des jeunes générations, cette lutte s’isolera dans une sorte de corporatisme sans objet en perdant la part essentielle de sa signification politique. J’ai peur que ce mouvement social soit plus animé par la tête de la passion que par la passion de la tête. Si c’était vrai, ce serait terrible. Vous, les patentés communistes, portez une très lourde responsabilité, parce que usurpez votre nom. Vous en apercevrez-vous, cette fois encore, encore trop tard ?

 

Si, d’ici la fin de l’année scolaire, tu t’avises de lire Le Figaro, Libération, Le Monde ou… le Nouvel Observateur, tu y apprendras qu’en ce moment, dans un certain nombre d’établissements de Saint-Ouen, et même dans toute la France, il y a des enseignants et des personnels de l’Education qui font grève pour défendre leur retraite et leur statut de fonctionnaire. Tu pourras alors te livrer à une de ces magnifiques interviews dont tu as le secret. Poser des questions est un art difficile qui exige autant d’exercice que de patience et de courage. Il faut aussi savoir à qui s’adresser. Qui iras-tu interviewer ? Le commissaire de police ?, l’inspecteur d’Académie ?, le DRH de l’Académie de Créteil ? Après avoir régulièrement assommé les Audoniens de cette perfide propagande consistant à dire que tout va bien à l’école, et notamment au lycée Auguste Blanqui. Mais comment pourras-tu, le cas échéant, expliquer dans le bulletin municipal le sens et le contenu de ces luttes ? Cela risque d’être bien difficile, à moins de montrer que ces luttes, ou bien n’ont aucun sens ou bien n’existent pas ou bien sont le fait d’une petite minorité de gauchistes excités ou bien que …, encore une fois, vous vous êtes complètement gourés sur le… mais sur le quoi ? Chaque congrès du PCF fabrique sa marotte, autrefois c’était la classe ouvrière, puis ce fut le peuple de France, puis le mouvement populaire, puis les gens ; aujourd’hui, c’est le mouvement social. Ah, le mouvement social !, le camarade Hue en avait plein la bouche du mouvement social, surtout lorsqu’il n’y en avait pas. Aujourd’hui, vous en avez un devant le pif, un vrai mouvement social. Et qu’en faites-vous ? Vous lui ôtez toute légitimité par avance.

 

Tu pourras aussi constater que sur Saint-Ouen, le lycée Auguste Blanqui est celui où le nombre de grévistes est le plus bas. Malin comme tu es, comme un journaliste, tu trouveras sans doute bien vite un début d’explication... Comment l’équipe enseignante pourrait-elle lutter contre la décentralisation, puisqu’elle se conduit invariablement comme le ministre, le recteur, le proviseur…, elle et ils se foutent complètement de la loi et notamment de la Constitution consacrant le centralisme de l’Etat français ? Ils nagent dans la décentralisation, ils nagent dans  les bassins d’emplois. Et en plus, ça rapporte, - à quelques-uns beaucoup, marchés, clients, carnets d’adresses… ; à un grand nombre, un peu : promotions, primes, heures supplémentaires… En attendant la dévalorisation. Le grand circuit de l’argent n’est-il pas passionnant ?

 

 

DES RESULTATS A LA MESURE DES « NOUVELLES AMBITIONS »

 

Mais revenons sur le terrain que nous n’avons nullement quitté : celui de l’instruction.

 

Première question : « L’an passé, les résultats de Blanqui au bac sont passés de 57% à 73% de reçus. Pourquoi et quels conseils donner aux élèves cette année ? »

 

On comprend mieux pourquoi Madame le proviseur écrit que les : « […] projets d’établissement soudent l’équipe… ». Les projets, c’est-à-dire, les heures supplémentaires, c’est-à-dire le fric, assurent la soudure. Et je peux t’assurer que, cette année encore, la soudure est assurée. Il y a beaucoup d’argent pour les projets, pour les heures supplémentaires… et de moins en moins pour les postes de professeurs. Cette année, pas moins de vingt projets ambitieux sont proposés aux élèves. Cela doit faire un paquet d’heures supplémentaires !

