ARTICLE PARU DANS REGARDS OCTOBRE 2000
ECOLE
LES MARCHANDS
DANS LA CLASSE ?
Depuis Seattle, la formule fait florès : le
monde n’est pas une marchandise. Mais l’école ? Pour s’en être inquiété,
Gilbert Molinier[1] professeur
de philosophie au lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen, se retrouve pris dans
une salle histoire juridico-professionnelle. En avril, l’enseignant conteste le
bien-fondé pédagogique de l’inscription de son lycée au « jeu-concours des
masters de l’économie » organisé par la banque CIC. Ce jeu a pour but
« d’initier les jeunes lycéens aux
marchés financiers et à la Bourse par la création d’un portefeuille fictif
d’actions dont ils suivent l’évolution. Au bout d’un certain temps, le club qui
a fait la meilleure performance gagne un voyage à New-York » dit Mme
Esclavard, sous-directrice de l’agence de Saint-Ouen. Cinq élèves par club,
encadrés par un parrain, qui peut éventuellement être un professeur.
Le courrier qu’adresse Gilbert Molinier au proviseur
provoque la colère de ce dernier qui porte plainte pour diffamation, entraînant
la diffusion d’une pétition « pour
la défense de Gilbert Molinier et du principe de laïcité dans l’école publique. »[2]
Est6ce le rôle d’un lycée public que d’organiser, avec une banque privée, un
jeu dont l’objet est de devenir le meilleur boursicoteur ? Est-ce à
travers ces initiatives que l’Ecole espère recoller à la modernité ?
Pour
appuyer ses protestations, Gilbert Molinier cite notamment une directive
ministérielle publiée dans le B.O. de l’Education nationale en septembre
1999 : « […] afin de garantir le respect du principe de neutralité de
l’école […], il ne sera pas donné suite aux sollicitations émanant du secteur
privé, dont les visées ont généralement un caractère publicitaire ou
commercial. » Ce que confirme Mme Esclavard : « Nous sommes une entreprise et il est évident
que l’un de nos objectifs en organisant ce jeu est de nous faire connaître par
les jeunes. C’est clair, nous cherchons de la clientèle, même si nous pensons
qu’il y a un intérêt pédagogique pour les élèves. »
Cette
franchise n’aurait pas suffi à décourager le Rectorat qui, selon Mme Esclavard,
a donné « l’autorisation d’entrer en
contact avec les lycées. » Le Rectorat n’a, à ce sujet, « aucun
commentaire à faire », si ce n’est que ce type de décision relève
« de l’autonomie des établissements » . Si l’Education nationale
semble bien empêtrée dans ses contradictions, le CIC est plutôt content de
cette nouvelle forme de partenariat. Mme Esclavard : « On ne s’est pas acharné mais on a eu quelques
ouvertures de compte, bien sûr… »
Emmanuel Riondé.