La pub exclue de l'école? - L'Express du 04/10/2004 (n°2779)

Eric Conan

 

 

       Elle pénètre de plus en plus les établissements. L'interdiction d'un jeu organisé par une banque prend valeur de rappel à l'ordre.

       La décision date de cet été, mais le ministère de l'Education ne lui a guère donné d'écho: le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déclaré «illégal» le jeu-concours Les Masters de l'économie que le Crédit industriel et commercial organisait dans de nombreux établissements scolaires.

    La motivation principale de ce «jeu d'initiation à la Bourse», auquel participaient plusieurs milliers d'enseignants, relevait d'une habile «approche clientèle», comme on dit au CIC, qui se constituait ainsi à peu de frais un fichier de futurs clients éventuels. Le juge administratif a estimé que «ce jeu, qui avait clairement des objectifs publicitaires et commerciaux pour la banque organisatrice, tombait sous le coup de la prohibition des initiatives de nature publicitaire, commerciale, politique ou confessionnelle» et qu'il  contrevenait «au principe de neutralité de l'école».

  Ce jugement est d'autant plus gênant qu'il résulte de l'initiative d'un professeur de philosophie, Gilbert Molinier, qui, après s'être élevé en vain contre l'organisation de ce concours au lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen, a saisi le juge administratif. Et ce rappel à l'ordre souligne la complicité de nombreux responsables éducatifs, recteurs, proviseurs et même syndicats enseignants ayant laissé faire, acceptant que la présentation du concours ait lieu durant les heures d'enseignement. Le contexte de ces dernières années explique ce manque de vigilance: les initiatives publicitaires croissantes des marques lorgnant sur les populations lycéennes avaient été encouragées par une circulaire de mars 2001, ébréchant pour la première fois l'interdiction de la publicité à l'école en vigueur depuis 1936.

    Seuls quelques fonctionnaires ont résisté. Bernard Saint-Girons, recteur de l'académie de Créteil, a ainsi demandé aux chefs d'établissement, en février dernier, par une circulaire, de ne pas participer au concours du CIC, notant qu' «une enquête diligentée par l'inspection générale avait relevé des approximations, voire des erreurs économiques, concernant notamment le fonctionnement de la Bourse, susceptibles de brouiller les objectifs d'acquisition des connaissances que les programmes scolaires ont définis». Ce qui n'a pas empêché plusieurs milliers de pédagogues de soumettre à cette bouillie publicitaire des dizaines de milliers d'élèves.