 

Par exemple, il y a un projet Olympiades de mathématiques. J’ai demandé aux élèves de trois classes terminale d’effectuer une division aussi difficile que 3249 / 47. Pas un n’a su la faire sans… calculette. Aux mêmes, j’ai demandé de calculer 17% de 752. Pas un de sait ce qu’est un pourcentage…

 

Il y a des ateliers d’écriture, voire même de poésie. Mais la plupart des élèves n’ont aucune idée de la grammaire, de l’orthographe… parce qu’on ne leur a, pendant douze années de scolarité, rien appris sinon à ne pas apprendre. Rapportées à leur résultats réels, effectifs, ces nobles actions ne sont-elles pas largement de l’esbroufe ? Au lycée Auguste Blanqui, « Le scandale de l’illettrisme »[23] est tel que même la direction s’en est inquiété au moment des épreuves du bac blanc en publiant une énième note de service aussi salvatrice qu’ahurissante intitulée « Charte minimale d’exigences communes à toutes les disciplines. Pour une meilleure maîtrise de la langue française et, donc, des différents exercices soumis aux élèves. Rappel des décisions[24] prises par l’ensemble des enseignants. Tous les accents doivent être mis : é / è / ê / a≠à / où≠ou.

Respect rigoureux : […] des majuscules en début de phrase ; des points à la fin ; des accords ; des règles de la conjugaison ; des règles de la syntaxe […]. Ne pas tolérer : Les copies mal écrites ; l’emploi des différents effaceurs. [etc.]. 

 

Note salvatrice dont la direction aurait sans doute préféré faire l’économie, tant elle témoigne de l’ampleur des dégâts produits par douze années de scolarité. N’est-ce pas le programme des classes élémentaires ? Mais cette note est aussi ahurissante, tant elle donne l’impression forte que ce sont les professeurs, soit l’équipe pédagogique du lycée Auguste Blanqui, qui ont fabriqué eux-mêmes une grammaire, une syntaxe, des règles d’écriture, une ponctuation à destination des élèves, dernier rejeton du contractualisme. Comme si les règles de grammaire dépendait du bon vouloir des professeurs ! Comme si l’application de ces règles d’orthographe pouvait être soumise au bon vouloir administratif ! La décentralisation administrative semble s’accompagner d’une hypertrophie de l’ego jusque dans les endroits où on l’attendait le moins. Au pays de la décentralisation, la volonté du prince se substitue à l’arbitraire de la langue. 

 

Quelle cohérence pédagogique soutient des projets aussi hétérogènes que Entrer en Europe par une île (La Sardaigne ?!), Prévention MST, SIDA, Atelier de perfectionnement d’anglais, Exposition d’art contemporain, Vidéo Sibérie, Internet, « le regard de l’autre »… Au moins, Semaine en classe de mer à Larmor Baden, Séjour en Irlande… ont l’avantage de l’honnêteté : il s’agit de s’offrir des vacances pendant les périodes scolaires. Et pourtant, le plus récent rapport de la Cour des comptes rappelle : « Les modalités  de l’objectif [contribuer à l’égalité des chances] suppose qu’au niveau local, les gestionnaires de l’école soient en mesure de définir et de préciser ce que signifie la réussite scolaire et sachent mettre en œuvre les actions qui leur paraissent comme les plus pertinentes. » (p. 46).

