Gilbert Molinier
Professeur de philosophie
Lycée Auguste Blanqui
B.P. 196 54, rue Charles Schmidt
93 404 Saint-Ouen Cedex
2, rue Rebeval 75 019 Paris
Tél. : 01 44 52 04 93
Lettre recommandée avec
accusé de réception n° :
Paris, le 14 mars 2003
A Monsieur le Président du Tribunal Administratif
de Cergy-Pontoise
2-4, boulevard de l’Hautil
B.P. 322
95 027 Cergy-Pontoise Cedex
Monsieur le Président,
Monsieur le recteur de
l’Académie de Créteil a récemment adressé aux proviseurs de lycée et lycée
professionnel et, pour information, aux inspecteurs d’académie et inspecteurs
pédagogiques régionaux d’économie une circulaire ayant pour objet le
Jeu-concours Les masters de l’économie organisé par le Crédit industriel
et commercial (Voir pièce jointe n°1). Elle appelle plusieurs remarques :
I M. le recteur écrit:
«Le crédit industriel et commercial organise, cette année encore, un
jeu-concours Les masters de l’économie pour les élèves des lycées.» Il
conviendrait d’écrire: «Le crédit industriel et commercial propose un
jeu concours Les masters de l’économie, dont il transmet à l’administration
de l’Education nationale le soin de l’organiser avec les moyens du service
public alors qu’il n’existe entre aucun lien juridique, organique ou
contractuel, entre cette administration et cette entreprise bancaire. M. le
recteur de l’académie de Créteil peut-il ignorer que les banques ou autres
entreprises ou intérêts privés ne peuvent pas entrer dans un établissement
scolaire sans autorisation de l’administration, sans son autorisation ?
L’administration de l’Education nationale n’a-t-elle pas pouvoir de décision et
de sanction au sein de son ministère ? Toutes les activités inscrites dans le
cadre du projet d’établissement doivent être soumises à l’approbation du
conseil d’administration et à la signature du chef d’établissement. Donc, s’il
était vrai, comme l’écrit M. le recteur que, «Depuis plusieurs années, le
ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche ne s’est
pas montré favorable au déroulement de ce concours.», comment se fait-il qu il
n’ait pas exercé son pouvoir d’interdiction d’entrée ?
II M. le recteur
rappelle qu’ «une enquête diligentée par l’inspection générale, avait soulevé
des approximations, voire des erreurs économiques, concernant notamment le
fonctionnement de la Bourse, susceptibles de brouiller les objectifs
d’acquisition des connaissances que les programmes scolaires ont définis.» («Le
jeu concours de la banque CIC», Inspection générale de l éducation nationale,
Rapporteurs André Giletta, Michel Roger, juillet 2000, n° 2000-027). Or, ce rapport, signé par deux
inspecteurs généraux d’économie, s’il concède que des «aménagements paraissent
toutefois nécessaires», indique que «Les fiches de présentation de ces
entreprises remises aux participants, la fourniture d’une revue de presse
hebdomadaire, le glossaire, les questionnaires à remplir ont un intérêt
pédagogique certain [et] la participation des élèves à ce jeu ne peut que
renforcer leur intérêt pour les enseignements économiques. […] Une interdiction
pure et simple de ce jeu serait donc excessive et injustifiée au regard des
enseignements de l’économie et de la gestion au lycée. Par ailleurs pour les
enseignements non directement liés à l’économie le jeu présente un intérêt
dans la mesure où il peut participer à la formation du citoyen et du
consommateur. (C est moi qui souligne, G.M.)»
III Cette circulaire
conclut ainsi : «Aussi me paraît-il souhaitable que les élèves de l’académie ne
participent pas à ce jeu-concours. Je vous demande en conséquence d’informer
les professeurs concernés de votre établissement de ma position.» Est-ce au nom
de la liberté d initiative que les professeurs d’économie, les proviseurs
peuvent former les élèves à partir d’erreurs économiques et
d’approximations ? Le ministre de l’Education nationale comme le recteur de l
académie de Créteil ne peuvent ignorer que chaque année près de 30000 élèves
participent à ce jeu-concours. Bon an mal an, on compterait plus de 7500
professeurs d économie qui ne s’apercevraient pas des erreurs économiques
contenues dans ce jeu, et alors il conviendrait d’admettre ou qu
ils seraient incompétents, ou bien qu’ils s’apercevraient des erreurs mais
passeraient outre, ce dernier cas constituant un manquement manifeste
particulièrement grave à la déontologie
du corps enseignant et aux exigences réglementaires de dispenser un
enseignement de qualité dans un lieu spécifique de diffusion du savoir.
