Monsieur Gilbert Molinier

 

Adresse administrative :

Lycée Auguste Blanqui B.P. 196

54, rue Charles Schmidt

93 Saint-Ouen Cedex             

 

Adresse personnelle :

2, rue Rebeval 75 019 Paris

Tél. : 01 44 52 04 93

e-mail : moliniergilbert@noos.fr

 

LRAR : 0622 5519 5FR

 

 

 

Paris, le 08 septembre 2004

 

A Monsieur le président de la

cour administrative d’appel de Paris

68, rue François Miron 75004 Paris

 

 

 

Monsieur le président,

 

J’ai l’honneur d’interjeter appel du jugement rendu le 07 juillet 2004, notifié le 12 juillet 2004 par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise relativement à la requête n° 0300992 en excès de pouvoir, enregistrée le 26 février 2003, par laquelle je demandais l’annulation du rejet implicite par M. le recteur de l’académie de Créteil de m’accorder la protection statutaire garantie par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut de la fonction publique, cette protection étant constituée en l’espèce par le remboursement des frais de justice illicitement suscités par le procès en diffamation engagé à mon encontre et perdu par M. Gérard Stassinet, proviseur du lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen, et Mme Catherine Guichet, proviseur-adjoint.

 

Le jugement ci-joint (Pièce jointe n° I) fait apparaître que le tribunal administratif a lié la requête présentement en appel à deux autres :

 

a)      La requête n° 0007594-4 en excès de pouvoir, enregistrée le 15 mai 2000, relativement à la décision prise par M. le proviseur du lycée Auguste Blanqui d’autoriser le groupe bancaire CIC à organiser dans l’enceinte du lycée un jeu-concours dit Les Masters de l’économie.

b)      La requête n° 0400327 pour excès de pouvoir, enregistrée le 18 mars 2003, relativement au refus de communication, par le successeur de M. Stassinet, de documents administratifs liés à l’organisation de ce jeu.

 

La discussion sur le rejet de la requête ici en litige est donc liée aux décisions du tribunal administratif relativement aux deux autres requêtes. Le tribunal ne les a d’ailleurs pas considérées dans l’ordre chronologique de leur enregistrement, sans quoi la requête ici en appel, du 26 février 2003, aurait dû être visée sous la référence 2°/, avant la requête du 18 mars 2003, et non en 3°/, mais dans l’ordre logique de son raisonnement juridique.

 

Pour rejeter la requête ici en appel, le tribunal administratif argue de trois faits relatifs à deux lettres écrites les 3 et 24 avril 2000 dont je suis l’auteur :

 

a)      celles-ci contiendraient « des termes qui peuvent être regardés comme injustifiés au regard des pratiques administratives normales et qui révèlent une certaine animosité contre les intéressés [M. Stassinet et Mme Guichet]. » 

b)      « ces deux lettres ont […] été affichées dans la salle des professeurs dudit lycée… »

c)      « ces deux lettres […] ont été largement diffusées sur Internet par leur auteur en vue de susciter la signature d’une pétition en sa faveur. »

 

Ces trois faits revêtent, selon lui, le caractère d’une faute personnelle détachable du service et, sur le fondement de cette faute personnelle qu’il estime caractérisée, rejette ma demande.

 

DISCUSSION

 

I De ces trois faits, le premier présente un caractère subjectif dont le tribunal administratif semble manifestement convenir. En effet, il n’écrit pas des termes litigieux, que d’ailleurs, il ne précise pas, mais en lesquels il prétend cependant voir ensuite un élément de faute personnelle, qu’ils doivent être regardés comme injustifiés… ou qu’ils sont regardés selon une jurisprudence constante comme injustifiés, ou bien qu’ils sont injustifiables, ou bien encore qu’ils sont manifestement injustifiés...

 

En écrivant qu’ils peuvent être regardés comme injustifiés, le tribunal exprime une réelle incertitude, une évidente hésitation plutôt qu’une souveraine et irréfutable appréciation des juges. Cette incertitude comme cette hésitation sont liées au raisonnement par lequel le tribunal vient de censurer, d’une part, explicitement (requête n° 007594), d’autre part, implicitement (requête n° 0400327), les pratiques administratives objectivement anormales de M. le proviseur du lycée Auguste Blanqui, M. Stassinet.