 

Petits exemples parmi tant d’autres. Pendant un cours, je cite et écris au tableau un fameux passage de La mort de Danton : « […] ce que le pôle tête repousse est attiré par le pôle pied, le milieu c’est un équateur où chacun doit se faire baptiser au sublimé lorsqu’il passe la ligne pour la première fois. ». Je pose la question : « Quelqu’un connaît-il le nom de Georg Büchner ? » Il n’y a pas à s’inquiéter que personne ne le connaisse. Je pose la question suivante : « Quelqu’un connaît-il le nom de Danton ? » Question posée dans trois classes terminale. Je n’ai eu que cette réponse timide : « N’est-ce pas une station de métro ? » Troisième question : « … Mais la Révolution française ? Vous connaissez au moins les grandes dates de la Révolution française ? » J’ai obtenu deux réponses :

a)      « 1685-1714. »

b)      « Mais ça, c’est le programme de collège ! On a tout oublié. C’est pas le programme pour le bac. On l’a appris au collège pour la leçon. La leçon, c’est pour apprendre pour le jour. Après, ça n’a plus d’importance… »

 

Cette réponse vaut son pesant d’or. Je sais que cette élève est intelligente, mais elle a été complètement abrutie par 12 années de scolarité. Elle résiste comme elle peut, mais… Cette élève a 20 ans, l’âge de Büchner lorsqu’il écrivait La mort de Danton ; elle parle comme une petite fille de 5 ans qui commence sa scolarité. Mais, en même temps, elle explique parfaitement la nouvelle ambition de l’école : celle-ci n’organise un apprentissage de masse que pour organiser un contrôle permanent de la jeunesse sous la forme du contrôle continu. Comme l’apprentissage ne consiste qu’en un contrôle de la jeunesse, c’est tout à fait sainement qu’elle oublie tout en même temps, comme pour dire : « Tu ne m’auras pas ! ». Mais le prix à payer est extrêmement lourd : les élèves sont absolument contraints de rester des petits enfants, voire des nourrissons, et sont dans l’impossibilité, et de grandir et d’apprendre. C’est bien ce que dit Madame le proviseur : « […] nous suivons nos lycéens de très près. ». Elle ne dit pas : « Nous suivons le travail des élèves de très près », mais nos lycéens.  C’est tout à fait autre chose. Politiquement, on passe de l’activité d’enseignement à celle, policière, du contrôle des personnes. Psychologiquement, c’est encore autre chose ; avec la protection rapprochée, fonction du garde du corps, on passe du suivi des études à la capture imaginaire  

 

Je pose la question suivante dans trois classes terminale : « Quelles sont les dates de la Deuxième Guerre mondiale ? » Pas un élève n’a pu donner la date d’entrée de la France et de l’Angleterre dans la Deuxième Guerre mondiale. Pas un élève n’a pu donner la date du 8 mai 1945 comme date de la capitulation allemande ! Et pourtant, pour autant que je sache, c’est au programme d’histoire !  J’ai fait allusion au jour de congé du 8 mai : « Mais le 8 mai, c’est-à-dire, il y a cinq jours, vous n’avez pas eu de cours. Est-ce que vous en connaissez la raison ? » Réponse : « Il n’y avait pas cours parce que c’était congé. Maintenant, on ne va pas se demander pourquoi..! »

 

