Gilbert Molinier

Professeur de philosophie

Lycée Auguste Blanqui

B.P. 196 54, rue Charles Schmidt

93 404 Saint-Ouen Cedex

 

Adresse personnelle

2, rue Rebeval 75 019 Paris

Tél. : 01 44 52 04 93

 

 

Dossier N° : 0300992-4

 

Lettre recommandée avec

accusé de réception n° :

1289 3341 6FR

 

Paris, le 05 juillet 2003

 

A Monsieur le Président du Tribunal Administratif

de Cergy-Pontoise

2-4, boulevard de l’Hautil

B.P. 322

95 027 Cergy-Pontoise Cedex

 

 

 

 

 

REPONSE AU MEMOIRE EN DEFENSE DE MONSIEUR LE RECTEUR DE L’ACADEMIE DE CRETEIL

 

 

 

Monsieur le Président,

 

J’ai bien reçu le mémoire en défense de Monsieur le recteur de l’Académie de Créteil. Toute son argumentation repose sur un usage élastique du terme considérant qu’il n’utilise jamais dans son sens juridique d’attendu mais comme participe présent dans son sens courant d’appréciation. Celui-ci appelle les observations suivantes :

 

 

Pour échapper à son obligation de m’accorder le bénéfice de l’alinéa 4 de l’article 11 de la loi n° 866 634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, Monsieur le recteur considère que j’ai été poursuivi à l’occasion de faits présentant le caractère d’une faute personnelle. Il se garde toutefois de préciser en quoi ce caractère serait, si l’on peut dire, caractérisé. A la rigueur laisse-t-il percer un indice quand il cite un court passage des conclusions de Laferrière, commissaire du gouvernement devant le Tribunal des conflits, le 5 mai 1877, selon qui « les fautes personnelles se détachent intellectuellement des fonctions exercées en raison de leur particulière gravité (C’est moi qui souligne, G.M.), qui révèlent le comportement personnalisé d’un homme. »

 

Monsieur le recteur considère qu’il s’agit là d’« un principe qui reste d’actualité ». Non sans raison : mais on doit alors regretter sa réticence ou sa négligence – sa haute autorité ne pouvant bénéficier d’une présomption d’ignorance – à réactualiser pleinement ce principe en référence à l’arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat rendu le 12 avril 2002 relativement à Monsieur Maurice Papon (requête n° 238 689).

 

Dans cet arrêt, dont l’un des visas mentionne l’article 11 de la loi précitée dans mon cas, le Conseil d’Etat retient, pour caractériser l’existence d’une faute personnelle à l’encontre de Monsieur Maurice Papon, « un comportement qui […] revêt, eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, un caractère inexcusable et constitue par là même une faute personnelle (C’est moi qui souligne, G.M.) détachable de l’exercice des fonctions. »

 

Nous restons donc dans la tradition de Laferrière. Ainsi que l’ont remarqué quelques commentateurs, par exemple M. Emmanuel Aubin dans les Petites affiches du 28 mai 2002, un des mérites de cet arrêt est de contribuer à une définition toujours plus précise de la personnalisation de la faute administrative. Il apparaît clairement que cette personnalisation est inséparable de la « particulière gravité », de la « gravité exceptionnelle ». Autrement dit, là où il n’y a pas « exceptionnelle gravité », il n’y a pas faute personnelle.

 

Or, on ne saurait raisonnablement soutenir que la prétendue faute personnelle qu’en dépit de la chose jugée au pénal, Monsieur le recteur s’obstine à m’imputer, présenterait le caractère de gravité exceptionnelle qui ne la distinguerait pas, mutatis mutandis, de la faute personnelle de Monsieur Papon établie par le Conseil d’Etat.

 

A la rigueur, en admettant que, pour rejeter ma demande du 03 avril 2000, Monsieur le recteur se soit autorisé de la jurisprudence Laferrière, vieille de plus d’un siècle (mais Laferrière s’exprimait en qualité de commissaire du gouvernement et non de juge administratif), a fortiori devait-il se sentir lié, alors que je formulais ma demande du 10 octobre 2002, par l’arrêt Papon du 12 avril 2002. Ayant autorité de la chose jugée, sa caractérisation de la faute personnelle est manifestement inassimilable à la faute que m’impute Monsieur le recteur.

 

Indépendamment du prétendu caractère personnel, on peut aussi bien se demander sur quoi se fonde Monsieur le recteur pour parler aussi péremptoirement de faute. Il semble qu’il s’agirait de faute disciplinaire. Or, curieusement le mot n’apparaît pas une seule fois dans son mémoire. Monsieur le recteur écrit, mais pas plus, que « les faits commis par monsieur Molinier sont qualifiables de faute personnelle. » Il aurait pu ajouter, selon une formule consacrée : « susceptible de mettre en jeu la responsabilité disciplinaire. ». Cette précision s’imposait au nom du parallélisme de procédure telle qu’engagée avec son entier soutien par ses subordonnés directs, Monsieur Gérard Stassinet et Madame Catherine Guichet, pour qui les « faits commis » à leur égard étaient qualifiables de faute personnelle susceptible de mettre en jeu ma responsabilité pénale.