 

Le jugement relatif à la requête n° 0074594 établit en effet qu’il est contraire aux pratiques administratives normales :

a)      d’autoriser « ce jeu qui avait clairement des objectifs publicitaires et commerciaux. »

b)      d’enfreindre les prescriptions du « règlement intérieur de l’établissement » qu’on s’est donné et qu’on est chargé de faire appliquer

c)      d’enfreindre le « principe [constitutionnel] de neutralité de l’école. »

d)      d’enfreindre les « nombreuses circulaires et notes de service émanant du ministre de l’éducation nationale. »

e)      d’enfreindre l’article L.421-4 (Code de l’éducation) relatif aux compétences exclusives du conseil d’administration.

 

Si le jugement relatif à la requête n° 0400327 rappelle qu’il n’y a pas « obligation de mettre à la charge de l’administration d’élaborer des documents qui n’existent pas », il ne dit pas que l’inexistence de tels documents en relation avec une pratique administrative objectivement anormale qu’il vient de censurer relèverait d’une pratique administrative qui serait anormale. Et pourtant, elle est tout à fait anormale, au moins en regard de l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, à valeur constitutionnelle, selon lequel « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. ». En conséquence, tout agent public a le devoir d’établir et de conserver tout document attestant sa gestion. Ce n’est manifestement pas le cas de M. Stassinet qui n’a laissé à son  successeur aucun des documents litigieux que je demandais.

 

Votre juridiction voudra bien considérer que si les termes qui me sont reprochés sans être précisés « peuvent être regardés comme injustifiés au regard des pratiques administratives normales », et, en cette occurrence, le des implique les pratiques en général, ils peuvent aussi être regardés comme justifiés au regard de pratiques manifestement anormales, le de impliquant des pratiques particulières, singulières, telles celles censurées en première instance. Pour exposer plus précisément ces dernières remarques : les pratiques administratives anormales de M. Stassinet altèrent sérieusement le lien hiérarchique et dénaturent le devoir de déférence par leur caractère provocateur.

 

En outre, le tribunal administratif considère que les termes incriminés mais non précisés « révèlent une certaine animosité ». Il convient ici de rappeler que, par jugement définitif, j’ai été relaxé et déclaré non coupable du chef de diffamation relativement aux deux lettres qui continuent à m’être reprochées par M. le recteur, contrairement à l’autorité de la chose jugée (Pièce jointe n° II). Or, « les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec l’intention de nuire. » (Chambre criminelle, 09 novembre 1985). Dès lors qu’il y a relaxe et acquittement, il est jugé qu’il n’y a pas eu intention de nuire, et en conséquence, qu’il n’y a pas eu animosité, terme défini par le Littré comme « Sentiment permanent de haine qui porte à nuire. » En se gardant d’écrire « une animosité certaine » et en préférant invoquer une « certaine animosité », le jugement de première instance manifeste une fois de plus son incertitude et son hésitation, que votre juridiction voudra bien définitivement lever par référence à l’autorité de la chose jugée qui a exclu toute animosité.

 

II le tribunal administratif considère que l’affichage des deux courriers litigieux en salle des professeurs est le deuxième élément caractéristique d’une faute personnelle détachable du service. Cette appréciation ne me semble pas du tout pertinente pour plusieurs raisons :

 

a)      Quant à l’aspect personnel. Il est parfaitement évident que l’objet des deux lettres incriminées n’a absolument rien de personnel, ce qui n’aurait pas été le cas si j’avais affiché des lettres où je me serais plaint d’un de ces mille problèmes qui peuvent affecter le quotidien d’un fonctionnaire : mauvais emploi du temps, refus d’autorisation d’absence, inégalité dans la répartition des tâches, convocation injustifiée… Le tribunal administratif lui-même considère que l’objet de ces lettres relève à la fois de l’intérêt général –la neutralité scolaire -, et d’un intérêt particulier à l’établissement -le fonctionnement, délibérément négligé, de son conseil d’administration. Il n’y a donc aucune faute à attirer l’attention de ses collègues sur des questions si essentielles au bon fonctionnement administratif de l’établissement. Votre juridiction voudra bien convenir qu’il y aurait plutôt eu faute à ne pas le faire, surtout de la part d’un élu du personnel. Mes devoirs de fonctionnaire et d’élu m’interdisent, fut-ce par mon silence, à encourager des pratiques que le tribunal administratif a lui-même censuré.

b)      Quant à l’aspect détachable du service. En estimant recevable mon intérêt à agir dans la requête n° 007594-4, le tribunal administratif a manifestement établi que les faits querellés étaient entièrement liés à mon service, aussi bien eu égard à mon statut de fonctionnaire –professeur de philosophie, qu’eu égard à mon mandat d’élu du personnel. Il y a donc de sa part une réelle contradiction à estimer dans sa décision ici en appel qu’ils ne le seraient pas. Il en est de même des éléments matériels : une salle des professeurs est un espace strictement lié au service et il est parfaitement établi que j’ai affiché les deux lettres pendant le service qui comprend les temps de pause, et non pas, par exemple, en m’introduisant de nuit dans l’enceinte du  lycée.