Eh oui, cher camarade, voilà le résultat de ces ambitions nouvelles de l’école : la fabrication en masse de générations de parfaits imbéciles ignorants. Et je suis obligé de vivre ça chaque jour que dieu fait. Je ne peux pas ne pas penser à ma mère qui, enfant, dût fuir l’Italie fasciste et la faim avec ses parents. Elle a été scolarisée trois mois en tout en 1930. Sa calligraphie est parfaite ; certes, son orthographe est très approximative, mais elle est exactement celle des élèves de terminale du lycée Auguste Blanqui qui ont suivi une scolarité de douze années ; certes, elle lit très mal et ne comprend pas grand chose d’intellectuel, mais elle ne lit guère plus mal que les élèves de terminale… Elle ne comprend guère plus. Ma mère est une imbécile, mais elle a une excuse majeure, elle a dû commencer à travailler comme bonne à l’âge de 9 ans. Connais-tu l’histoire des sœurs Papin ? Elle sait aussi les dates de la Révolution française, celles de la Deuxième Guerre mondiale, parce qu’elle ne les a pas apprises à l’école ( ?),  elle sait compter et quelques autres choses encore que ne sait plus faire aucun élève scolarisé depuis 12 années : coudre, tricoter, planter des radis, des pommes de terre... Quelle autre conclusion peut-on tirer, sinon celle-ci : pendant douze années, douze longues années, l’école et ses ambitions nouvelles ont copieusement cassé la gueule des jeunes générations, définitivement, sans retour possible.  Ces élèves font partie des « 73% de reçus au bac ». Ceux-là dont je parle obtiendront aussi le baccalauréat… Cela dit, les élèves, eux aussi, me (nous) suivent de très près. Ils me demandent mon âge, quel sport j’ai pratiqué, si je suis marié, si j’ai des enfants… Ce sont des préoccupations de petits enfants de maternelle. Ils savent aussi combien coûtent mes pantalons, mes chaussures, mes chemises… Ce sont des préoccupations de midinettes ou de beauf ! Je me pose et leur pose souvent cette question : « Mais qu’allez-vous donc raconter à vos enfants ? » Voici le résultat statistique ; voilà le résultat réel.

 

 

DEUX QUESTIONS POLITIQUES

 

Madame le proviseur déclare, sans rire : « Les bons résultats s’expliquent par le travail entrepris par mon prédécesseur et les enseignants. ». Rendre ses collègues et son prédécesseur responsables de ces bons résultats, c’est-à-dire d’une telle catastrophe, est à la fois vrai et faux. Car la cause de cette catastrophe n’est pas tant d’ordre pédagogique que politique. Car la cause de ces bons résultats n’a pas rand chose à voir avec les exploits locaux de l’équipe pédagogique locale ; l’exploit est national.

 

Les élèves n’ont pas oublié les dates et le sens de la Révolution française comme de la Deuxième Guerre mondiale parce que les enseignants sont de bons ou de mauvais enseignants, au sens pédagogique du terme ; mais parce qu’ils ont eux-mêmes politiquement oublié quelque chose d’essentiel. Et s’ils ont oublié cet essentiel, c’est bien parce que la société française l’a oublié et a organisé cet oubli.

 

Les élèves ont oublié les dates de la Révolution française, tout simplement parce que les professeurs, et c’est particulièrement massif au lycée Auguste Blanqui, en ont oublié le sens. Ils ont, non seulement renoncé à défendre les grandes idées et les principes qui l’animaient, mais ils ont reçu l’injonction administrative, ministérielle et gouvernementale, de s’y soustraire. Ils ont obéi sans broncher. C’est l’équipe pédagogique. Ils ont oublié l’article 13 du Préambule de la Constitution de 1946 comme l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, etc. Ils ont oublié qu’ils sont fonctionnaires, et la signification même du titre de fonctionnaire de l’Etat,  et décidé qu’il était préférable de se vendre aux banques pour une poignée de cerises, de faire mumuse avec les élèves en faisant des projets autres que celui d’instruire, ce pour quoi ils sont censés être payés. Alors, ils peuvent toujours causer de la Révolution française aux élèves et leur faire faire des fiches, cela reste lettre morte, la filiation est coupée. Tu peux alors comprendre que, lorsque l’administration du lycée Auguste Blanqui et quelques professeurs zélés, invariablement soutenu par la municipalité de Saint-Ouen, s’avisent d’organiser ce qu’ils appellent, éducation à la citoyenneté, les élèves se fendent franchement la gueule.

 

Les élèves ont oublié les dates de la Deuxième Guerre mondiale parce que… là aussi la raison est d’ordre politique. Je te donne un exemple. Dans le dernier à Saint-Ouen, un article s’intitule « La Résistance à Saint-Ouen, Des rues pour se souvenir », on écrit : « […] le 11 novembre 1943, à l’Alsthom, des cocardes tricolores sont peintes sur  des disques de tôle, tous les ateliers sont pavoisés, les ouvriers arborent des cocardes, débrayent et défilent dans l’usine en chantant La Marseillaise. ».

