Gilbert Molinier

Professeur de philosophie

Adresse administrative :

Lycée Auguste Blanqui

B.P. 196 54, rue Charles Schmidt

93 404 Saint-Ouen Cedex

Adresse personnelle :

2, rue Rebeval 75 019 Paris

Tél. : 01 44 52 04 93

 

LRAR : 5512 2268 5 FR

Paris, le 17 octobre 2003

 

Monsieur le ministre de la Jeunesse,

de l’Education nationale et de la Recherche

Monsieur Luc Ferry

Monsieur le ministre Délégué à

l’Enseignement scolaire

Monsieur Xavier Darcos

 

OBJET :

Refus de communication de documents administratifs et

Grand débat sur l’école

 

 

Monsieur le ministre, Monsieur le ministre délégué,

 

J’ai l’honneur de vous soumettre le problème suivant.

 

J’ai adressé un courrier à Madame le proviseur du lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen le 23 mai 2003 (Voir copie jointe n° 1 ; LRAR n° 1289 3321 2FR) afin d’obtenir communication de documents administratifs. Comme elle y a opposé un refus implicite, j’ai dû demander l’intervention de la CADA. Celle-ci a rendu un avis favorable le 20 août 2003 sous la signature de Madame Sophie Boissard, Maître des requêtes au Conseil d’Etat, Commissaire du gouvernement (Voir copie jointe n° 2). J’ai alors adressé un deuxième courrier, lettre simple, à Monsieur le proviseur (Voir copie jointe n°3). Cet avis est resté sans réponse. Et pourtant, mes questions ne faisaient qu’anticiper la décision que vous aviez prise d’organiser un Grand débat public sur l’enseignement avec tous les acteurs de terrain. En l’espèce, ma question porte sur quatre points :

a)       la façon toute singulière dont l’administration de cet établissement envisage la « modernisation des sanctions » (Voir Lettre ouverte à tous ceux qui aiment l’école, p. 91). Si bien que j’ai dû déposer un nouveau recours auprès du Tribunal administratif (Voir copie jointe n°4).

b)      La lecture tout à fait personnelle que le chef d’établissement fait du Code de l’éducation, notamment en ce qui concerne son rôle défini par la loi comme organe d’exécution (Voir Décret 85-924 section I-2, article 8, Code de l’éducation…). Tout se passe comme s’il s’érigeait en instance législative, exécutive et judiciaire. La conséquence arrive immanquablement d’une certaine désorganisation interne dans laquelle les élèves ne peuvent se retrouver en tant que tels. Alors, d’un côté, de risibles manigances tiennent lieu de bonne administration et, d’un autre, de sombres nuages s’accumulent. Dans tous les cas, les élèves et l’enseignement en font les frais.

c)       L’illégalité constante des décisions prises en matière de contrat de partenariat avec des entreprises, notamment bancaires, dites acteurs économiques. Il apparaît ici trop clairement que « les valeurs républicaines [sont] de simples mots vides de sens dans l’école de la République. » (Voir Lettre ouverte…, p.139).

d)      L’extravagante conception que l’administration de cet établissement développe de l’instruction et de l’éducation. Non contente de faire jouer de jeunes élèves à la bourse (Masters de l’économie - CIC) aux frais du budget de l’Education nationale, c’est-à-dire en gaspillant l’argent public, elle pactise avec une banque sans même informer le conseil d’administration en lui livrant les élèves comme clients. Il y a là, me semble-t-il, une complète perversion des directives ministérielles : « la culture scolaire peut et doit être passionnante, mais sa finalité première n'est pas de divertir. Il y a bien d'autres lieux pour cela. » (L. Ferry, « Réhabiliter le travail, à l’école aussi », in Le Monde, 14 octobre 2003). Donner des chèques aux élèves dits méritants sous condition qu’ils deviennent clients de la banque, n’est-ce pas une étrange façon de « reconnaître le mérite » (Lettre ouverte, p. 140) de jeunes élèves mineurs ? Voudrait-on manifester un doucereux mépris pour les jeunes, s’y prendrait-on autrement ?

 

Jusqu’ici, il est très difficile d’obtenir des documents administratifs communicables de plein droit aux personnels de l’établissement sans être contraint d’encombrer inutilement les tribunaux administratifs. Le souci de tout ministère consiste à se dégager des lourdeurs administratives ; en l’occurrence, tout se passe comme si l’administration paralysait l’administration. On sait que plus de 80% des avis de la CADA sont honorés mais il semble que l’administration du lycée Auguste Blanqui considère ses avis, sinon avec désinvolture, du moins avec légèreté. Et pourtant, les procès-verbaux des séances du conseil d’administration ne manquent pas une occasion d’en appeler au respect des règlements, au respect de la loi, comme ils s’enorgueillissent de mener une politique vigoureuse d’éducation à la citoyenneté. Tout cela ne vaut-il qu’à titre de page d’écriture ? Tout cela ne vaut-il que pour les élèves ?