 

Monsieur le recteur aurait donc dû se sentir lié par le parallélisme entre faute disciplinaire et infraction pénale, me poursuivre sur le plan disciplinaire cependant que ses subordonnés directs me poursuivaient sur le plan pénal. Or, il ne l’a pas fait, bien que je l’en ai maintes fois prié. Et, s’il ne l’a pas fait, c’est pour des raisons qui relèvent de sa seule appréciation et sur lesquelles, dans l’attente de précisions qu’il voudra bien apporter à votre tribunal, on peut formuler deux hypothèses : soit il considérait que, en réalité, je n’avais commis aucune faute –mais c’est ce que cherche à démentir tout son mémoire -, soit il avait parié pour une économie de procédure, ma condamnation au pénal suffisant pour avoir des conséquences d’ordre disciplinaires automatiques.

 

Cette condamnation lui semblait si manifestement acquise qu’en dépit de ma relaxe, Monsieur le recteur s’obstine à présenter « les faits commis par Monsieur Molinier » comme s’ils avaient le caractère délictuel que leur imputaient ses subordonnés directs, en pleine erreur manifeste d’appréciation sur leur honneur et leur considération de fonctionnaires. Ainsi se permet-il d’écrire (page 1, alinéa 5 de son mémoire) que Monsieur Molinier « a également tenu des propos mettant gravement en cause l’honneur des responsables de l’établissement, ainsi que des professeurs participant au concours. », alors que l’autorité de la chose jugée au pénal l’oblige à écrire : « il a également tenu des propos dont il est avéré par le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bobigny en date du 30 janvier 2002 qu’ils n’ont aucunement mis en cause l’honneur des chefs d’établissement. ». Il écrit également (page 3, alinéa 9 de son mémoire), « Les termes des deux courriers adressés aux responsables de l’établissement laissent apparaître une volonté de nuire » Or, je rappelle que la volonté de nuire est l’un des quatre éléments constitutifs du délit de diffamation dont j’ai été relaxé et déclaré non coupable et que l’autorité de la chose jugée interdit qu’on puisse encore me l’imputer. Monsieur le recteur a donc l’obligation d’écrire : « Conformément au jugement du Tribunal de Grande Instance de Bobigny du 30 janvier 2002, les termes des deux courriers adressés par Monsieur Molinier aux responsables de l’établissement ne laissent apparaître aucune volonté de nuire » ou bien : « Si les termes des deux courriers adressés par Monsieur Molinier aux responsables de l’établissement leur ont laissé apparaître une volonté de nuire, c’est l’effet d’une stricte erreur d’appréciation de leur part, à laquelle je ne saurais m’associer puisque le jugement a estimé que cette volonté n’existait pas. »

 

Les termes employés par Monsieur le recteur, qui contreviennent si manifestement à l’autorité de la chose jugée au pénal, offensent implicitement l’autorité judiciaire qui a rendu ce jugement. Par égard pour cette autorité judiciaire, autant que pour la fonction rectorale (indépendante de la personne), je sollicite de votre tribunal qu’il les fasse disparaître du mémoire de Monsieur le recteur.

 

En refusant de se sentir lié par le parallélisme faute disciplinaire / faute pénale, procédure disciplinaire / procédure pénale, parallélisme qui me semble ici s’imposer dès lors que Monsieur le recteur parle de faute, il apparaît que ce dernier n’avait en tête qu’une notion confuse de la faute, confusion augmentée par l’absence de définition légale claire de la faute disciplinaire, à quelques exceptions près dans lesquelles il est impossible de ranger mon cas (cf. Jean-Marie Auby et Robert Ducos Ader, Droit administratif). Il faut alors rendre hommage à son souci de rigueur intellectuelle qui l’a placé en attente d’une décision judiciaire qui apporterait à cette confusion la clarté nécessaire. Toutefois, son mémoire laisse apparaître une défaillance manifeste de cette rigueur, puisqu’il maintient, en dépit de la chose jugée, qu’il y aurait encore et toujours faute de ma part, et même faute personnelle.

 

Enfin, il ne faut pas omettre que Monsieur le recteur s’appuierait sur un caractère très particulier de la faute disciplinaire : son imprescriptibilité. Sa rigueur intellectuelle, apparemment défaillante, en serait au contraire renforcée. Encore faudrait-il qu’il engage à mon encontre une procédure disciplinaire. A défaut de prouver ma faute par un dommage caractérisé –je rappelle qu’il n’y en a absolument aucun -, Monsieur le recteur pourrait tenter de l’établir par une procédure caractéristique : la forme, pour ainsi dire, créerait peut-être le fait, voire constituerait à elle seule un fait. L’imprescriptibilité rend cette procédure possible. Je laisse à l’appréciation de Monsieur le recteur de me lier d’une certaine façon au cas Papon.

 

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

 

 

Gilbert Molinier

 

 

P.S. : Monsieur le recteur écrit que « le requérant m’a demandé de […] lui payer 3410 euros de frais de procédure et 2241, 45 euros de dommages et intérêts. » Dans le courrier que j’ai adressé à Monsieur le recteur le 10 octobre, je lui ai demandé de me rembourser tous les frais de justice que j’ai engagés soit 5641,47 euros, plus les intérêts conformément à la circulaire B 2B 140 du 24 octobre 1980, émanant du Ministre du Budget (B.O. n° 44 du 11 décembre 1980) et en application du jugement rendu le 16 octobre 1981 par le Tribunal Administratif de Paris (Affaire Luccioni). »