 

Dans le même numéro de à Saint-Ouen, exactement situé à la page 4 « 3 questions à… Françoise Aumont », le dernier quart de la page présente :

 

Lu dans la presse

  Le Nouvel Observateur, 23 avril 2003

Le personnel d’Alsthom inquiet

 

« A l’appel de l’intersyndicale CGT, CFDT et FO, des salariés d’Alsthom ont entamé mercredi matin une action à l’entrée du site de Saint-Ouen pour dénoncer le projet de suppression de 105 emplois. »

 

Ce faisant, à Saint-Ouen, c’est-à-dire, la municipalité de Saint-Ouen, les communistes de Saint-Ouen… explique à ses lecteurs que, s’agissant de tous les potins concernant les projets  d’animation organisés dans les établissements scolaires de Saint-Ouen, éducation à la citoyenneté, la lutte contre le racisme, la rougeole, les marées noires, les tomates vertes, le SIDA, la lèpre, les sauterelles géantes, le sexisme, le tabagisme, les MST, etc., ils peuvent écrire des pages entières mais que, s’agissant des luttes réelles, des conflits réels qui se passent dans la ville de Saint-Ouen, singulièrement celle, actuelle, d’Alsthom, ils n’ont rien à dire. Et, pis encore, ils n’en connaissent l’existence que par ouï-dire, pour l’avoir appris par la presse. Pourquoi ? Parce que, sur le fond, pour les présumés communistes, les luttes comme les conflits, la résistance, n’ont plus aucun statut politique ou éthique. Comment veux-tu que les jeunes élèves du lycée puissent retenir quelque chose de la Résistance, si aujourd’hui, de tous côtés, on leur enjoint de châtrer en eux, jusqu’à l’idée même de résistance ! Où est le lien de filiation et de continuité entre les résistances « Alsthom 1943 » et « Alsthom 2003 » ? Le bulletin municipal le coupe lui-même. Comment veux-tu que les jeunes fassent un lien historique entre ces deux moments historiques si on leur explique de toutes parts qu’il n’y en a pas ? A quoi bon alors organiser un « Concours de la Résistance »[25] complètement aseptisé aux niveaux national, rectoral et local ? Le cœur de l’affaire est simple : si l’on s’avisait d’expliquer vraiment quelque chose sur la Résistance, alors il faudrait expliquer que la Résistance était, comme toute résistance, une force qui s’opposait à d’autres forces, forces qui devraient à leur tour être identifiés, définies, évaluées… Mais alors, les jeunes pourraient comprendre quelque chose du réel de leur situation actuelle et ils pourraient, éventuellement, agir. Ceci contredit absolument le consensus dominant actuel, une véritable puanteur dont l’objectif est d’empêcher à tout prix les jeunes générations d’accéder à une rationalité politique de leur situation. Que tu apportes ton écot à ce genre d’entreprise politique où le ministère de l’Education nationale sert de machine de propagande, que à Saint-Ouen y apporte, comme la municipalité, son écot, est politiquement plus qu’inquiétant. Où cela mène-t-il ? Cela ressemble étrangement à un suicide politique. Puisque tu es amateur de statistiques et de chiffres officiels, consulte les résultats électoraux, bien réels, du PCF... Mais ce n’est pas le plus grave, loin s’en faut. Plus graves sont ces questions : Comment peut-on témoigner d’un tel mépris pour les jeunes ?  Que va-t-il se passer lorsqu’ils s’en apercevront ?

 

 

Allez, tout cela ne sent pas très bon ! Je retourne écouter quelque chose qui vraiment a de l’allure, la chanson de Bruant… A Saint-Ouen.

 

Salutations communistes.