 

En même temps, au lycée Auguste Blanqui, une bonne part des décisions administratives sont prises dans la plus grande confusion comme le plus pur arbitraire, au mépris de la Constitution, du Code de l’Education, des règlements et circulaires en vigueur (ignorance du rôle des élus du personnel, du conseil d’administration…). On atteint alors des sommets lorsque même les avis de la très respectée Commission d’Accès aux Documents Administratifs comptant dans ses rangs des signatures aussi prestigieuses que celles de Madame Michèle Puybasset, présidente, membre du Conseil d’Etat, Monsieur Philippe Limouzin-Lamothe, membre de la Cour des comptes, Monsieur Jean-Pierre Dintilhac, membre de la Cour de cassation, monsieur Jérôme Goldenberg, représentant du Premier ministre, monsieur Antoine Prost, professeur de l’enseignement supérieur, sont tout simplement ignorés.

 

D’autre part, les ministères se succèdent et, quelle que soit leur obédience, se réfèrent à la vérité (sic), la cohérence pédagogique, la transparence administrative, au respect des lois…

 

Par exemple, inaugurant une grande campagne publicitaire intitulée « Le respect, ça change l’école ! », Monsieur Jack Lang, alors ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et de la Recherche déclarait le 09 octobre 2001: « Il s’agit là du respect de la loi et des règles. La pire violence que nous pourrions exercer sur la jeunesse serait de lui faire croire que les lois et les règles sont optionnelles. Nous avons tous des devoirs et des obligations. (C’est moi qui souligne, G.M.) Cela doit s’apprendre dès le plus jeune âge. »

 

Lors de la remise de la Légion d’Honneur à Monsieur le recteur Bernard Saint-Girons, aujourd’hui recteur de l’Académie de Créteil, Monsieur Claude Allègre, ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et de la Recherche déclarait le 27 octobre 1999: « Parcourir l’ensemble des titres de vos publications permet bien sûr de découvrir votre souci constant de l’amélioration du service public et votre volonté qu’élèves, parents et personnels aient la garantie que leur soient appliquées, ici comme ailleurs, les lois de la République (C’est moi qui souligne, G.M.) et que le rôle de l’Etat soit clairement défini. »

 

Le 1er septembre, présentant Le débat national sur l’avenir de l’école, vous-même, Monsieur le ministre, Monsieur le ministre délégué déclariez que « … le projet dont notre pays a besoin pour son école ne saurait s’élaborer sans faire appel à l’ensemble de ceux qui œuvrent au service de l’Education nationale. ». Ce à quoi nous souscrivons volontiers pour peu que les ainsi nommés acteurs de terrain reçoivent les informations nécessaires qui leur permettent de former un jugement.

 

Il se trouve que la « première phase de large débat national […] qui pourrait se dérouler de la rentrée 2003 au printemps 2004 […] devra […] établir un ‘état de l’école’, puis clarifier les enjeux… ». Parmi les principaux thèmes retenus figurent : « les valeurs de la république et la laïcité, les finalités de l’éducation, l’établissement scolaire de demain », autant de questions posées dans mes différents courriers.

 

J’ai donc l’honneur de vous demander de bien vouloir intervenir auprès de Monsieur le proviseur du lycée Auguste Blanqui

a)      afin qu’il consacre moins de temps au « cas Molinier », dans l’intérêt de tous et m’envoie les copies de tous les documents administratifs que je peux recevoir de plein droit ;

b)      afin que, dans l’intérêt des élèves, il soit respectueux des lois dont il est ni l’auteur ni le juge, mais l’organe exécutif. Si, dans le même temps, vous pouviez lui demander de considérer l’élève, non pas comme « un gosse » pour reprendre son expression favorite, mais « d’abord [comme] un élève » (Lettre ouverte…, p. 46), chacun d’eux pourrait trouver une place adéquate à son âge et son statut juridique ;

c)      afin qu’il cesse de manigancer contre un professeur qui essaie d’exercer son métier, tout le monde y gagnerait, et d’abord les élèves. Je retiens cette phrase de votre livre, celle où vous écrivez qu’il « faut rappeler avec force que l’école est avant tout un lieu de travail » (Lettre ouverte, p. 140). Elle devra alors, me semble-t-il, cesser d’être un lieu d’expérimentation pour amateur débile de management scolaire.

 

Veuillez agréer, Monsieur le ministre, Monsieur le ministre délégué, l’expression de mes sentiments laïques.

 

Gilbert Molinier

Professeur de philosophie

 

P.S. : Une copie de ce courrier sera adressée à Monsieur le proviseur et affichée dans la salle des professeurs pour information ainsi qu’à Monsieur le directeur de la DPE, Monsieur Claude Thélot à titre de contribution au Grand débat sur l’école. Le cas échéant, votre réponse sera affichée au même endroit le jour même de sa réception.