 

III Le tribunal administratif considère enfin comme troisième élément caractéristique d’une faute personnelle détachable du service le fait que « ces deux lettres […] ont été largement diffusées par leur auteur [C’est moi qui souligne, G.M.) en vue de susciter la signature d’une pétition en sa faveur ». Or, le tribunal de grande instance de Bobigny a estimé que « la diffamation était publique et que la lettre incriminée avait été diffusée, ce qui suffit à répondre aux exigences du texte invoqué » (Pièce jointe n° II, p.5, 4ème alinéa). Celui-ci n’a à aucun moment, estimé que ces lettres avaient été diffusées sur Internet par M. Molinier. La différence d’appréciation est donc très grande. Et, s’il est parfaitement établi que ces lettres ont été diffusées sur Internet, il est non moins établi que je ne suis absolument pas l’auteur de cette diffusion. D’ailleurs, je sais assumer la responsabilité de mes actes, et, si j’avais été l’auteur de cette diffusion, je l’aurais dit.  Celle-ci a eu lieu dans les circonstances suivantes qui n’ont été démenties, ni devant le TGI, ni devant le tribunal administratif.

 

En réalité, ce n’est pas l’auteur des courriers qui les a diffusés, c’est au contraire, l’action intempestive de M. le proviseur et de Me le proviseur-adjoint qui a directement provoqué la sortie hors les murs de cette affaire purement interne à un établissement scolaire. J’en veux pour preuve, par exemple, un courrier adressé par une organisation syndicale à M. le recteur de l’académie de Créteil : « Nous venons d’être alertés par le personnel du lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen (93) des menaces qui pèsent sur un enseignant de cet établissement… » (Pièce jointe n°III). D’autres organisations syndicales, comme la CGT, ont été informées par les mêmes voix et m’ont reçu. (Pièce jointe n°IV). Comment s’étonner que des organisations syndicales enseignantes se soient émues que l’administration de l’Education nationale attaque un professeur en justice de cette sorte si peu conforme aux usages alors que celui-ci ne faisait que son devoir et que, de toute évidence, l’administration était en faute. J’ai donc, à leur invitation, rendu compte de la situation aux organisations syndicales mentionnées. Dès lors, il n’est pas difficile d’imaginer que l’ensemble des documents que j’avais présentés aux responsables syndicaux pour information échappait à ma maîtrise. On doit donc conclure que c’est par ce canal syndical que les deux lettres ont été diffusées sur des sites Internet et ont été reproduites par la suite. 

 

Je rappelle en outre que la plainte en diffamation dont j’ai été l’objet ne s’est pas faite sur citation directe, mais a provoqué une instruction. Les pouvoir du juge d’instruction sont extrêmement étendus, beaucoup plus que ceux du juge administratif. Or le juge d’instruction n’a pas établi que j’aurais été l’auteur de la diffusion des lettres sur Internet . Il n’apparaît pas plus qu’avec des pouvoirs d’instruction plus réduits, le tribunal administratif l’ait établi. On en conclura logiquement à un excès d’interprétation de sa part, au détriment de la chose instruite au pénal.

Je rappelle aussi l’extrême scrupule du juge pénal (je n’exclus, évidemment, ni le juge civil, ni le juge administratif quant au choix des mots et des tournures, y compris lors des audiences comme en témoigne, à titre d’exemple, cet échange entre un juge et un prévenu, Mme Casseta, rapporté directement par M. Stéphane Durand-Souffland dans Le Figaro des 4-5 octobre 2003, p. 12, à l’occasion d’un compte rendu d’audience au procès dit des emplois fictifs du RPR :

- « Avez-vous reçu des instructions de Jacques Rigaud (NDLR : directeur administratif et financier) ?

- « Oui.

- « De Robert Galley (trésorier du RPR) ?

- « Très certainement, mais il est difficile de le dire…

- (Très sec) Le français est une langue précise, madame. Vous avez répondu ‘très certainement’, ce qui signifie que c’est certain. De Jacques Boyon, successeur de M. Galley ?