 

Gilbert Molinier

Professeur de philosophie

 

P.S. : P.S. : Est-ce que tu pourrais intervenir auprès de la municipalité pour que les enseignants de Saint-Ouen reçoivent à Saint-Ouen en même temps que les Audoniens. Pour moi, c’est devenu une lecture indispensable.

 

P.S. : Cette lettre sera affichée, pour information, dans la salle des professeurs, diffusée sur Internet et distribuée à quelques élèves méritants



[1] Il est évident que ce qui se passe au lycée Auguste Blanqui ne peut s’y passer que parce que la même chose se passe en France.

[2] Ceci est si vrai que, lorsque mes amis enseignants veulent savoir ce qui se passera d’ici deux ou trois ans dans leur lycée, ils me demandent de leur expliquer ce qui se passe au lycée Auguste Blanqui. Au moins évitent-ils la surprise.

[3] Clin d’œil en passant.

[4] Ma position n’a pourtant rien à voir avec celle des nommés « défenseurs de l’école républicaine » comme avec celle des « souverainistes ».

[5] Comme tu le sais probablement, ces jeux-concours sont organisés et encouragés au niveau ministériel et rectoral au mépris des lois. Mais aujourd’hui, la légalité républicaine est devenue un cadre beaucoup trop étroit pour les entreprises qui ont décidé de se payer sur la bête dès l’enfance. 

[6] Je te rappelle, qu’à l’époque, tu avais déjà fait l’éloge du précédent proviseur, le maître d’œuvre des réjouissances. Comme tu le savais aussi, celui-ci et son adjointe avaient déposé une plainte en diffamation publique contre moi. Ils ont perdu.

[7] Comme tu le sais aussi, j’ai déposé un recours en annulation de l’organisation du jeu-concours, Les Masters de l’économie auprès du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le 10 mai 2000. Comme l’administration traîne des pieds pour fournir les renseignements financiers concernant le coût de l’opération en heures supplémentaires…, j’ai dû saisir la Chambre régionale des comptes de l’Île-de-France. Evidemment, je tiens tous les courriers à ta disposition pour ton information en vue de la préparation de ton prochain Bulletin municipal. J’en ris d’avance.

[8] M. Gauchet, La démocratie contre elle-même, « Essai de psychologie contemporaine » Paris, Gallimard, Tel, 2002, p. 244-245. « Nous assistons à un déclin saisissant de la dimension du public dans nos sociétés, dont le symptôme le plus patent est la généralisation de la corruption. »

[9] M. Boutih, La France aux français ? Chiche ?, Paris, Mille et une nuits, 2002, p. 22.

[10] Ibid., p. 74.

[11]Ibid., p. 46.

[12] F. Ruffin, « Le Centre de formation des journalistes saisi par l’argent-roi », in Le Monde diplomatique, février 2003.

[13] Ibid..

[14] Ibid..

[15] Ibid..

[16] Ibid..

[17] Ibid..

[18] Le Figaroscope, 14-20 mai 2003, n° 18 277.

[19] J’emploie ce terme au sens léniniste.

[20] F. Nietzsche, Aurore, Paris, Gallimard, Folio, Essais, 1995, p. 150, traduction de Julien Hervier.

[21] Pour ce qu’il en est de la question administrative juridique, je la traite par ailleurs.

[22] Raynald Rimbault, Secrétaire général du Groupement interentreprises de Saint-Ouen, MEDEF, « Une réforme absolument nécessaire », cité in à Saint-Ouen, n° 5, p. 31

[23] Je reprends cette expression du dernier ouvrage du ministre de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche, Luc Ferry, Lettre à tous ceux qui aiment l’école, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 28.

[24] Est-il nécessaire de préciser que l’effet de ces mesures pédagogiques est absolument nul.

[25] Voir E. Conan, H. Rousseau, Vichy, un passé qui ne passe pas, Gallimard, Folio Histoire, Paris, 2001. Notamment le chapitre VI, « Mais que fait le professeur ? ».