IV En refusant
d’interdire clairement, le ministre et le recteur reculent devant
leur fonction administrative d’obligation et de sanction au
risque d’altérer le lien hiérarchique essentiel à la bonne administration et,
en organisant le jeu en dépit des erreurs manifestes qu’il contient, les
professeurs manquent à la mission de service public qui leur est statutairement
assigné. La liberté d’appréciation, constitutive du pouvoir discrétionnaire
reconnu à l’administration semble ici s'altérer en pouvoir arbitraire dont
votre juridiction a souvent sanctionné les conséquences négatives.
V A s’en tenir au
cadre d’une stricte critique
d’ordre pédagogique, M. le recteur reste encore très en-deçà des critiques que
j’ai formulées par écrit en avril 2000. Mais ce n’est pas tout. M. le ministre
de l’Education nationale comme M. le recteur de l’académie de Créteil ne
peuvent ignorer qu’un recours en annulation de l’organisation de ce jeu à
l’initiative du chef d’établissement du lycée Auguste Blanqui de
Saint-Ouen a été déposé en mai 2000 auprès du tribunal administratif de
Cergy-Pontoise par un professeur de philosophie (requête n° 0007594-4 M.
Gilbert Molinier c/M. le proviseur du lycée Auguste Blanqui). Or, dans un
mémoire en défense transmis par Monsieur le recteur de la même Académie au
tribunal, celui-ci déclare «s’associer pleinement aux écritures produites par
le chef d’établissement du lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen». Donc, d’un
côté, le recteur ne souhaite pas que les élèves participent à ce jeu-concours,
mais il soutient de l’autre les chefs
d’établissement qui l’organisent : faut-il déduire qu’il souhaiterait, au fond,
que les chefs d’établissement soient en fait seuls à concourir ?
Dans Réussir
l’école, à propos de l’autonomie des établissements, Claude Thélot
et Philippe Joutard écrivent: «On ne peut en effet laisser cette autonomie
croissante, qui est souhaitée, se déployer dans le vide, sans aucun cadre ni
soutien [et] le manque de cadre et d’outils laisse les acteurs désemparés. Il
ne s agit pas de mettre un carcan étouffant les initiatives, mais au contraire
de les étayer et de les susciter dans un espace stable et clair.»
(C. Thélot, P. Joutard, Réussir l’école,
Editions du Seuil, 1999, p. 254-255).
VI Mais il y a plus
grave encore. Il appartient aux
pouvoirs comme aux devoirs de M. le ministre de l’Education nationale ou de M.
le recteur de l’académie de Créteil de rappeler que ce jeu-concours contrevient
aux principes constitutionnels de laïcité et de neutralité commerciale de
l’école. Celle-ci ne trace-t-elle pas le cadre juridique dans lequel
devraient s’inscrire toutes les activités scolaires ?
VII De la même façon,
il appartient aux prérogatives du recteur de l’académie de Créteil de contrôler
les dépenses supportées par les établissements scolaires organisant cette activité
illégale (heures supplémentaires, utilisation des locaux, communication
Internet, etc.). M. le recteur de l’académie de Créteil ne peut pourtant pas
ignorer qu’un premier recours a été
déposé en mars 2003 auprès du tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour
faire la clarté sur la comptabilité liée à l’organisation de ce jeu par le
proviseur du lycée Auguste Blanqui (requête n° 013017117 903400, M. Gilbert
Molinier c/ M. le proviseur du lycée Auguste Blanqui), et surtout qu’un
deuxième recours a été déposé contre M. le recteur de l’Académie de Créteil
pour la même raison (requête n° 0400691-2, M. Molinier Gilbert c./ M. le
Recteur de l Académie de Créteil).
C’est pourquoi je
persiste dans toutes les écritures que j ai présentées devant votre tribunal.
Gilbert
Molinier