- « Il était trésorier, et je recevais des instructions du trésorier.

- « D’Antoine Joly (successeur de facto de M. Rigaut) ?

- « Très certainement, également.

Le tribunal frappe maintenant à la porte du saint des saints.

- « Du directeur de cabinet (là, le magistrat ne cite pas les noms de MM. Cabana et Stéfanini)…

Je donne cet exemple parce qu’il a reçu la publicité d’un grand quotidien et montre comment l’exigence d’exactitude des mots a été sèchement rappelée par le juge et immédiatement intériorisée par la prévenue.

 

Je conclurai sur la nature juridique de la faute personnelle détachable du service en observant que le tribunal administratif n’a manifestement pas tenu compte de l’évolution de la jurisprudence pourtant apparue très antérieurement avec l’arrêt n° 238689 du 12 avril 2002 relatif à M. Maurice Papon. Le Conseil d’Etat a considéré qu’une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions » se caractérise par « la gravité exceptionnelle des faits » et la gravité exceptionnelle « de leurs conséquences ». Ces deux conditions étant cumulatives et non alternatives.

 

Votre juridiction voudra bien alors convenir qu’au regard de cette jurisprudence, les faits qui me sont administrativement reprochés ne présentent aucune gravité exceptionnelle et que leurs conséquences n’en présentent pas davantage . La meilleure des preuves objectives est que l’administration n’a prononcé à mon égard aucune sanction, à commencer par un avertissement, qui constitue la plus légère. En conséquence, et par application de la jurisprudence Maurice Papon, votre juridiction voudra bien estimer qu’aucune faute personnelle détachable du service ne saurait m’être imputée.

 

Il faut enfin considérer que M. Stassinet et Mme Guichet, dont la plainte est à l’origine du trouble illicite qui m’a été causé  et du lourd préjudice financier qui l’a accompagné, n’ont pas fait appel du jugement qui m’a relaxé et acquitté. Il semblerait qu’ils n’ont pas reçu le soutien moral et surtout financier que leur avait accordé la collectivité publique en première instance. Mais, s’ils étaient si sûrs de leur bon droit, rien ne les empêchait d’aller en appel et d’y engager leur propre deniers, ainsi qu’ils m’y ont contraint pour assurer ma défense. Or, ils s’en sont manifestement gardés, ce qui autorise à douter de la sincérité de « leur » première action en justice. Il est donc permis de penser qu’ils ont dû trouver une satisfaction suffisante dans le fait de m’avoir contraint à une dépense qui dépasse largement mon traitement mensuel, sans qu’ils aient été eux-mêmes obligés au moindre débours. Dans ces conditions, votre juridiction conviendra qu’il y aurait iniquité à ne pas compenser mes propres frais de justice.

 

D’ailleurs, lors de l’exposé de ses conclusions, M. le commissaire du gouvernement rappela : « Je ne crois pas me tromper en ajoutant que cette affaire pénale a très probablement été suscitée par le rectorat. » (Pièce jointe n° V). Puis il ajouta : « Les affaires entre enseignants doivent se régler entre enseignants. L’administration avait ici d’autres voies. Je signale qu’Auguste Blanqui avait écrit dans Le Libérateur : ‘Qui fait la soupe, doit la manger’. » M. le recteur ne devra-t-il pas alors s’acquitter jusqu’au bout d’avoir inconsidérément abandonné son pouvoir de sanction administrative à une autre juridiction ?

 

 

 

Plaise en conséquence à votre juridiction annuler le refus implicite opposé par M. le recteur de l’académie de Créteil à ma demande de remboursement de mes frais de justice conformément au devoir de protection garantie par l’article 11 du statut de la fonction publique.

 

Gilbert Molinier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PIECES JOINTES

 

 

 

Pièce jointe n° I : Jugement du 1er juillet du tribunal administratif de Cergy-Pontoise des requêtes n° 000754-4, n° 0400327-4 et n° 0300992-4.

 

Pièce jointe n° II : Jugement de la XVIII ème chambre du tribunal de grande instance de Bobigny du 30 janvier 2002.

 

Pièce jointe n° III : Courrier de Créteil Sud Education à M. le recteur de l’académie de Créteil du 16 juin 2000.

 

Pièce jointe n° IV : Courrier de la CGT éducation à M. L’inspecteur d’académie de la Seine-Saint-Denis du 22 mai 2000.

 

Pièce jointe n° V : Témoignage écrit de Mme Christiane Levilly.